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[ 1 février 2013 ] Imprimer

Le juriste au sein d’un syndicat

S'orienter, étudier, passer des concours, suivre des stages, découvrir un métier, décrocher un contrat... Autant d'étapes importantes qui soulèvent, pour chaque étudiant, un foisonnement de questions. Afin de démêler les réalités des idées reçues, Dalloz Actu Étudiant a décidé de décrypter tous les mois les spécificités d'un métier du droit à partir du témoignage d'un professionnel.

Cette rentrée a été marquée par d'importantes négociations entre le patronat et les syndicats sur l'emploi, et en particulier sur des mesures relatives à la sécurisation de l'emploi. L'occasion pour Dalloz Actu Étudiant de s'intéresser à ces acteurs des réformes en droit du travail. C'est à la CFE-CGC, confédération historique des cadres, que nous avons rencontré le juriste Fabrice Richard, spécialiste des questions relatives au temps de travail, à la rémunération des salariés et à la relation individuelle de travail.

Vous avez été recruté par la Confédération voilà deux ans. Quel a été votre parcours avant cela ?

Il a été assez atypique mais j'en suis fier. Après un Bac STT, j'ai d'abord fait un an en Faculté de lettres que j'ai quitté pour faire du droit. J'ai obtenu une maîtrise « Carrières judiciaires » puis j'ai intégré une prépa à Sciences Po Aix pour obtenir le concours d'accès aux métiers de commissaire des armées, officier de gendarmerie (CPAG). Mais j'ai dû arrêter ma carrière de sous-officier quelques mois plus tard pour des raisons personnelles. Je viens d'une famille d'ouvriers et mon père, qui travaillait dans les entrepôts, m'a proposé de venir me confronter au monde du travail. J'y suis allé pendant quelques mois comme manutentionnaire, je travaillais la nuit. Puis j'ai enchaîné les boulots de jour et de nuit avec quelques périodes de chômage jusqu'à ce que je décide de reprendre mes études, à l'âge de 28 ans. À l’époque, j'étais marié et père d'un enfant. J'ai commencé un Master 1 en droit des affaires, j'y allais le jour et je continuais à bosser la nuit. Et j'ai poursuivi avec un Master 2 de droit des relations du travail en entreprise avec un diplôme de DJCE. Après ça je suis rentré à la Halde en tant que stagiaire avant d'obtenir un CDD et j'ai dû partir au moment de l'arrivée de Jeanette Bougrab. Je suis passé par un cabinet d'avocat quelques mois et j'ai été recruté ici en 2010.

Qu'est-ce qui vous plaît dans ce poste de juriste notamment dédié à répondre aux problèmes des adhérents et à accompagner les élus syndicaux dans leurs missions de négociation avec le MEDEF, les autres syndicats et le gouvernement ?

Dans ce métier, je me sens utile. Aujourd'hui, je travaille pour l'intérêt général, collectif et pour l'intérêt particulier, celui des salariés. Je suis là un moment pour eux, je les accompagne psychologiquement, juridiquement, en leur donnant des outils et ensuite ce sont eux qui prennent les décisions. J'aime vraiment le rapport à l'autre que j'ai ici, que ce soit avec les adhérents, avec les autres salariés de la Confédération ou avec les politiques (NDLR : les élus confédéraux). C'est intéressant et grisant de partager la création de la norme avec eux d'autant que nous avons une grande liberté de parole ici, la structure est assez petite et les politiques nous font généralement confiance avec le temps. Parfois, je vois ma tête dans le journal TV à la sortie d'une négociation et je me dis que je n'aurais jamais pensé participer à des évènements comme ceux-là, pour la création de droits que les étudiants apprendront un jour à la Faculté. Nous rencontrons des gens passionnés qui veulent changer la société. Ce n'est pas que de l'intellectuel, c'est aussi très pratique parce qu'on voit ce que cela génère comme problématique sur le terrain.

N'est-il pas frustrant parfois de voir vos propositions rejetées ?

Quand on s'implique totalement dans un projet, une négociation et que ça n'aboutit pas, c'est vrai que c'est frustrant. Mais il faut savoir rester à sa place parce que même si on croit vraiment à un projet, il peut ne pas aboutir pour des raisons politiques. C'est la règle du jeu et en même temps, si je voulais aller plus loin, je ferais de la politique. Mais je ne suis ni politisé ni syndiqué car je n'en ai pas besoin pour faire ce que je veux. Je n'aime pas non plus être contraint par des dogmes, même si ce n'est pas du tout le cas à la CFE-CGC. L'autre aspect frustrant c'est lorsque le politique pour lequel vous travaillez ne vous suit pas, que vous êtes isolé, qu'il ne vous fait pas intervenir en inter-syndicale. Moi j'ai de la chance, c'est tout l'inverse.

Qu'est-ce que vous apporte votre statut de délégué du personnel au sein de la Confédération ?

Lorsque je suis arrivé à la CFE-CGC, la Délégation unique du personnel (DUP) n'existait plus. C'est moi qui ai voulu la recréer parce que ça ne me suffisait pas d'être utile pour les adhérents, je voulais voir concrètement comment cela marchait, me confronter à la réalité. J'avais envie de voir si j'arrivais à faire appliquer un concept à la réalité. Là je défends les problèmes de mes collègues directs, je vais jusqu'au bout du dossier. C'est aussi très intéressant lorsqu'on défend des personnes avec lesquelles on s'entend moins bien ou qu'il s'agit de points sur lesquels nous ne sommes pas d'accord car il faut savoir rester neutre. À la DUP, il n'y a pas d'enjeux politiques parce que nous sommes tous non-syndiqués. Nous travaillons beaucoup sur le fond des dossiers donc cela aide d'être juriste. De plus, le fait de travailler comme délégué du personnel m'a permis de connaître l'ensemble des salariés de l'entreprise.

Comment voyez-vous l'avenir de votre profession, notamment avec l'intégration des nouvelles normes en matière de représentativité des syndicats ?

Cela peut évoluer complètement. Il est possible qu'à l'avenir on ne choisisse que des militants pour les postes de salarié. On peut aussi décider que demain, nous ne fassions plus que du SVP (NDLR c'est-à-dire du conseil juridique direct aux militants). Or l'intérêt de notre poste réside justement dans le mélange des genres et son équilibre, dans le fait de s'adresser à différents acteurs et d'avoir ainsi une vision globale entre le droit du travail qui est créé et comment il est compris et appliqué par les acteurs dans l’entreprise. Avec l'intégration des nouveaux calculs de représentativité, la pyramide structurelle syndicale s'est inversée. Ce sont les fédérations qui donnent à la confédération son pouvoir, sa légitimité. Or les fédérations ne sont pas au fait de ce qui s'y passe, du travail des salariés confédéraux. Il y a un problème de communication entre les structures de la pyramide ce qui est assez normal puisque nous sommes tous habitués à fonctionner différemment. Quoiqu'il arrive, j'essaierai de communiquer sur nos missions, mais il est probable que la structure de nos emplois soit modifiée.

Questionnaire de Désiré Dalloz

Quel est votre pire ou meilleur souvenir d'étudiant ?

Mon pire souvenir concerne un examen de droit civil, en licence. Je pars sur un sujet, je le développe devant le professeur qui me regarde, me laisse parler et finit par me dire : « mais vous avez conscience que vous êtes hors sujet ? » Il me fallait juste un 6 à cet examen pour avoir mon année et j'ai eu 4. Heureusement, je m'étais rattrapé sur d'autres matières, notamment avec le sport… no comment. Mon plus beau souvenir, c'est mon année de Master 2 à l'IDA (Institut de droit des affaires) d'Aix-en-Provence. J'ai eu des professeurs d'une qualité remarquable. Mon seul regret est que l'on ne soit pas plus tôt confronté avec des personnes du terrain, pour confronter la théorie et la pratique. C'est souvent trop abscons, or le droit irrigue directement la société, c'est souvent très pratique. Je trouve également dommage que nous n'étudions pas plus le syndicalisme en Master 2. Aujourd'hui, les syndicats sont les principaux créateurs de normes en matière de droit du travail !

Quel est votre héros de fiction préféré ?

Dexter ! Je pense que nous avons tous un passager noir en nous. Il faut savoir le sublimer et c'est grâce à nos faiblesses qu'on tire le plus beau de nous-mêmes. Dexter c'est une caricature extrême de tout ça. C'est un personnage qui m'a beaucoup intrigué, amusé.

Quel est votre droit de l'homme préféré ?

L'article 1er de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Tous les Hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ». C'est parce que ce n'est pas vrai ! C'est celui que je préfère parce qu'il faut se battre au quotidien pour le rendre concret et que c'est pour moi un combat qui vaut la peine d'être mené. J'y crois vraiment, je suis en quelque sorte un « utopiste pragmatique ».

Carte d'identité du juriste au sein d’un syndicat

Au sein de la Confédération, les missions du juriste sont réparties entre trois pôles : l'accompagnement des personnalités politiques (élues lors du congrès national triennal) dans les négociations, la permanence juridique à destination des adhérents et enfin, la veille juridique, l'information des élus et du réseau confédéral. Des activités qui l'amènent régulièrement à prendre part à des débats de premier ordre avec le MEDEF, la CGPME ou l’UPA notamment, ou plus largement entre les confédérations et le gouvernement.

▪ Les chiffres

– 63 salariés au sein de la Confédération.

– 140 000 adhérents à la CFE-CGC, contre 682 000 à la CGT, 864 000 à la CFDT, 500 000 à FO et 142 000 à la CFTC.

– Le taux de syndicalisation en France est l'un des plus faibles de l'OCDE, avec 7 à 8 % de salariés syndiqués en 2010, contre 35 % en Italie, 26,5 % au Royaume-Uni, 18,6 % en Allemagne et même 70 % en Finlande.

▪ La formation et les conditions d'accès

Un niveau Master 2, avec une plus-value s’il est spécialisé.

▪ Les domaines d'intervention

Les retraites et la protection sociale, les conditions de travail, le handicap, la santé au travail, l’action syndicale, l’emploi, la formation initiale et le dialogue social, la formation tout au long de la vie, l’Europe et l’international, l’économie, l’industrie, le développement durable, le logement et le consumérisme.

▪ Le salaire

Pour un middle : 1963 euros net mensuels sur 14,7 mois (avec deux ans d’ancienneté dans l’entreprise). 33000 euros brut par an pour les juniors. Avec tickets restaurants payés à hauteur de 60 % par l'employeur et une mutuelle gratuite. De plus, il n'a pas de jour de carence en cas de congés maladie.

▪ Les qualités requises

Célérité, rigueur, connaissance pointue des textes, sens de l’analyse, pragmatisme, écoute, humilité, capacité à s’exprimer en public et à formuler ses idées, synthèse, probité, objectivité.

▪ Les règles professionnelles

Confidentialité, secret des correspondances et des échanges avec les adhérents et les élus de la centrale, poursuite de l'intérêt général, collectif et individuel par rapport à la réglementation en vigueur.

Quand à la CFE-CGC, elle s’est engagée à respecter sept engagements présentés sur son site Internet (promotion des intérêts des salariés face aux logiques purement financières, favoriser l'emploi et le développement des entreprises et des services, porter l'innovation sociale, assurer l'assistance juridique personnelle des adhérents, favoriser l'insertion des jeunes, ou encore la défense des retraites garanties pour tous grâce à un mode de financement élargi).

▪ Le site Internet de la CFE-CGC, le syndicat de l'encadrement : http://www.cfecgc.org/

 

Auteur :A. C.


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