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Le nu et le droit
En décembre 2014, Christiane Lecocq, la pionnière du naturisme, décédait à l’âge de 103 ans à Chatou (Yvelines). Bien que le temps ne s’y prête pas, Dalloz Actu Étudiant souhaite faire le point sur le nu et le droit. Olivier Le Bot, professeur de droit public à l’Université d’Aix-Marseille, nous éclaire sur ce thème.
Selon quel principe le nudisme est-il autorisé ? Quelles en sont les modalités ?
Dans le régime libéral qui est le nôtre, le fait d’être nu est admis – donc implicitement autorisé – dès lors qu’il ne tombe pas sous le coup d’une interdiction. C’est une application particulière du principe de liberté tel qu’il découle des articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. En matière de nudité comme ailleurs, la liberté est la règle et la restriction l’exception ; et ce qui n’est pas interdit par la loi est autorisé.
Les manifestations de cette liberté sont toutefois différentes dans l’espace public et dans l’espace privé. Dans la sphère intime, lorsque l’individu est seul et n’est pas visible depuis l’extérieur, il agit bien entendu comme bon lui semble et peut se dénuder s’il le souhaite. Mais dans l’espace public, et plus largement dès lors que le corps peut être vu d’autrui, la société a son mot à dire et peut poser des limites.
La disposition pertinente à cet égard est l’article 222-32 du Code pénal, qui punit « l’exhibition sexuelle » lorsqu’elle est imposée à la vue d’autrui dans un lieu accessible aux regards du public. Dans l’application de cet article, les tribunaux distinguent deux situations. Lorsque l’individu se trouve dans une ambiance nudiste, le fait d’afficher sa nudité ne pose aucun problème. On peut donc, et c’est le cas typique, être nu sur une plage naturiste. En revanche, hors environnement nudiste, le fait d’afficher sa nudité tombe sous le coup de l’article 222-32 du Code pénal. Par exemple, commet le délit le nudiste qui quitte la plage et rejoint sa voiture en « oubliant » de se rhabiller. De même, une personne ne peut être nue dans sa voiture ou dans son jardin si des passants ou des voisins sont susceptibles de la voir.
En bref et pour le dire simplement, le fait d’être nu au milieu de personnes que cela ne gêne pas est autorisé ; mais le fait de montrer sa nudité à des personnes qui n’y ont pas consenti est interdit.
Qu’est-ce qui permet aux autorités administratives de restreindre le port du maillot de bain, par exemple, aux abords des plages ? Dans quelles limites ?
C’est, très classiquement, au titre de leurs pouvoirs de police administrative que les autorités publiques interviennent en la matière. Concrètement, des maires de communes du littoral interdisent, durant la période estivale, de se promener dans la ville en portant uniquement un maillot de bain.
On constate que ces interdictions n’ont pas généré de contentieux. Le plus souvent, un rappel à la loi suffit et les contrevenants à l’arrêté remettent leur t-shirt sur-le-champ à la demande des agents de police. Il n’y a donc de contestation, ni devant le juge pénal ni devant le juge administratif.
En l’absence de décision de principe, il faut donc raisonner par rapport aux grandes règles qui gouvernent la police administrative : une mesure restrictive de liberté n’est légale qu’à la condition d’être nécessaire et proportionnée.
Commençons à l’envers, avec la condition de proportionnalité, car celle-ci est la plus simple à envisager. L’interdiction ne doit pas être générale et absolue ; elle doit en particulier être limitée dans l’espace : elle peut concerner les artères du centre-ville voire peut-être tout le territoire de la ville ; mais elle serait à l’évidence illégale si elle s’appliquait aux routes qui bordent les plages et a fortiori aux plages elles-mêmes.
La condition de nécessité est plus délicate : la mesure doit être justifiée par une menace de trouble à l’ordre public. Mais quelle dimension de l’ordre public est ici en jeu ? Ce n’est pas la salubrité, la tranquillité et encore moins la sécurité publiques. En revanche, il doit être possible de ranger derrière la notion, un peu floue, de « bon ordre », une certaine conception de ce qui est admissible ou non comme tenue vestimentaire dans l’espace public. À cet égard, le Conseil d’État, dans son arrêt Beaugé de 1924, avait reconnu au maire le pouvoir d’utiliser ses pouvoirs de police pour veiller au respect de la « décence ». Cela concernait alors le fait de s’habiller et de déshabiller sur la plage. Mais la même notion de décence peut vraisemblablement être transposée à la question de la tenue à porter dans les rues d’une ville, serait-elle une station balnéaire, pour donner une justification à la restriction apportée à la liberté de se vêtir.
Est-ce que le fait d’exposer sa poitrine sur la place publique est systématiquement un délit ?
La question nous ramène de nouveau au délit d’exhibition sexuelle. Il y a 50 ans, cette incrimination avait servi de fondement pour condamner une femme qui avait participé à une partie de ping-pong sur la Croisette les seins entièrement nus. C’était en 1965. La même année, une autre femme avait elle aussi été condamnée pour avoir performé un spectacle où elle exhibait sa poitrine dans les rues d’une ville.
Depuis lors, les condamnations se sont taries voire ont cessé. Il faut dire que l’exhibition de la poitrine est largement acceptée par la société : à la plage, dans les clips, dans les films, sur les affiches, etc. On aurait pu en conclure, il y a quelques mois encore, que le fait d’exposer sa poitrine sur la place publique n’était plus un délit. Mais à l’automne 2014, deux militantes féministes appartenant aux Femen ont été condamnées coup sur coup pour avoir exhibé leur poitrine dans un musée et dans une église.
Faut-il voir dans ces condamnations un regain de puritanisme ? On peut en douter. Ce que les tribunaux ont voulu sanctionner dans ces deux affaires, ce n’est pas la nudité mais un mode d’utilisation de cette nudité. Les juges ont exprimé une hostilité à une forme donnée d’expression plus qu’au fait d’exposer publiquement sa poitrine.
Quel dispositif juridique encadre l’exhibition sexuelle ?
Ce dispositif a été évolutif. On parlait traditionnellement « d’outrage public à la pudeur ». Depuis le Code pénal de 1994, l’expression utilisée est celle « d’exhibition sexuelle ». Malgré le changement de dénomination, l’idée est demeurée globalement la même : il s’agit de poser des limites à l’exposition des parties intimes des êtres humains ; d’encadrer la façon dont on peut montrer ou afficher son sexe de façon publique. Les questions que soulève cet encadrement n’ont pas véritablement changé avec les années : que peut-on montrer ? que ne peut-on pas montrer ? de quelle manière ? dans quel cadre ? qu’est-ce que le sexe – en tant qu’organe ?
Aujourd’hui, la définition de l’exhibition sexuelle est arrêtée par l’article 222-32 du Code pénal. En avril 2014, la Cour de cassation a considéré que cette définition ne méconnaissait pas l’exigence constitutionnelle de précision de la loi pénale. Trois éléments la caractérisent :
– il faut, d’abord, que le sexe soit exhibé, et ce d’une manière impudique, c’est-à-dire de façon choquante ou offensante : une nudité sobre, le temps de s’habiller dans un vestiaire ou de se doucher dans une piscine, n’est pas concernée ;
– ensuite, l’exhibition doit être publique. Elle a été aperçue par un témoin involontaire, ou elle pouvait l’être de ce tiers qui n’a pas recherché le spectacle qui s’est offert à lui ;
– enfin, et c’est l’élément moral de l’infraction, l’auteur des faits a eu la conscience ou la volonté d’offenser la pudeur d’autrui. D’ailleurs, même sans volonté d’exhibition, cet élément est caractérisé si l’intéressé n’a pas pris suffisamment de précaution pour dissimuler ce qui devait l’être.
De manière générale, on constate que l’évolution des mœurs a conduit à raréfier les poursuites et les condamnations prononcées au titre de ce délit. Celui-ci pourrait néanmoins gagner de nouvelles terres : en 2009, la cour d’appel de Nîmes a condamné sur ce fondement un individu qui, après avoir échangé avec deux personnes par webcam, avait baissé son pantalon et exhibé son sexe devant celles-ci. L’évolution des mœurs et plus largement de la notion de pudeur avaient conduit à tarir les mises en œuvre de l’article 222-32 du Code pénal. Chatroulette pourrait bien relancer l’application de cette disposition !
Le questionnaire de Désiré Dalloz
Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ? Ou le pire ?
Les soirées étudiantes : c’est sûrement le meilleur souvenir en termes de convivialité. C’est peut-être aussi le pire souvenir lorsqu’il fallait être en cours le lendemain à 8 heures en essayant d’être opérationnel…
Quel est votre héros de fiction préféré ?
Je dirais…Le Poulpe. C’est un héros de roman et de bande dessinée. Il a été incarné au cinéma par Jean-Pierre Darroussin, aux côtés d’une Clotilde Courau… resplendissante.
Quel est votre droit de l’homme préféré ?
Du tac au tac, et par rapport à mes axes de recherche, je répondrais le droit au juge.
Références
■ Article 222-32 du Code pénal
« L'exhibition sexuelle imposée à la vue d'autrui dans un lieu accessible aux regards du public est punie d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende. »
■ Déclaration des droits de l’homme et du citoyen
« Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l'oppression. »
« La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi. »
■ CE 4 juillet 1924, Beaugé, Rec. Lebon 641.
■ Crim. 9 avr. 2014, n°14-80.867.
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