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Le mandataire de justice
S'orienter, étudier, passer des concours, suivre des stages, découvrir un métier, décrocher un contrat... Autant d'étapes importantes qui soulèvent, pour chaque étudiant, un foisonnement de questions. Afin de démêler les réalités des idées reçues, Dalloz Actu Étudiant a décidé de décrypter tous les mois les spécificités d'un métier du droit à partir du témoignage d'un professionnel.
Pour son troisième volet, Dalloz Actu Étudiant s'est intéressé à une profession juridique engagée dans la vie économique. Accueillie dans l’un des plus grands cabinets de mandataires de justice en France — la société BTSG — la rédaction a interrogé Marc Sénéchal, son plus jeune associé, sur le milieu très confidentiel du traitement des procédures collectives.
Comment avez-vous approché le métier de mandataire judiciaire et quel est votre degré d'implication dans cette matière aujourd'hui ?
J'ai toujours tout mis en œuvre pour être mandataire. C'est un métier très vivant, très dynamique, très intéressant intellectuellement. Je l'ai approché par mon père qui est spécialiste de droit des procédures collectives au CRIDON (Centre de recherche, d'information et de documentation notariales ; il en existe cinq en France : Paris, Lille, Bordeaux-Toulouse, Lyon et Nantes) et à la Faculté de droit de Bordeaux où il a été professeur. J'ai moi-même embrassé une courte carrière universitaire comme maître de conférences tout en étant collaborateur stagiaire dans une étude de mandataire. Mais ce que j'aime avant tout c'est la vraie vie pratique, celle du droit des affaires car, pour moi, le droit est fait pour être mis en œuvre concrètement.
Depuis 2005, je me suis associé avec deux puis trois mandataires au sein de la société civile professionnelle (SCP) BTSG mais j'ai gardé des contacts très étroits avec le milieu universitaire. Avec François-Xavier Lucas, l'un des grands noms du droit des procédures collectives en France, nous avons monté un diplôme universitaire en droit des entreprises en difficulté à l'Université Paris I Panthéon-Sorbonne il y a trois ans. C'est un très bel exemple de partenariat entre la faculté et la pratique, en l'occurrence le Conseil national des administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires (CNAJMJ), dont je suis proche.
Comment décririez-vous l'exercice de ce métier ?
Notre métier est très différent de celui des huissiers auquel on nous assimile trop souvent. Il est même incomparable. Notre terrain, c'est le tribunal, les entreprises que nous administrons ou notre propre étude. Nous sommes le chef d'orchestre des dossiers dont nous avons la charge, au carrefour de toutes les matières juridiques : les régimes matrimoniaux, le droit des sociétés, le droit de l'urbanisme, de la construction, etc. Cela suppose d'être un bon technicien, bien formé en procédures collectives, et d'avoir des connaissances généralistes sur l'ensemble des autres matières du droit privé français.
Nous sommes sans cesse au confluent d'intérêts divergents. Il faut arbitrer, trancher, se battre souvent. Vous devez parfois décider seul d'un certain nombre de points : poursuivre un contrat ou payer tel ou tel créancier par exemple. Cela n'est pas toujours facile mais l'attrait de ce métier c'est aussi d'être au cœur de l'action pour avoir des décisions à prendre. Il faut aimer ça, c'est une question de personnalité.
Pourquoi avoir fait le choix de vous associer ?
L'intérêt c'est de pouvoir partager la pression de ce métier. C'est important de ne pas se retrouver seul pour les décisions importantes. Quand vous êtes plusieurs professionnels, vous pouvez vous confier si vous avez un problème dans un dossier. C'est comme une famille. J'y suis très attaché.
Il y a aussi une raison plus technique de structuration. Pour rendre un service de qualité sur des dossiers importants, il faut une étude structurée. Lorsque les enjeux d'une procédure collective sont importants, il faut pouvoir mobiliser rapidement de nombreuses ressources techniques et humaines. Si vous êtes un seul professionnel employant cinq salariés seulement, vous ne pouvez évidemment pas rendre le même service qu'une structure qui a quatre associés et emploie cinquante salariés.
Après huit ans de pratique, quel recul avez-vous de l'utilisation des procédures collectives ?
Le droit des procédures collectives a beaucoup évolué depuis quelques années. La loi de sauvegarde du 26 juillet 2005 a par exemple introduit dans notre système législatif une procédure nouvelle qui a donné son nom à la loi, la procédure de sauvegarde. Même si son régime demeure très proche de celui du redressement judiciaire, l'on peut s'y soumettre qu'en n'étant pas en état de cessation des paiements, ce qui est une véritable innovation. Comme toute nouveauté, il faudra, pour dresser un bilan objectif, attendre encore quelques années pour mesurer l'impact de cette procédure. Son principal ennemi est sans doute l'utilisation abusive qui peut en être faite. Comme vous pouvez y entrer en vous contentant de démontrer que vous avez des difficultés graves, insurmontables — critère pour le moins imprécis —, il ne faudrait pas que les entreprises abusent de la protection que cette procédure peut conférer car les conséquences pour les tiers sont extrêmement délicates à gérer. Des mécanismes dérogatoires du droit commun peuvent alors s'appliquer, notamment dans le traitement des contrats ou des créanciers auxquels on peut imposer des délais ou des remises au sein des comités par exemple.
Quelles sont selon vous les leçons à tirer de la crise financière pour les entreprises en difficulté ?
On a aujourd'hui une véritable boîte à outils avec cinq procédures à notre disposition : le mandat ad hoc, la conciliation, la sauvegarde, le redressement et la liquidation judiciaire. Cet arsenal législatif est complet et plutôt efficace dans l'ensemble en ces temps de crise, surtout combiné, comme il l'a été, avec la politique volontariste des pouvoirs publics en matière de remise ou de report d'exigibilité des dettes publiques fiscales ou sociales. Si les défaillances d'entreprises sont en hausse en 2009, il semble que les grandes entreprises ont plutôt bien résisté, surtout dans la région Île-de-France. Les procédures préventives ont démontré, de ce point de vue, leur efficacité, même si, pourrait-on dire, elles ont les inconvénients de leurs avantages. Leur confidentialité, qui fait en partie leur succès, peut également s'avérer être une source de déséquilibre entre les créanciers. Ceux qui ne sont pas appelés à la négociation n'ont aucun moyen de contrôler ce qui est susceptible d'être proposé ou octroyé (sûretés notamment) à ceux qui occupent une place stratégique dans le financement de l'activité du débiteur. Peut-être qu'une amélioration pourrait être apportée à ces procédures par le renforcement de ce contrôle. La recherche d'un relatif équilibre dans la protection de tous les intérêts en jeu, et pas seulement de ceux du débiteur ou de ses principaux fournisseurs de crédit, serait sans doute un gage de sécurité pour les tiers aux accords conclus dans le cadre de ces procédures. Cette piste mérite d'autant plus d'être explorée que la conciliation peut être ouverte au bénéfice d'un débiteur qui se trouve en état de cessation des paiements, faisant dans cette hypothèse courir à tous ses créanciers, sans exception, un risque financier important.
Comment envisagez-vous votre avenir et celui de votre profession ?
Je me vois bien continuer encore trente ans ! Exercer ce métier est passionnant mais c'est un choix qui suppose un investissement personnel important. Votre productivité et la qualité du service que vous rendez dépendent beaucoup du temps que vous passez à travailler. Vous avez une sorte d'obligation de résultat parce que vous êtes dans un système concurrentiel où les enjeux sont souvent très importants sur le plan humain ou financier. Il faut continuer à se former en permanence au rythme des incessantes réformes législatives et au risque, sinon, de se retrouver rapidement obsolète.
Sur le plan statutaire, je ne sais pas si notre profession telle qu'elle se présente aujourd'hui existera toujours dans trente ans. Je l'espère d'une certaine manière car elle présente des avantages indéniables, notamment en termes de garantie financière et d'indépendance. Mais, avec la pression de l'Europe et celle qu'exercent les différents lobbies du droit ou du chiffre, qui sait si, dans vingt ou trente ans, nous serons toujours une profession réglementée ? Une chose est sûre : le métier de mandataire judiciaire ne disparaîtra pas car la fonction existera toujours. Reste à déterminer qui l'exercera.
Questionnaire de Désiré Dalloz
Quel est votre meilleur souvenir d'étudiant ? Ou le pire ?
Mon meilleur souvenir d’étudiant est sans doute d’être parvenu au terme de ma thèse et de l’avoir soutenue après de longues années consacrées uniquement à la recherche et à sa rédaction.
Quel est votre héros de fiction préféré ? Pourquoi ?
Sans hésiter, le général romain Maximus, héros du film culte de Ridley Scott « Gladiator », interprété par Russel Crowe. Ceux qui ont vu et apprécié ce film me comprendront sûrement.
Quel est votre droit de l'homme préféré ? Pourquoi ?
La liberté dans toutes ses formes. Bien entendu, la liberté dans son sens premier qui donne le droit pour chaque individu de pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. Mais également la liberté dans son acception plus évoluée de penser, de s’affranchir des codes ou des convenances lorsque ceux-ci confinent l'individu ou la collectivité dans le conservatisme ou l'anémie.
Carte d'identité du mandataire de justice
Nommés par le tribunal, le mandataire et l'administrateur judiciaires agissent en complémentarité pour gérer l'insolvabilité et les difficultés des entreprises. Cette mission prévue, en France, sous la forme d'un monopole, incombe aux avocats en Belgique, en Grèce ou au Luxembourg. En Italie, le juge du tribunal de commerce peut désigner un expert-comptable et l'Espagne nomme également des économistes.
■ Les chiffres
– 309 mandataires judiciaires
– 111 administrateurs judiciaires
– 3000 salariés
– 29 % de femmes
■ La formation et les conditions d'accès
Les candidats doivent justifier d'un master 1 (Bac +4) en droit, sciences économiques, gestion, DEC (diplôme d'expertise comptable), DSCG (diplôme supérieur de comptabilité et de gestion) ou d'une école de commerce. Les étudiants admis au concours d'entrée effectuent un stage rémunéré de trois ans dans une étude de mandataire judiciaire, d'expert-comptable ou de commissaire aux comptes. Ils doivent enfin obtenir le très sélectif examen d'aptitude à l'exercice de la profession.
■ Les domaines d'intervention
Procédures préventives et collectives : faillite, dépôt de bilan, redressement judiciaire, sauvegarde de justice, fermeture d'entreprise, liquidation judiciaire, cession d'activité, conciliation, mandat ad hoc...
■ Le salaire
C'est une des professions les mieux rémunérées en France. La rémunération, encadrée par une réglementation stricte, dépend du nombre et de l'importance des dossiers attribués par le président du tribunal de commerce. Elle repose sur des droits fixes, honoraires et des droits proportionnels et dégressifs selon la taille de l'entreprise. En début de carrière, le mandataire touche jusqu'à 4 000 euros brut par mois.
■ Les qualités requises
Écoute ; réactivité ; connaissances économiques, financières, comptables, fiscales ; diplomatie ; sens des responsabilités ; aisance relationnelle ; capacité à diriger ; grande implication personnelle.
■ Les règles professionnelles
La charte « qualité » de la profession exige rigueur, probité, célérité, humanité, confidentialité, information et transparence, performance économique et maîtrise des délais. Des indicateurs permettent de vérifier le respect de ces engagements et la performance des professionnels.
■ Le site
Conseil national des administrateurs judiciaires et mandataires de justice : http://www.ajmj.fr/
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