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[ 10 janvier 2014 ] Imprimer

Le juriste en droit de l'environnement

S'orienter, étudier, passer des concours, suivre des stages, découvrir un métier, décrocher un contrat... Autant d'étapes importantes qui soulèvent, pour chaque étudiant, un foisonnement de questions. Afin de démêler les réalités des idées reçues, Dalloz Actu Étudiant a décidé de décrypter tous les mois les spécificités d'un métier du droit à partir du témoignage d'un professionnel.

Filière choisie par un nombre croissant d'étudiants, le droit de l'environnement est devenu un enjeu incontournable dans le monde des affaires, par l'affluence de nouvelles règles à respecter mais aussi par souci de compétitivité. Aussi, Dalloz Actu Étudiant a voulu pénétrer les coulisses de la direction juridique d'un grand groupe du CAC 40. Responsable chez Renault du département « Environnement, Énergie et Immobilier », Caroline Strulik a accepté de répondre à nos questions.

Pouvez-vous me décrire votre parcours universitaire ?

Après mon DEUG, j'ai intégré le Magistère de droit des activités de droit économique (public/privé) à Paris I-Paris II. En troisième cycle, j'ai choisi le droit de l'environnement que je n'avais jamais étudié avant. Parmi les élèves du magistère, j'étais la seule à prendre cette option-là à l'époque. Je savais que c'était le type de matière qui allait m'intéresser par sa connotation internationale, européenne, et j'avais la fibre environnementale, c'est ce qui m'intéressait.

On entendait dire déjà que c'était un domaine très porteur mais nos professeurs nous donnaient peu d'illusions sur les débouchés à l'époque. Ils nous prévenaient d'emblée que ce DEA ne nous suffirait pas, qu'il faudrait le coupler avec un troisième cycle plus généraliste ou avec un diplôme plus technique type ingénieur. Il faut reconnaître que dans le domaine du droit de l'environnement, c'est un gros atout. Et aujourd'hui, ne serait-ce que dans les demandes de stage que je reçois, de plus en plus d'étudiants ont deux voire trois troisièmes cycles en urbanisme, en droit immobilier, droit public... Je trouve ça toujours bien même si ce n'est pas obligatoire pour nous.

De mon côté j'ai poursuivi par un LLM à Londres spécialisé en droit de l'environnement, très axé sur le droit international et comparé. Je n'ai pas passé le barreau mais à mon retour à Paris, j'ai fait un stage au cabinet américain Wiston & Strawn qui avait un bureau spécialisé en droit de l'environnement, puis j'ai enchaîné avec un stage à la direction juridique chez Renault. Finalement, c'est la seule entreprise que j'ai connue.

Votre ascension au sein de Renault s'est-elle faîte rapidement ? L'entreprise permet-elle une évolution de carrière, en particulier pour les femmes ?

Je suis passée un peu par toutes les étapes : stagiaire en 2001, CDD en 2002, renouvellement de CDD puis CDI en mars 2004 en tant que juriste. En 2006, je suis devenue responsable du pôle environnement car mon ancienne chef demandait une mobilité interne et elle m'a confié la responsabilité du pôle. Puis en 2011, la responsable du département « Environnement, Énergie et Immobilier » m'a proposé de prendre son poste lorsqu'elle a été nommée directrice juridique. Certes il y a la qualité de votre travail mais ce sont aussi des occasions qui font que cette évolution est permise. C'est être là au bon moment et ce n'est pas donné à tout le monde.

À la direction juridique, l'évolution de carrière chez les femmes est évidente, ne serait-ce que parce que le nombre de femmes est important, par rapport au reste de l'entreprise qui est à dominante masculine. Mais dans les dirigeants Renault, il y a en effet une volonté de favoriser l'ascension des femmes y compris dans des postes de direction. Ma N+2 et ma N+3 sont des femmes. Actuellement le contexte est un peu particulier car Renault s'est engagée sur un plan de compétitivité jusqu'en 2016 ce qui créé quelques contraintes et blocages sur les mobilités et évolutions. Mais en dehors de cela, il y a une vraie possibilité d'évolution chez Renault et même dans le monde de l'entreprise de manière générale. Une entreprise a tout intérêt à garder et faire évoluer des gens qu'elle a formées.

En matière d'environnement, qu'est-ce qui vous mobilise actuellement ?

La réglementation sur les installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE)demeure une réglementation phare en matière d’environnement, auxquelles sont soumises nos usines et nos gros garages, de même que la réglementation relative aux déchets.

En dehors de ces sujets « classiques », nous évoluons vers des problématiques liées au produit alors qu'auparavant, nous étions très centrés sur le patrimoine, qu'il s'agisse des usines ou du réseau des garages. Je ne parle pas forcément des émissions produites par le véhicule car cela a toujours été un sujet de préoccupation mais plutôt de la problématique substances dans les véhicules. C'est ce qu'on observe partout dans les médias à travers les produits du quotidien (textile, nettoyage, maquillage) et c'est aussi vrai dans l'automobile.

Il existe des réglementations environnementales spécifiques qui interdisent la présence de certaines substances dangereuses dans le véhicule. Il s’agit du règlement européen REACH et aussi des directives européennes sur la responsabilité élargie du producteur (REP) comme la directive relative aux véhicules hors d’usages (VHU), la directive relative aux piles accumulateurs et à leurs déchets. Le principe des directives « REP » est le suivant : le producteur du produit, en général le fabriquant, est responsable de la conception du produit, de sa conformité et de sa gestion en fin de vie. À lui de concevoir son produit de manière à limiter la présence de substances potentiellement dangereuses pour la santé et/ou l’environnement, et aussi de mettre en place la collecte et le recyclage de ces produits en fin de vie, et d'en financer tout ou partie.

Aujourd'hui, pour toutes les entreprises internationales, l'environnement est un sujet de différenciation très important car les clients deviennent de plus en plus sensibles à cela et que la réglementation s'accroît. Les entreprises doivent non seulement assurer la conformité réglementaire mais la majorité d’entre elles cherche à aller plus loin pour se démarquer de la concurrence.

Ce qui me paraît compliqué c'est d'être leader sur certains sujets environnement et de le rester sur la durée. Ainsi pendant très longtemps, Renault a été leader en matière de gestion des substances dangereuses et aujourd'hui je dirais qu’on est au même niveau que les autres.

Que pensez-vous du rapport Jegouzo et de la reconnaissance du préjudice écologique ?

Un dispositif existe déjà concernant la responsabilité environnementale, c'est la loi LRE qui découle d'une directive européenne. Ce dispositif est déjà assez poussé, complexe, assez bien ficelé. Il repose essentiellement sur une approche administrative de la responsabilité et je serais plutôt d'avis de modifier cette loi plutôt que d'inscrire dans le Code civil le principe d'un préjudice écologique.

Je ne sais pas si cela aura un impact concret pour Renault car pour le moment il n'existe pas de jurisprudence de la loi LRE donc elle n'a pas encore vraiment été appliquée. Pourquoi ? Certains disent qu'elle n'est justement pas assez extensive et qu'il faut étendre le principe du préjudice écologique dans le Code civil. D'autres, comme moi, pensent qu'il existe des dispositifs suffisants par le biais des ICPE notamment ou celui de la loi LRE qui permettent de prévenir les risques de pollutions et remédier en cas de pollution. Je pense que l'écueil serait d'accumuler des couches de dispositifs différents sur un tel sujet. Cela crée une insécurité juridique en complexifiant les choses plutôt que de les simplifier.

Quels sont les prochains enjeux environnementaux de l'entreprise Renault ?

Les véhicules électriques, leurs batteries et leur recyclage font partie des prochains enjeux de Renault. Nous avons la technologie lithium-ion qui à ce stade engendre encore un coût de recyclage relativement important. Les filières réglementaires que nous devons utiliser sont assez chères donc un des enjeux est de réussir à trouver des filières techniquement et réglementairement viables à un coût économique acceptable.

Ensuite, le défi énergétique de beaucoup d'entreprises aujourd'hui porte sur la sécurisation des approvisionnements en énergie à moindre coût également. Et d'ailleurs, il existe tout un dispositif de marché dont nous pourrons peut-être bénéficier par le biais des véhicules électriques.

Un autre enjeu très important pour Renault du fait de la forte concurrence sur les matières premières concerne l'économie circulaire compétitive, c'est-à-dire sécuriser l’approvisionnement en matière première et pouvoir faire des boucles courtes pour garder la main sur celles-ci après leur recyclage et leur valorisation. Un des enjeux est donc de développer le recyclage des matières premières et de les intégrer dans le produit neuf.

Et puis, il y a évidemment tout l'enjeu environnement-santé, celui de l'émission dans les villes auquel le véhicule électrique peut apporter une réponse. La pollution dans les villes préoccupe de plus en plus les citoyens et les pouvoirs publics se font « taper sur les doigts » par la Commission européenne. Il faudra donc prendre des mesures en la matière et cela va présenter, à mon avis, un fort enjeu pour les pouvoirs publics et notamment pour les constructeurs automobiles.

 

Questionnaire de Désiré Dalloz

Quel est votre meilleur/pire souvenir d'étudiant ?

Le meilleur c'est mon DEA de droit de l'environnement. Cela m'a complètement changé des années précédentes car les élèves étaient très différents des années antérieures. Il y avait beaucoup d'étudiants étrangers, très ouverts et curieux, et qui apportaient une autre vision. Et j'avais l'impression de sortir du droit pur et dur, de faire une matière un peu originale.

Les pires souvenirs remontent à mes cours magistraux non vivants où les professeurs lisaient leurs bouquins. Je ne citerai pas de noms !

Quel est votre héros de fiction préféré ?

Je crois que je n’en ai pas. J’aimais adolescente le personnage de Yoko Tsuno (BD de Roger Leloup). Les « vrais » héros que j’admire aujourd’hui sont les journalistes reporter et d’investigation.

Quel est votre droit de l'homme préféré ?

Même s’il est difficile de choisir je dirais le principe d’égalité, car malgré les apparences il me semble que les inégalités se creusent dans la société d’aujourd’hui à l’échelle de la planète mais également à l’échelle du pays.

Carte d'identité du juriste en droit de l'environnement chez Renault

L'intitulé du poste demeure très large pour un secteur en perpétuelle évolution. En réalité, le juriste en droit de l'environnement peut travailler dans un grand groupe, une PME, une collectivité, une association, une compagnie d'assurances ou un cabinet. Il peut être avocat spécialisé, notaire, conseil juridique ingénieur ESQ, auditeur, responsable de communication ou chef de projet. Très technique, ce métier exige une connaissance extrêmement pointue des textes de plus en plus nombreux en la matière, ainsi qu'une aptitude à comprendre des données scientifiques.

■ Les chiffres

- 87 employés à la direction juridique qui comporte 7 grands domaines d'activité.

- 6 employés au département "Environnement, Énergie, Immobilier".

- En 2012, les sites de Renault (fabrication et principaux sites d’ingénierie et tertiaires) ont généré 915 313 tonnes de déchets, dont 98% produits par les usines du groupe avec une majorité de déchets métalliques (68%).

- L’empreinte carbone moyenne des véhicules Renault vendus dans le monde devrait réduire de 10% entre 2010 et 2013.

- En 2012, 60MW de panneaux photovoltaïques ont été inaugurés par la marque en France, représentant 100 hectares. Ces installations permettent de réduire de 2200 tonnes par an la quantité de CO2 émise pour la production d’énergie électrique.

 

■ Formation et conditions d'accès

Aujourd'hui, les Master en droit de l'environnement fleurissent en France, ils se différencient par leur intitulé : droit de l'environnement et des risques, droit de l'environnement, sécurité et qualité de l'entreprise, droit de l'environnement et du développement durable ou encore droit de l'environnement industriel. Parmi les universités qui dispensent ces masters : celles de Saint-Quentin-en-Yvelines et Aix-Marseille III.

Un bac +5 est conseillé ainsi qu'un double diplôme : DJCE (juriste conseil d'entreprise), ingénieur, urbaniste, etc.

■ Domaines d'intervention

Cela dépend du cadre de travail, selon le type de structure dans laquelle le juriste exerce et selon qu'il traite du développement durable, de la pollution de l'air, de l'eau, du littoral, de l'urbanisme, de l'industrie chimique, etc.

■ Salaire

Pour un juriste junior, le salaire varie en 25 à 40 K€. Il atteint 40 à 60 K€ pour les juristes seniors.

■ Qualités requises

Pragmatisme, technicité, rigueur, connaissance des textes et de leurs évolutions, esprit d'analyse, objectivité, diplomatie, sens aigu des problématiques environnementales.

■ Règles professionnelles

Doté d'un code de déontologie à l'égard de ses employés, Renault précise que « la protection de l’environnement constitue pour l’entreprise un principe fondamental, applicable à tous les stades de ses activités et porté par chaque membre de son personnel ».

Il appartient également aux salariés de participer au respect et à la protection des personnes, des actifs, de l'image du groupe, à la fiabilité et la sincérité des informations, au respect de la confidentialité, des informations privilégiées et stock-option, de rejeter les conflits d'intérêts. Un déontologue est même en poste chez Renault et chaque membre peut le consulter pour « s’assurer de la conformité à l’éthique et aux règles en vigueur, de toute opération individuelle relative à l’exercice des stock-options ou transaction quelconque sur les titres émis par une société du Groupe ».

■ Sites Internet

– Renault : www.renault.fr

– Lettre des juristes de l'environnement : http://www.juristes-environnement.com/

Référence

 REACH

REACH est le règlement sur l’enregistrement, l’évaluation, l’autorisation et les restrictions des substances chimiques. Il est entré en vigueur le 1er juin 2007. Avec pour objectif d’assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement contre les risques que peuvent poser les produits chimiques, REACH impose à l’industrie d’évaluer et de gérer les risques posés par les produits chimiques et de fournir les informations de sécurité adéquates aux utilisateurs.

 

 

Auteur :A. C.


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