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Le notaire
S'orienter, étudier, passer des concours, suivre des stages, découvrir un métier, décrocher un contrat... Autant d'étapes importantes qui soulèvent, pour chaque étudiant, un foisonnement de questions. Afin de démêler les réalités des idées reçues, Dalloz Actu Étudiant a décidé de décrypter tous les mois les spécificités d'un métier du droit à partir du témoignage d'un professionnel.
C'est l'une des professions les plus connues du droit et pourtant, la plupart des citoyens ne le rencontreront qu'à de très rares occasions de leur vie. Le notaire, autrefois fidèle interlocuteur au sein de familles qu'il conseillait au fil des générations, n'a pas perdu sa vocation sociale. C'est en tout cas le point de vue de Maître Roland-Emmanuel Dejean de la Bâtie, notaire associé au sein d'une étude de 23 salariés à Gonesse, dans le Val d'Oise (95).
Quel a été votre parcours avant de devenir notaire associé ?
Je suis Avignonnais et comme beaucoup de bacheliers il y a une trentaine d'années, je rêvais de monter à Paris. A l'époque c'était beaucoup plus facile d'obtenir une inscription dans une fac parisienne et j'ai pu m'inscrire à l'Université d'Assas en 1985 où j'ai fait du droit privé puis une maîtrise de droit fiscal. Après, un DESS de droit notarial à Paris 2 et en même temps qu’un DEA de droit privé à Paris 1 puis, d’un DESS de droit de la construction et de l'urbanisme tout en faisant une maîtrise de droit communautaire, j'ai finalement passé le diplôme supérieur du notariat à l'École du notariat et j'ai prêté serment comme notaire en 1997.
A la fin de ma deuxième année de droit, à 20 ans, j'ai fait un stage d'été chez un notaire parisien. On était en plein boom immobilier et ce notaire m'a proposé de rester comme clerc dans son étude, tout en aménageant mon emploi du temps pour me permettre de suivre mes études. C'est ce qui m'a permis de découvrir ce métier et d'avoir la chance d'être nommé à moins de 30 ans puisque j'avais suffisamment d'années d'expérience en tant que clerc pour être notaire. Je me suis alors associé à Gonesse, dans l'étude au sein de laquelle je suis toujours.
Quel est votre journée-type, votre quotidien en tant que notaire d'une ville du Val d'Oise de taille moyenne ?
J'ai toujours eu comme priorité la clientèle si bien que je reçois quasiment toute la journée. J'arrive à 9h du matin, je trie et lis le courrier de l'étude. Puis je réunis dans mon bureau les 6 personnes sur 23 de l'étude qui travaillent pour moi afin de préparer la journée, répondre aux questions. Le standard n'ouvre qu'à 10h pour cette raison. Ensuite, je reçois jusqu'à 18h30.
La particularité à Gonesse, c'est qu'il y a une énorme zone d'activité industrielle et un tiers de population d'origine étrangère alors on y fait aussi bien du droit industriel que du divorce ou du droit courant des petites gens qui viennent par exemple acheter un trois-pièces dans une cité. Je peux passer d'une opération de montage industriel sur la zone de Roissy à l'écriture d'une fiche avec une petite grand-mère qui n'arrive pas à encaisser le livret de caisse d'épargne que lui a laissé son défunt mari. J'ai toujours considéré ce métier comme un métier de service auprès des gens même s'il y a une part évidente d'étude juridique, dégrossie par les salariés. En général je traite cela le soir de 18h30 à 20h. Toutefois, la clientèle locale est une petite partie de notre clientèle, de l'ordre de 20%. Le reste peut venir de Paris, des Yvelines ou de province. Le gros avantage quand vous exercez le métier comme moi depuis près de 30 ans, c'est que les gens vous connaissent bien, vous sont extrêmement fidèles et vous recommandent à leurs proches. Ca nous amène à voyager régulièrement pour accompagner les clients.
Qu'est-ce qui vous anime dans ce métier ?
Je dois reconnaître que la première chose qui me plaît n'est pas directement juridique. C'est la rencontre. Je vois environ 5000 personnes par an dans mon bureau. Parfois ce sont 4 ou 5 personnes en face de vous. C'est extraordinaire de recevoir un jeune couple qui emménage, envisage de se marier ou de se pacser, vous parle de son avenir privé et professionnel, de recevoir des personnes bientôt retraitées qui se soucient de leurs enfants, petits-enfants, se posent la question de leur future dépendance, des gens qui se lancent dans les affaires pour monter une société ou dans un projet immobilier. C'est un métier où l’on accompagne les gens dans des évènements qui se trouvent au cœur de leur vie. On est également le confident de beaucoup de secrets.
Il y a aussi l'autre partie, qui concerne des moments plus difficiles comme des divorces, des règlements de succession conflictuels, des problèmes de voisinage où vous essayez de trouver une solution amiable. Parfois un notaire doit s'éloigner du droit, de la loi pour trouver un équilibre, une procédure transactionnelle. On n'est pas là pour se mêler de leur vie mais on peut parfois convaincre chacun de faire des concessions. La plus belle partie de ce métier, l'essentiel de ce métier c'est ça. C'est un métier merveilleux, d'équité. C'est le métier qui met le droit au service des évènements du quotidien.
Comment la profession a-t-elle évolué en trente ans ?
Pendant très longtemps, en caricaturant un peu, vous aviez une clientèle fortunée qui connaissait son notaire et les autres venaient vous voir comme un passage obligé, le notaire incarnant un personnage mystérieux, parlant un charabia inextricable. Aujourd'hui, ce n'est plus vrai. Les gens sont beaucoup plus informés, parfois mal informés d'ailleurs, Internet ayant donné accès à une telle montagne d'informations. C'est un métier de plus en plus fondé sur le conseil, l'orientation. Les clients ont davantage besoin d'accompagnement et tout s'est complexifié en droit. On a créé de plus en plus de lois fiscales et sanitaires qui ont engendré de nouvelles obligations d'information. A l'époque de mes premières ventes immobilières, il n'existait aucune de ces lois. Puis on a commencé à procéder aux vérifications de surfaces habitables, des droits de péremption, de l'électricité, du gaz, du plomb, de l'amiante, à interroger les syndics de copropriété etc... Aujourd'hui les notaires ont même des obligations de formation ce qui semble indispensable. Nous bénéficions de nombreux colloques, nous avons la chance d'avoir un partenariat avec beaucoup d'universités. Mais la loi fiscale continue de se complexifier avec des éléments qui se recoupent, se contredisent parfois. On a par exemple beaucoup parlé de la loi Duflot mais un an et demi plus tard, les deux tiers des décrets ne sont pas pris et certaines dispositions, déjà revues, n'auront jamais été appliquées.
La profession a manifesté contre la loi Macron. Qu'est-ce qui personnellement vous inquiète ?
Il y a d'abord la question du fonctionnement du notariat, domaine relativement fermé il est vrai. La contrepartie est que ce système est extrêmement sécurisé. Aujourd'hui les notaires sont indéfiniment responsables des dettes contractées par les autres, au-delà de l'assurance collective. On a toujours fourni un service tarifé sur une base définie par la Chancellerie. Les notaires n'ont donc jamais considéré que leur activité était commerciale ou marchande. Il a toujours existé une forme de péréquation entre les grosses opérations et les petites. Et le raisonnement qui voudrait que tout soit dans le commerce, y compris dans le droit, risque de déséquilibrer cette procédure et d'affaiblir le degré de conseil. Si demain, les notaires ont la liberté d'adapter le tarif, c'est la porte ouverte à tout, et au moins-disant. Si le système de péréquation ne se maintient pas, le risque est de ne plus prendre que les opérations qui rapportent et facturer chacune d'entre elles, y compris celles qui auparavant étaient comprises dans le service. Ce n'est pas dans la logique notariale.
On a du mal à cerner l'intérêt de déréglementer ce système qui fonctionnait bien, dans lequel il n'y avait pas de chômage, pas de contentieux. Mais on s'adaptera, comme toutes les professions.
Ne pensez-vous pas que cette loi entraînera moins de déserts notariaux, plus de transparence et un accès plus facile pour les jeunes comme le prédit le ministre de l’économie et des finances, Emmanuel Macron ?
Je ne crois pas vraiment qu'il y aura moins de déserts notariaux. Regardez chez les avocats, on peut en avoir 40000 à Paris et ne pas en trouver un à Aurillac. On risque d'obtenir une concentration dans les centres urbains, dans les grosses villes. Ce n'est pas parce que vous serez libres que vous vous installerez dans les cités de banlieue ou dans des villages.
Sur la question de l'absence de transparence, cela ne tient pas tant au notaire qu'au ministère des finances qui s'est toujours caché derrière l'expression « frais de notaires » pour ne pas parler des 90% de droits de mutation. Peut-être que nous n'avons pas assez communiqué aussi pendant trop longtemps sur la part des rémunérations. Personnellement, je m'y suis toujours astreint. On peut toujours nous obliger à plus de transparence, de détail dans l'indication des fameux frais de notaire, mais cela ne fera pas gagner de pouvoir d'achat aux citoyens. Les personnes fortunées auront peut-être les moyens d'être plus regardants mais les plus modestes, comme ceux qui vont s'acheter un appartement dans une tour d'immeubles à Garges-lès-Gonesse, paieront le tarif sans se poser de question car ils auront déjà eu beaucoup de mal à avoir un prêt.
Quant aux jeunes, je ne crois pas que cette liberté d'installation soit le bon système. Qu'il y ait des difficultés d'installation je n'en doute pas mais si vous regardez une étude comme la mienne avec 23 salariés et quatre notaires, on ne peut pas être plus. Et cela pose la question, en amont, de ceux qui ont acheté des charges. J'ai de jeunes clercs devenus mes associés qui ne sont pas issus de milieux fortunés et pour lesquels ça a été une chance. Ils ont dû emprunter 100% sur 15 ans. Aujourd'hui ils n'ont pas plus de revenu qu'en tant que clerc parce qu'ils remboursent. Si demain quelqu'un peut s'installer en face librement alors qu'eux n'ont pas eu de solution d'accompagnement, ce n'est pas normal.
Questionnaire de Désiré Dalloz
Quel est votre pire ou meilleur souvenir d'étudiant ?
J'ai fait mon DESS de notariat en même temps que mon DEA de droit privé. Or mon grand écrit de droit privé à Paris 1 et mon écrit de notariat à Paris 2 sont tombés le même jour à la même heure. Et j'ai dû renoncer à l'un. J'ai fait le choix d'aller passer le second. C'était à l'époque Jacques Ghestin qui dirigeait le DEA de Paris 1, je suis allé le voir et il m'a accordé le droit de redoubler mon DEA ce qui était exceptionnel. Je n'avais pas d'autre solution. Ca peut sembler bête mais j'étais l'homme le plus malheureux de la terre.
Quel est votre héros de fiction préféré ?
Rodolphe de Gerolstein, le héros des Mystères de Paris d'Eugène Sue. Il me fascinait quand j'étais adolescent. C'est le prince régnant d'un royaume imaginaire mais il est capable de se déguiser, se fondre dans la foule pour aider les plus petites gens de Paris. Et on le découvre dans les bas-fonds, faisant oublier sa condition pour se mettre au service des autres. Quand il devait être prince, il était prince et s'il devait être ouvrier au milieu des ouvriers de Paris, il y était aussi. Je ne dis pas que je fais ça comme notaire mais quand je dis que j'ai toujours aimé me mettre au service des clients quelque soit leur image, j'avais toujours quelque part en tête, à ma petite échelle, Rodolphe, le héros d'Eugène Sue.
Quel est votre droit de l'homme préféré ?
J'y avais réfléchi avant les évènements du 13 novembre mais ça résonne encore plus aujourd'hui. Ma réponse est l'article 3 de la Déclaration universelle des droits de l'homme des nations unies (DUDH) qui dit que tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne. J'ai toujours trouvé que c'était un article extraordinaire car il est vraiment dans la protection de la dignité de chacun. A titre personnel j'ai toujours été très sensible au droit à la vie et au droit à la protection de tout le monde. Je pense que c'est un des grands manques de notre société à de nombreuses échelles aujourd'hui.
Carte d'identité du notaire
Incontournable en France, le métier de notaire est très répandu dans le monde. Il est actuellement pratiqué dans 86 pays et notamment 22 de l'Union européenne. En France, le notariat a rapporté, en 2014, 6,47 milliards d’euros de chiffre d’affaires, enregistré 3,71 millions d’actes authentiques et collecté 2,2 milliards d'euros d'impôts pour le compte de l'Etat.
■ Les chiffres
9651 notaires en exercice et 48095 collaborateurs selon le rapport d'activité 2014
15% de notaires sont des enfants de notaires
4568 offices notariaux et 1330 bureaux annexes
35% sont des femmes (contre 28% en 2010)
48 ans de moyenne d'âge
■ La formation et les conditions d'accès
1/ Formation universitaire : l'étudiant doit justifier d'un master 1 minimum avant de passer son master 2 en droit notarial. Il prépare ensuite son DSN (diplôme supérieur de notariat) en 24 mois, en participant à un stage en office notariale en alternance avec une formation de 4 semestrialités dispensées conjointement par l’université associée à un centre de formation professionnelle des notaires (CFPN).
2/ Formation professionnelle : elle exige de passer par un centre de formation professionnelle des notaires (CFPN).
Depuis le 1er janvier 2014, le notaire stagiaire, titulaire d'un master 2 en droit, devra effectuer un module initial d'enseignement (1 mois à temps plein), valider cinq modules (stage en alternance de 30 mois rémunéré en office) et rédiger un rapport de stage. Le diplôme de notaire obtenu, le notaire assistant validera son stage de futur notaire afin d'exercer en tant que notaire.
3/ Troisième voie, en interne : elle permet aux personnes ayant exercé des activités professionnelles auprès d'un notaire (ou d'un organisme notarial) depuis plus de 9 ans, dont 6 après l'obtention du diplôme de 1er clerc ou du diplôme de l'Institut des Métiers du Notariat (IMN) d’accéder à la fonction de notaire après un examen de contrôle des connaissances techniques.
■ Les domaines d'intervention
Droit de la famille et des régimes matrimoniaux, droit des successions, droit immobilier, droit fiscal, droit des affaires, droit de l'urbanisme, droit de l'environnement, aménagement du territoire, droit des collectivités territoriales.
■ Le salaire
Selon le rapport de l'Inspection générale des finances sur les professions réglementées de mars 2013, la rémunération moyenne d'un notaire titulaire ou associé d'une étude est de 16000€/mois, celle d'un notaire salarié est de 4000€/mois. Quant à celle d'un notaire assistant, elle est de 2000€/mois.
■ Les qualités requises
Polyvalence, rigueur, éthique, probité, impartialité, confidentialité.
■ Les règles professionnelles
Secret professionnel ; responsabilité civile, pénale, disciplinaire.
■ Le site Internet :
Notaires de France : http://www.notaires.fr/fr
Conseil supérieur du notariat : http://www.notaires-rapportannuel2014.fr/
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