Actualité > Focus sur...

Focus sur...

[ 6 mars 2014 ] Imprimer

Le juge d’instance

S'orienter, étudier, passer des concours, suivre des stages, découvrir un métier, décrocher un contrat... Autant d'étapes importantes qui soulèvent, pour chaque étudiant, un foisonnement de questions. Afin de démêler les réalités des idées reçues, Dalloz Actu Étudiant a décidé de décrypter tous les mois les spécificités d'un métier du droit à partir du témoignage d'un professionnel.

Juridiction d'exception proche du citoyen, le tribunal d'instance traite de matières aussi vastes que complexes, des baux d'habitation aux tutelles en passant par le contentieux électoral ou le droit de la consommation. Des enjeux de moindre importance comparés à ceux des dossiers traités par les TGI mais qui affectent directement le justiciable dans son quotidien et révèlent toute l'étendue de la situation socio-économique d'un ressort. Au TI de Montreuil, Pascale Ladoire-Seck a répondu à nos questions.

Pouvez-vous nous raconter votre parcours professionnel ?

Il n'est pas classique car j'ai d'abord été avocate, au barreau de Paris. Je faisais du droit du travail, du droit des affaires, du droit de la famille. Un petit peu de tout en somme. En 1999, j'ai passé un concours exceptionnel pour être magistrate. Je crois qu'il y a beaucoup de confrères avocats qui ont fait la même chose, qui ont passé un concours ou ont pu bénéficier d'une intégration directe à la profession de magistrat. Pour moi, le changement de voie est intervenu à peu près à mi-parcours. J'aimais mon métier d'avocat mais c'est un rythme particulier, c'est presque du 24h/24. Et puis il y a beaucoup de charges. Ce n'est pas toujours compatible avec une vie de famille.

Lorsque j'ai commencé, et puisque j'avais été avocate au barreau de Paris, j'ai été « interdite » d'exercice dans le ressort de la cour d'appel de Paris pendant cinq ans. J'ai donc débuté comme substitut à Colmar. Après cela, j'ai été affectée six ans au parquet de Strasbourg, puis trois ans au parquet de Nanterre. Et depuis septembre 2011, je suis juge d'instance au tribunal d'instance de Montreuil.

Comment vous organisez-vous pour traiter toutes les matières qui dépendent du tribunal d'instance ?

Comme dans beaucoup de tribunaux d'instance, nous nous sommes répartis les compétences entre le juge Sylvain Bottineau et moi-même. Il gère les tutelles et les audiences au fond, à savoir : le droit de la consommation, les baux d'habitation au fond, les expulsions au fond. Quant à moi, je m’occupe du reste, c'est-à-dire les référés, les saisies « rem » (ndlr, les saisies sur rémunération). Je suis également déléguée par Bobigny pour une partie du surendettement et chargée de l'administration du tribunal en lien avec notre greffière en chef.

Concrètement, par exemple, cet après-midi, en audience de référé, j'ai eu beaucoup de dossiers de résiliation de bail avec des clauses résolutoires. Dans les baux, on retrouve souvent cette clause. Elle prévoit qu'après un commandement de payer les loyers, si celui-ci est resté infructueux pendant deux mois, le bail est résilié automatiquement. C'est sur cette base-là que les bailleurs assignent, notamment en référé, car il suffit de constater l'acquisition de la clause résolutoire et donc la résiliation du bail. Si j'accorde des délais, la clause résolutoire est alors suspendue et tant que le locataire paie, il n'y a pas de problème. S'il ne paie pas, la clause joue automatiquement. En référé les dossiers passent très vite en général, surtout en cas de clause résolutoire car si le commandement est régulier, et si les locataires n'ont pas payé le retard de loyers durant le délai de deux mois imparti, le bail est résilié. Ensuite la question porte sur l'obtention de délai ou pas et donc la suspension de la clause ou non. En référé, je peux passer vingt minutes à étudier un dossier après l'audience. Sur le fond, cela peut être une heure ou deux. Mais cela est très variable. En janvier, j'avais un dossier en référé sur lequel j'ai passé trois heures car il a fallu que je fasse des recherches, mon incompétence avait été soulevée ainsi que d'autres points de droit et les demandes étaient nombreuses. En moyenne, je traite une trentaine de dossiers de référés par mois. Au fond, cela peut être 60 sachant qu'il y a deux audiences de fond par mois au tribunal d'instance de Montreuil.

Quelles sont les spécificités de votre tribunal ? Et quelles sont les particularités du métier de juge d'instance ?

Montreuil c'est la Seine-Saint-Denis, une ville a plusieurs facettes : beaucoup de « bobos » (ndlr, bourgeois bohèmes) s'installent ici mais il reste une population moins fortunée. Nous avons un peu les deux sortes de population. C'est ce qui fait la richesse de cette ville.

Concernant l'exercice, le juge d'instance passe beaucoup de temps à rédiger des jugements. L'intérêt de ce métier c'est que les domaines de l'instance sont très variés. On passe du surendettement aux baux d'habitation puis au droit de la consommation, aux tutelles, au contentieux professionnel.

Ce qui est plus difficile c'est la masse de dossiers à traiter. Dans ces tribunaux, il est vrai qu'on voit la population à travers les problèmes de la vie de tous les jours, ses difficultés pour payer ses loyers ou à faire face aux crédits à la consommation, voire à prendre en charge un parent, un conjoint ou un enfant dont l'état de santé nécessite une mesure de protection. Nous avons vraiment un contact avec les gens. Les personnes que j'ai pu voir aujourd'hui en expulsion, je peux les voir demain en surendettement ou en saisie rémunération. C'est un peu le reflet de la situation économique des habitants.

Une autre expression de cette situation ce sont les délais d'attente, très longs, pour obtenir l'aide juridictionnelle à Bobigny. C'est souvent six mois. Il y a beaucoup de demandes car la population de Seine-Saint-Denis n'est pas très riche et beaucoup de candidats sont potentiellement bénéficiaires de l'aide juridictionnelle ce qui peut encombrer le bureau dédié.

En tant que juge d'instance, nous ne pouvons pas être indifférents à la situation des gens, c'est sûr. Mais nous faisons avec les outils dont nous disposons et en l'occurrence, notre référence reste le Code civil et le Code de procédure civile. En expulsion nous pouvons accorder des délais en fonction de la situation des gens. On en tient compte. Et c'est grâce à la jurisprudence des juges d'instance que, par exemple, tout le droit de la consommation, la déchéance du droit des intérêts, a pu évoluer.

Le ministre de la Justice, Christiane Taubira a évoqué quelques réformes possibles comme celle de la création d'un tribunal de première instance. Qu'en pensez-vous ?

Je sais que c'est en cours de réflexion, je n'ai pas encore vraiment étudié la question. Mais ce qui fait la richesse de l'instance c'est sa proximité avec les gens. Ils savent que s'ils ont un problème, il y a le tribunal d'instance qui n'est pas très loin de chez eux.

Pour certains contentieux comme le contentieux professionnel, qui est assez technique, pourquoi pas en effet regrouper ce contentieux dans un seul tribunal d'instance. Toutefois je pense que ce serait faire perdre au tribunal d'instance un peu de son attrait, en tout cas pour les magistrats dans la mesure où la variété fait la richesse de cette profession.

L'idée avancée est de faire des pôles de compétences. Par exemple un pôle surendettement, un pôle départage prud'homal, un pôle élections professionnelles. Cela existe déjà pour le surendettement en Seine-Saint-Denis. C'est le tribunal de Bobigny qui gère cette matière pour tout le ressort du département. C'est également lui qui gère le départage prud’homal.

Il faut reconnaître que ces contentieux sont assez techniques donc l'idée de confier cela à des collègues spécialisés n'est pas inintéressante. Toutefois, en cloisonnant les matières, cela fera perdre de l'intérêt à la profession : ne faire que du surendettement ou des baux d'habitation pourrait devenir lassant.

 

Questionnaire de Désiré Dalloz

Quel est votre meilleur/pire souvenir d'étudiant ?

Rien à signaler. Mes études ont été assez banales.

Quel est votre héros de fiction préféré ?

Je dois avouer que je regarde peu la télé et n'ai aucune série préférée ni de héros préféré.

Quel est votre droit de l'homme préféré ?

La fraternité car cela se rapproche de l'idée de solidarité en ces temps difficiles.

 

Carte d'identité du service de l'exécution des peines

Depuis la disparition des juridictions de proximité en 2013, les tribunaux d'instance sont devenus les juridictions les plus proches du justiciable. Toutefois leur nombre avait été divisé par presque deux en 2007. Aujourd'hui, l'activité du tribunal est variable selon le ressort dans lequel il se situe. Dans certaines juridictions il sera notamment plus dense. À Montreuil par exemple, seules deux audiences civiles de fond se tiennent tous les mois tandis que le TI du 17e arrondissement de Paris en réalise une par semaine.

■ Les chiffres

– 297 tribunaux d'instance sont répartis sur le territoire français contre 473 avant la réforme de la carte judiciaire.

– 518 102 dossiers de droit civil ont été portés devant les tribunaux d'instance hors référés et hors ordonnances en 2012 dont 23 1032 contentieux des personnes et 29 8781 contentieux généraux hors exécution.

– 582 629 affaires se sont terminées en 2012 dans les tribunaux d'instance hors référés.

– 80 129 dossiers ont été traités en référé en 2012 avec un délai de traitement de trois mois et demi en moyenne.

■ La formation et les conditions d'accès

Des études de droit suivies d'un cursus à l'ENM.

Il existe d'autres voies d'accès à la profession de juge : les concours 2 et 3 pour les fonctionnaires et pour les professionnels du secteur privé, les concours supplémentaires en cas de besoins ponctuels et l'intégration directe, sur dossier.

■ Les domaines d'intervention

Les baux d'habitation notamment les expulsions, les rapports entre locataires et bailleurs ; les tutelles ; le droit à la consommation ; les saisies rémunérations ; le contentieux électoral et le contentieux professionnel avec tout ce qui concerne les élections des délégués du personnel et des délégués syndicaux ; le contentieux funéraire. Pour les tribunaux d'instance de province, il y a également le tribunal paritaire des baux ruraux.

■ Le salaire

Ils suivent les grilles des agents de la fonction publique, selon la hiérarchie et l'ancienneté.

■ Les qualités requises

Éthique, rigueur, probité, réactivité, capacité d'écoute, connaissance des textes, impartialité, ouverture, patience.

■ Les règles professionnelles

Le magistrat est en particulier tenu à l'indépendance, l'impartialité, l'intégrité, la légalité, l'attention à autrui, la discrétion et la réserve.

En 2010, le Conseil supérieur de la magistrature a publié un Recueil des obligations déontologiques des magistrats à l'attention des citoyens, consultable sur son site Internet : http://www.enm-justice.fr/_uses/lib/5779/recueil_obligations_deonto_magistrats.pdf

■ Les sites Internet

– Ministère de la Justice : http://www.justice.gouv.fr/organisation-de-la-justice-10031/lordre-judiciaire-10033/tribunal-dinstance-12035.html

– Conseil supérieur de la magistrature : http://www.conseil-superieur-magistrature.fr/

 

 

Auteur :A. C.


  • Rédaction

    Directeur de la publication-Président : Ketty de Falco

    Directrice des éditions : 
    Caroline Sordet
    N° CPPAP : 0122 W 91226

    Rédacteur en chef :
    Maëlle Harscouët de Keravel

    Rédacteur en chef adjoint :
    Elisabeth Autier

    Chefs de rubriques :

    Le Billet : 
    Elisabeth Autier

    Droit privé : 
    Sabrina Lavric, Maëlle Harscouët de Keravel, Merryl Hervieu, Caroline Lacroix, Chantal Mathieu

    Droit public :
    Christelle de Gaudemont

    Focus sur ... : 
    Marina Brillié-Champaux

    Le Saviez-vous  :
    Sylvia Fernandes

    Illustrations : utilisation de la banque d'images Getty images.

    Nous écrire :
    actu-etudiant@dalloz.fr