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[ 6 juin 2014 ] Imprimer

Le juriste d'association d'aide aux victimes

S'orienter, étudier, passer des concours, suivre des stages, découvrir un métier, décrocher un contrat… Autant d'étapes importantes qui soulèvent, pour chaque étudiant, un foisonnement de questions. Afin de démêler les réalités des idées reçues, Dalloz Actu Étudiant a décidé de décrypter tous les mois les spécificités d'un métier du droit à partir du témoignage d'un professionnel.

Il existe autant de métiers de juristes que de secteurs d'activités. En l'occurrence, exercer au sein d'une association d'aide aux victimes nécessite autant d'écoute et d'humanité que de connaissances juridiques. C'est ce que nous apprend Jérôme Bertin, ancien juriste d'association d'aide aux victimes et désormais chef du service animation du réseau Inavem (Fédération nationale d'aide aux victimes et de médiation) qui regroupe 135 associations françaises exerçant cette mission.

Pouvez-vous nous raconter votre parcours professionnel ?

J'ai fait une maîtrise carrière judiciaire à Paris 11 avec la volonté d'être magistrat. J'ai échoué au concours et je ne pouvais plus reporter mon service militaire. Il se trouve que j'avais été reçu par une magistrate qui m'avait indiqué être secrétaire d'une association d'aide aux victimes laquelle prenait des appelés du contingent détachés en préfecture, notamment des profils de juriste comme le mien. Je me suis retrouvé à faire mon service militaire au sein de l'association d'aide aux victimes d'Évry en Essonne.

J'ai découvert un métier, une relation à l'autre, une autre manière d'être juriste c'est-à-dire travailler le droit et faire du social au sens large du terme. Le fait d'être au quotidien aux côtés des victimes est quelque chose qui m'a tout de suite plu. J'ai été le premier juriste embauché au sein de l'association à l'issue de mon service militaire et j'y suis resté dix ans. 

J'y ai pratiqué le métier de juriste en association qui consiste dans ce secteur à accueillir toute personne qui s'estime victime d'une infraction, lui apporter toutes les informations et l'accompagnement juridiques nécessaires pour faire valoir ses droits. J'ai également été sept ans assesseur à la CIVI de l'Essonne (ndlr, Commission d'indemnisation des victimes d'infraction) et j'ai donné des formations au niveau de la fédération Inavem. Une ouverture de poste à l'Inavem, voilà six ans, m'a par la suite permis de devenir chef du service animation réseau à la Fédération. Ce parcours-là, emploi jeune ou autre emploi aidé, puis fidélisation au sein de l'association, on le retrouve assez souvent au sein des associations.

En quoi consiste le rôle de juriste au sein d'une association d'aide aux victimes et qu'est-ce qui vous plaît dans cet exercice ?

C'est 50 % de droit, 50 % d'humain.

Évidemment, nous sommes très attachés au titre de juriste car c'est sur le droit qu'on nous demande de travailler. Il s'agit d'informer sur les droits en général — avant même le dépôt de plainte et jusqu'à l'obtention des dommages-intérêts —, accompagner les procédures, lire les rapports d'expertise, les expliquer. Mais il y a aussi un volet social, humain qui consiste à replacer la victime dans son parcours, lui permettre de mieux appréhender ce qui l'attend, c'est très gratifiant pour tout le monde. Grâce à notre disponibilité, notre pédagogie, notre vulgarisation du droit, les victimes comprennent notamment cette procédure qui « leur tombe dessus ». Dans cette justice au quotidien que nous traitons principalement, l'avocat n'a plus le temps de faire ce travail ; s'il intervient dans un dossier c’est vraiment pour défendre la demande de dommages-intérêts. Le pourquoi, comment s'organise un procès, où on se positionne, à qui on parle, c'est un travail que nous remplissons, complémentaire. En revanche, notre rôle s'arrête où commence celui de l'avocat et, notamment, quand le rôle de conseil est demandé. Nous ne ferons jamais de choix pour les victimes, nous n'allons jamais la représenter en justice. Par ailleurs, nous sommes présents sur tout le parcours de la victime : commissariat, tribunal, hôpital, mairie ou autre.

Aujourd'hui mon rôle est différent car j'ai un peu mis de côté mes connaissances juridiques et ce lien avec les victimes. Au niveau de l'animation réseau, mon métier consiste à être l'interlocuteur de nos membres et des dirigeants associatifs pour assurer une mission de soutien, de développement de projet, d'animation et coordination du réseau. Parallèlement, la Fédération assure des formations, est auditionnée par les pouvoirs publics régulièrement, rend des rapports… C'est complètement différent du métier de juriste en association même si c'est une suite logique.

Quelle a été l'évolution du rôle des associations d'aide aux victimes ?

Depuis 30 ans, notre rôle est de plus en plus écrit et prégnant. Aujourd'hui, au quotidien, les pouvoirs publics auraient du mal à faire sans le réseau. Ce qui a été souhaité dans les années 1980, à l'initiative du garde des Sceaux Robert Badinter, c'était de mettre en place un réseau d'aide et d'accompagnement porté par la société civile et non un service public. La volonté était aussi de créer un réseau associatif mais surtout généraliste. Dans nos statuts, il est bien noté que nous recevons « toute personne qui s'estime victime d'une infraction pénale ». C'est lié au fait qu'il existe des réseaux spécialisés, notamment pour des événements collectifs ou des catégories de victimes. Mais il y aura toujours besoin d'un autre réseau pour les victimes qui ne rentrent pas dans telle ou telle segmentation. Par ailleurs, c'est très rare qu'une association ne fasse que de l'aide aux victimes, souvent à côté elle assure des missions de mandat judiciaire pré ou postsentenciel.

Les lois ont beaucoup évolué notamment avec la loi du 15 juin 2000 dite « loi Guigou » qui a inscrit le rôle des associations dans les textes. Par exemple, les forces de l'ordre ont, depuis, l'obligation d'informer de l'existence d'associations qui peuvent venir en aide aux victimes. Il y a un parcours qui tente d'être mieux organisé pour que les victimes puissent bénéficier de nos services et ne passent pas à côté du dispositif prévu depuis quinze ans. Je suis arrivé dans le secteur à une période où les associations d'aide aux victimes étaient en plein essor : elles développaient de plus en plus leur rôle, leur positionnement dans la procédure pénale et, à l'inverse d'aujourd'hui, les financements étaient plutôt à la hausse. L'année dernière, le réseau associatif était le secteur qui créait le plus de nouvelles embauches mais, depuis quelque temps, il licencie aussi à cause des difficultés financières. C'est malheureusement le lot de toutes les associations dont les budgets reposent sur des fonds publics.

Quels sont vos combats actuellement ?

Nous savons très bien que nous ne touchons qu'une part infime des victimes qui déposent plainte. Un rapport de la Cour des comptes faisait état de 10 à 15 % de victimes reçues par le secteur associatif. Toutes n'ont pas besoin de nos services mais pour autant il y a encore des choses à faire, des droits à rendre effectif. On a beaucoup légiféré sur le droit de l'aide aux victimes mais l'effectivité est souvent mise à mal ou inexistante.

Dans le cadre de la réflexion engagée par Mme Taubira sur la justice du xxie siècle, l'Inavem a écrit un document intitulé « 40 propositions pour un droit des victimes en mouvement ». À titre principal, l'objectif est d'aller vers plus d'effectivité des droits, plus de pragmatisme en direction des victimes. On peut faire simple et mieux sans révolutionner le Code pénal. En revanche, ce n'est qu'une première étape car nous précisons bien que ces propositions interviennent « en attendant qu'un code du droit des victimes existe ».

Aujourd'hui, notre souci premier est d'encadrer et de professionnaliser le réseau. Au mois de juin nous avons la dernière session d'une expérimentation sur la justice restaurative. Il s'agit d'organiser des rencontres entre des détenus et des victimes non directes. On a déjà écrit beaucoup, on a mis en place des modules de formations, le but c'est que le cadre soit posé, que toute action nouvelle devienne pérenne.

 

Questionnaire de Désiré Dalloz

Quel est votre meilleur/pire souvenir d'étudiant ?

Je pense qu’il s’agit de mon année à l’IEJ qui a été une année riche et qui m’a permis de toucher du doigt les métiers du droit. J’ai eu le temps d’effectuer des stages en cabinet et en juridiction. Le suivi de dossiers au pénal a forgé mon souhait d’aller vers cette discipline.

Quel est votre héros de fiction préféré ?

Difficile d’en choisir un lorsque l’on est téléphage comme moi. Je garde un excellent souvenir du personnage de Columbo et je revois avec plaisir les rediffusions. Cette série a toujours été bien écrite et la psychologie du personnage, perspicace et obstiné, m’a toujours plu.

Quel est votre droit de l'homme préféré ?

L’article premier de la Déclaration universelle des droits de l'homme et du citoyen : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droit ». C’est ce qui guide en partie l’action de nos associations au quotidien et ce qui doit guider aussi notre société au premier chef.

 

Carte d'identité du juriste d'association d'aide aux victimes

Depuis 2004, la Fédération représente le réseau et peut s'engager pour ses adhérents sur un plan contractuel. Les conventions avec des partenaires, notamment gouvernementaux, se sont développées ainsi que des contrats avec des entreprises privées qui ont eu le souhait d'offrir ses services à leurs agents, leurs clients (hypothèses d’une prise en charge et/ou d’un numéro dédié d'aide aux victimes).

▪ Les chiffres

– La fédération Inavem regroupe 135 associations d'aide aux victimes.

– 300 000 nouvelles victimes font appel à une association du réseau chaque année.

– 60 % des demandes concernent les atteintes aux personnes (meurtres, viols, violences et principalement violences conjugales), environ 30 % sont des atteintes aux biens (principalement des vols aggravés, escroquerie, abus de confiance) et 10 % relèvent d'accidents ou d'atteintes involontaires (accident de la circulation…).

▪ La formation et les conditions d'accès

Un Master 2 de droit en général et un grand sens psychologique sont nécessaires pour être juriste d'une association d'aide aux victimes.

▪ Les domaines d'intervention

Aujourd'hui très proactif, le réseau Inavem s'adresse à toute personne qui s'estime victime d'une infraction pénale, peu importe que celle-ci ait ou non entamé une procédure judiciaire, qu'elle le souhaite ou ait la possibilité d'en exercer une (en cas de prescription de l'infraction pénale par exemple).

▪ Le salaire

Le salaire d’un juriste junior en association est de 1 800 à 2 200 euros brut environ. Les évolutions de salaire et de postes varient par la suite en fonction des conventions collectives et des contrats, voire de l’organisation des associations (chef de service, coordonnateur, direction…).

▪ Les qualités requises

Éthique, rigueur, probité, psychologie, diplomatie, capacité d'écoute, connaissance des textes, ouverture, capacité de médiation, d'information.

▪ Les règles professionnelles

Les associations disposent d'un code de déontologie ainsi que d'une charte des services d'aide aux victimes. Sur son site Internet, le réseau associatif précise ses engagements éthiques et déontologiques. Il répertorie en particulier ces valeurs : écoute attentive et privilégiée, réponse appropriée et actualisée, gratuité des services, confidentialité des entretiens, respect de la vie privée, autonomie et liberté de décision de la victime, consentement de la victime pour toute démarche, absence de référence idéologique ou confessionnelle, travail en partenariat. Par ailleurs, il est précisé que « les associations d'aide aux victimes sont ouvertes à tout public sans aucune discrimination et leurs prestations sont gratuites. Elles s'effectuent dans le respect de la confidentialité de la personne et de l'autonomie de la victime ».

▪ Sites Internet

– L'Inavem : http://www.inavem.org/

 Les 40 propositions lancées par l'Inavem dans le cadre de la prochaine réforme pénale : http://www.inavem.org/index.php?option=com_content&view=article&id=533:propositons-et-orientations-de-linavem&catid=14:publications-et-etudes&Itemid=149

 

Auteur :A. C.


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