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Le parlementarisme rationalisé aujourd’hui
« Quels sont les pouvoirs de nos députés et de nos sénateurs sous la Ve République ? » Il nous faut alors parler de parlementarisme rationalisé. Thomas Ehrhard, maître de conférences à l’Université Paris II Panthéon-Assas, coauteur d’un manuel de Droit constitutionnel avec Hugues Portelli, a bien voulu répondre à nos questions sur les institutions nationales.
Pourquoi rationaliser le parlementarisme en 1958 ?
Au printemps 1958, le fragile régime de la IVe République, caractérisé par la suprématie du parlement, affronte une crise (« putsch d’Alger »), qu'il ne peut maîtriser. Le président de la République René Coty fait alors appel au général de Gaulle pour constituer un gouvernement. Le général est investi par l'Assemblée nationale et les pleins pouvoirs sont accordés au gouvernement pour six mois. Surtout, la loi constitutionnelle du 3 juin 1958, portant dérogation transitoire aux dispositions de l'article 90 de la Constitution concernant la révision, va permettre l’élaboration d’une nouvelle Constitution (qui deviendra la Constitution du 4 octobre 1958).
La Constitution de la Ve République, comme presque toutes ses devancières, est donc le fruit d'une grave crise politique, à laquelle elle cherche à apporter des solutions.
Celles-ci se trouvent dans les idées constitutionnelles du général De Gaulle, connues depuis le discours de Bayeux du 16 juin 1946, en lien avec les thèses de Michel Debré, le garde des Sceaux, lui aussi favorable à une « monarchie républicaine ». Ce dernier va définir concrètement le « parlementarisme rationalisé », où un gouvernement fort serait capable de brider les chambres grâce à la maîtrise de la procédure législative et budgétaire et à une limitation drastique de l'engagement de responsabilité du cabinet devant le parlement.
Quels sont les mécanismes en relevant dans la Constitution ?
Le parlementarisme rationalisé correspond à l’évolution du régime parlementaire, par des dispositions constitutionnelles spécifiques, par des mesures juridiques ou par la pratique politique, qui s’opère à la faveur du pouvoir exécutif (Premier ministre et gouvernement).
La rationalisation porte principalement sur le travail législatif et la mise en jeu de la responsabilité politique du gouvernement.
D’un côté, elle concerne le domaine de la loi, avec la diminution des prérogatives parlementaires dans la gestion de la procédure législative, de même que la limitation de l'initiative législative, soit en matière financière et budgétaire, soit en matière d'amendement.
De l’autre, elle consiste en la mise en place de procédures visant à rendre plus difficile le renversement des gouvernements, dans le but de limiter les risques d’instabilité gouvernementale.
La Constitution comporte plusieurs articles qui précisent ces mécanismes, comme l’article 40 ou l’article 49 alinéa 3.
Quels sont les écueils aujourd’hui de cette rationalisation ?
La rationalisation du parlementarisme est critiquée aujourd’hui lorsque des projets de loi sont adoptés au Parlement grâce aux mécanismes de la rationalisation, en dépit des oppositions (sociales et parlementaires).
Ces critiques sont d’autant plus fortes dans le contexte actuel de majorité parlementaire relative car le gouvernement a plus besoin de ces mécanismes pour faire adopter ses réformes clivantes qu’en situation de majorité absolue.
Toutefois, il ne faut pas oublier que les parlementaires des oppositions ont utilisé les mécanismes de la Constitution pour entraver le gouvernement, en pratiquant une obstruction par le dépôt massif d’amendements ou en déposant des motions de censure. Depuis la nomination d’Élisabeth Borne, la plupart des 17 motions de censure déposées en un an ont ainsi été des réponses à l’utilisation de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution.
La dénonciation des pratiques et de la Constitution dépend en réalité surtout de la position politique des acteurs (majorité ou opposition). Plus qu’un écueil de la rationalisation, qui est utilisée conformément aux règles fixées et aux objectifs qui lui sont assignés, les critiques sont donc surtout des critiques du gouvernement et du président de la République, dans une Assemblée nationale qui connaît depuis 2022 une polarisation politique plus forte, avec près de 30 % des députés qui sont issus de LFI ou du RN.
Comment y remédier, selon vous ?
La Constitution n’a pas vocation à être modifiée à chaque épisode politique tumultueux. La simple dénonciation de la Constitution est une solution de facilité qui n’apporte pas de solution.
De plus, il ne faut pas oublier, dans un passé encore récent, que l’article 49 alinéa 3 n’a, par exemple, pas été utilisé pendant près de dix ans, entre 2006 et 2015, ni que la révision constitutionnelle de 2008 a déjà cherché à revaloriser le Parlement en limitant, par exemple, l’utilisation de l’article 49 alinéa 3 aux projets de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale et à un seul autre projet ou proposition de loi par session. Ces exemples démontrent que la situation est aujourd’hui conjoncturelle et le problème de nature plus politique que constitutionnelle.
Le questionnaire de Désiré Dalloz
Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ? Ou le pire ?
Mon meilleur souvenir d’étudiant est certainement l’année de Master 2 à l’Université Paris II Panthéon-Assas qui a été particulièrement épanouissante. Avec une promotion de 25 étudiants, des professeurs de grande qualité avec lesquels il était possible d’échanger, des enseignements en format séminaire sur des matières spécialisées, tout cela a été très stimulant. Cette année a aussi marqué la fin d’un cycle universitaire et l’ouverture vers le doctorat.
Quel est votre héros de fiction préféré ?
Calvin de la bande dessinée Calvin et Hobbes. Les aventures et les remarques sarcastiques et ironiques de ce petit garçon sur la société sont réjouissantes.
Quel est votre droit de l’homme préféré ?
L’article 16 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 selon lequel « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution » : l’un des piliers du constitutionnalisme, et un article bien connu des étudiants dans le cours de Droit constitutionnel.
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