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[ 14 octobre 2021 ] Imprimer

Le Parquet européen

Le Parquet européen a été institué le 12 octobre 2017 par le règlement du Conseil de l’Europe signé par 22 États membres sur 27. Dans le but de lutter contre la fraude et de préserver les fonds de l’UE, le Parquet s’est vu attribué de réelles compétences importantes en juin 2021. Juliette Lelieur, professeure à l’Université de Strasbourg, nous répond sur les nouvelles attributions de cet organe indépendant de l’Union européenne.

■ Quelles sont les raisons qui ont motivé la création d’un Parquet européen ? 

Les fraudes qui amputent le budget de l’Union européenne sont très nombreuses. Tantôt elles restreignent les recettes de l’Union, tantôt elles gonflent artificiellement ses dépenses. On évalue pour l’année 2018 un montant global de fraudes à environ 1,2 milliards d’euros, ce qui est une somme colossale. Certes, les États membres ont depuis une vingtaine d’années mission de sanctionner pénalement ces fraudes. Mais la répression mise en œuvre s’est avérée lacunaire et inégale d’un État à l’autre. La création du Parquet européen entend remédier à cette situation. L’existence d’un organe unique de poursuite, relevant de l’Union elle-même – qui a un intérêt direct à initier des procédures puisqu’il en va de la protection de ses intérêts financiers –, qui est à la fois spécialisé et équipé pour traiter ce type de délinquance, est source d’espoir pour endiguer les fraudes. 

■ Quelles sont ses missions actuelles ?

La mission d’un parquet est de poursuivre en justice les personnes – physiques ou morales – contre lesquelles il existe des preuves de la commission d’une infraction pénale. Le Parquet européen représente les intérêts du corps social européen, comme les procureurs nationaux représentent les intérêts du corps social national. Le jugement, en revanche, relève d’une juridiction de jugement. Comme il n’existe pas de juridiction pénale européenne, le Parquet européen portera les affaires devant les juridictions pénales nationales, par l’intermédiaire des procureurs européens délégués dans chaque État membre. 

La compétence du Parquet européen se limite à la répression des fraudes au budget de l’Union. Comme ce domaine d’action concerne la défense d’un intérêt propre de l’Union, le caractère supranational de l’organe a toute sa légitimité et c’est également dans ce domaine qu’il peut développer un savoir-faire que n’ont pas les procureurs nationaux. Un jour viendra peut-être où le champ de compétence du Parquet européen sera étendu. Mais la jeune institution doit d’abord faire ses preuves et asseoir sa crédibilité dans l’ensemble de l’Union. 

■ Face à la multiplication des compétences attribuées aux procureurs européens délégués, pouvons-nous nous attendre à des conflits de compétence avec les juges nationaux ?

Les procureurs européens délégués disposent de pouvoirs d’enquête significatifs, qui comprennent des pouvoirs coercitifs importants. En France, une partie de ces pouvoirs revient en principe au juge d’instruction. Mais il faut comprendre que la plupart des États membres ne connaissent pas – ou ont renoncé à – la figure du juge d’instruction, si bien que la situation française est particulière. Le choix aurait pu être fait de mobiliser davantage le juge des libertés et de la détention pour autoriser les mesures les plus intrusives. Il est regrettable que le législateur français ne se soit pas davantage engagé dans cette voie. 

Quant aux conflits de compétences entre magistrats, ils ont été anticipés par un dispositif émanant du règlement européen de 2017 et de sa transposition en droit français par une loi du 24 décembre 2020. Les praticiens qui l’inaugureront devront privilégier le dialogue pour éviter d’éventuelles crispations. Si certaines règles peuvent paraître délicates à mettre en œuvre, il faut se référer à l’esprit du dispositif, qui est de donner la priorité au Parquet européen – y compris ses délégués dans les États membres – sur les instances nationales. 

■ Faut-il craindre l’émergence d’un droit pénal européen, tant de disparités existent au sein des États membres ?

Il est vrai que le droit pénal ne saurait se distancier de la culture sociale des communautés qu’il régit, comme il est vrai que d’un bout à l’autre de l’Union européenne, la culture sociale n’est pas la même. Cependant, des principes communs nous unissent et ils sont particulièrement forts dans le domaine économique. C’est pourquoi l’essor d’un droit pénal économique européen n’est pas à craindre, à mon avis. Au contraire, il doit nous permettre de forger une compréhension commune de l’interdit, des lignes rouges dans le domaine économique, et de la manière de sanctionner le non-respect de cet interdit. L’Europe sera plus forte sur l’échiquier mondial si elle parle d’une seule voix en matière de lutte contre la fraude, la corruption, le blanchiment d’argent, peut-être même un jour les infractions fiscales, dont le caractère transnational croît sans cesse. 

Les règles relatives à la justice pénale sont elles aussi différentes d’un État à l’autre, mais nous avons tout intérêt à les rapprocher progressivement pour faciliter la coopération interétatique en matière pénale et rassembler les citoyens européens autour de valeurs aussi fondamentales que la Justice et les droits des justiciables au cours d’un procès pénal. 

Le questionnaire de Désiré Dalloz

Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ?

Il remonte à la préparation de mon doctorat. Ma directrice de thèse avait organisé une rencontre sur le travail de thèse pendant trois jours, à la campagne dans le massif central, avec sept ou huit autres professeurs de droit pénal dirigeant également des thèses et une vingtaine d’étudiants-thésards venant de toute la France. Nous avons fait connaissance dans la convivialité. Nous pouvions interroger les enseignants très librement, leur demander leur avis sur notre travail de thèse sans être obligés de le suivre ensuite, les associer aux difficultés que nous rencontrions et bénéficier de leurs conseils. J’ai pris conscience que nous étions tous chercheurs, les uns très expérimentés, les jeunes professeurs un peu moins, les bébés-chercheurs que sont les thésards pas du tout. Tous ont des incertitudes, tous ont aussi des convictions. Une communauté se formait et elle se retrouvait autour de valeurs généreuses. 

Quels sont votre héros et votre héroïne de fiction préférés ?

Agrippine dans la BD de Claire Bretécher ; Charlie Gordon dans « Flowers for Algernon », de Daniel Keyes. 

Quel est votre droit de l’homme préféré ?

Mon « droit de l’homme » préféré est plutôt un « droit humain ». La question n’est pas facile, mais disons que la liberté protégée par le droit à la sûreté (à ne surtout pas confondre avec la sécurité) m’est très chère. Le droit à l’éducation, droit primordial des enfants et des jeunes adultes, me tient très à cœur également. 

 

 

Auteur :Marina Brillié-Champaux et Saffa Merabet


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