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[ 7 juillet 2022 ] Imprimer

Le procès des attentats du 13 novembre 2015

La Cour d’assises spéciale de Paris a rendu son verdict dans le procès sur les attentats du 13 novembre 2015. Le nombre de morts ce soir-là s’élève à 132. Il y a eu plus de 350 blessés. Les magistrats ont entendu les accusés, les parties civiles et leurs avocats pendant les 10 mois d’audience. Joana Falxa, maître de conférences à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour, nous explique les condamnations prononcées dans ce procès historique.

Comment le fait de terrorisme modifie-t-il les peines prononcées ? 

Il faut d’abord indiquer qu’au stade de la peine encourue, le fait de terrorisme entraîne généralement une aggravation d’un degré : toute infraction commise dans un contexte terroriste se voit assortie d’une sanction d’un degré supérieure à celle encourue pour cette même infraction en droit commun. À titre d’exemple, le meurtre « simple » est passible d’une peine de 30 ans de réclusion criminelle ; le meurtre commis dans un contexte terroriste sera quant à lui passible de la réclusion criminelle à perpétuité, à savoir le degré de peine immédiatement supérieur au précédent, et en l’occurrence la peine la plus lourde prévue au sein de l’échelle des peines en France. Alors bien évidemment, ceci n’incite pas à la clémence. 

L’extrême gravité des faits concernés, l’immense impact social et médiatique des infractions terroristes, la très grande diversité des victimes sont ensuite autant de facteurs qui pèsent sur l’opinion publique et sur le sentiment du public sur ce que devrait être la sanction de tels faits, à savoir, de toute évidence, la peine la plus lourde. Certes, la cour d’assises spéciales compétente pour juger les faits de terrorisme est uniquement composée de magistrats professionnels (contrairement aux cours d’assises compétentes pour juger les crimes de droit commun les plus graves), magistrat que l’on serait tenté d’imaginer immunes à l’opinion publique, imperméables au bruit de la presse. Mais en pratique, il est difficile de faire abstraction de l’onde de choc et du profond trouble à l’ordre public suscité par les divers attentats qu’a connu la France au cours de la décennie passée. Les réquisitions du parquet dans le cadre du procès des attentats du 13 novembre 2015 étaient de manière générale très élevées, atteignant souvent le maximum prévu par la loi. Les magistrats ont globalement suivi ces réquisitions pour les accusés les plus directement impliqués dans l’organisation des attentats, mais ils s’en sont éloignés pour ceux que le parquet a désigné comme « les petites mains » de ces attentats (ceux qui ont contribué au support logistique) en prononçant à leur encontre des peines moindres que celles requises.

Qu’est-ce que la peine de réclusion criminelle à perpétuité assortie d’une période de sûreté incompressible prononcée à l’encontre de Salah Abdeslam ? 

La peine de réclusion à perpétuité est la peine la plus lourde existant en droit pénal français. Il s’agit d’une peine dont la durée n’est pas déterminée à l’avance, mais qui peut en théorie s’étendre sur toute la durée de vie du condamné. En pratique, après l’écoulement d’un certain délai, tout condamné à une peine privative de liberté peut en principe bénéficier d’aménagements de peine et ainsi regagner progressivement la liberté. Toutefois, afin de garantir l’exécution d’une partie de la peine et s’assurer de la mise à l’écart du condamné, il est possible pour la juridiction de jugement d’assortir cette peine d’une période de sûreté : il s’agit d’une période de temps pendant laquelle la personne condamnée à une peine privative de liberté sans sursis ne peut prétendre à l’aménagement de sa peine, que ce soit sous forme de suspension, de fractionnement de la peine, de placement à l’extérieur, de permissions de sortir, de semi-liberté ou de libération conditionnelle. 

La durée légale de cette période de sûreté est en règle générale égale à la moitié de la peine prononcée, et elle peut être portée jusqu’à 18 ans en cas de peine de réclusion criminelle à perpétuité (C. pén., art. 132-23). Des maxima qui peuvent toutefois être dépassés et portés respectivement aux deux tiers de la peine ou jusqu’à 22 ans en cas de perpétuité sur décision spéciale de la juridiction de jugement. Mais dans le cas de Salah Abdeslam et de cinq de ses coaccusés (vraisemblablement décédés entre la Syrie et l’Irak), la période de sûreté prononcée est dite « perpétuelle », car elle couvre l’intégralité de la peine de réclusion criminelle à perpétuité prononcée à leur encontre. De fait, cette modalité est souvent désignée comme une peine de perpétuité incompressible, ou une « perpétuité réelle », dans le sens où le condamné ne peut prétendre à aucun aménagement de sa peine pendant toute la durée de celle-ci.

Quelle construction juridique a permis cette condamnation ? 

La période de sûreté incompressible existe dans notre droit depuis 1994. Elle a été instaurée à l’époque en réaction à un crime particulièrement odieux commis sur une mineure. Elle n’était alors prévue que pour les cas de meurtre ou d’assassinat commis sur un mineur de quinze ans, précédé ou accompagné d’un viol, de tortures ou d’actes de barbarie (C. pén., art. 221-3 et 221-4). Elle a par la suite été étendue à deux reprises : une première fois en 2011, avec la loi LOPPSI du 14 mars 2011, qui l’élargit aux cas de meurtre ou d’assassinat commis sur un magistrat, un fonctionnaire de la police nationale, un militaire de la gendarmerie, un membre du personnel de l’administration pénitentiaire ou toute autre personne dépositaire de l’autorité publique, à l’occasion de l’exercice ou en raison de ses fonctions ; une seconde fois avec la loi du 3 juin 2016, en réaction précisément aux attentats des 7 janvier et 13 novembre 2015, qui étend cette fois la période de sûreté perpétuelle aux crimes terroristes pour lesquels est encourue la réclusion criminelle à perpétuité (C. pén., art. 421-7). 

Le Conseil constitutionnel a toutefois déjà eu l’occasion de préciser que la période de sûreté, tout comme la peine, est soumise au principe de non-retroactivité de la loi pénale plus sévère (décis. no 86-215 DC, 3 sept. 1986, cons. 23 et 24) : les accusés dans le cadre du procès des attentats du 13 novembre ne pouvaient donc se voir condamner à cette période de sûreté incompressible sur le fondement de l’extension issue de la loi du 3 juin 2016. C’est en s’appuyant sur les condamnations du chef de tentative de meurtre sur des personnes dépositaires de l’autorité publique (cas de figure prévu depuis 2011) que Salah Abdeslam et les autres accusés concernés ont pu être condamnés à cette peine de « perpétuité réelle ».

Cette condamnation est-elle définitive ? 

La décision ne sera définitive qu’une fois le délai d’appel de 10 jours écoulé sans appel d’aucune des parties. Ensuite, la condamnation devient définitive. Cela signifie-t-il pour autant que Salah Abdeslam finira ses jours en prison ? Pas nécessairement. En effet, pour que les peines de réclusion à perpétuité dites incompressibles ne soient pas considérées comme des peines et traitements inhumains et dégradants, la Cour européenne des droits de l’homme exige que le condamné conserve un espoir de libération, par l’instauration d’un mécanisme de réexamen de la peine « dans un délai de vingt-cinq ans au plus après l’imposition de la peine perpétuelle » (Vinter et autres c. Royaume Uni ([GC], nos 66069/09, 130/10 et 3896/10, 9 juill. 2013). En France, l’art. 720-4 du Code pénal prévoit que la durée d’incarcération subie avant de pouvoir demander le relèvement de la période de sûreté perpétuelle ne peut être inférieure à trente ans (ce qui n’est pas nécessairement contraire aux exigences de la CEDH, car sera compté dans la durée d’incarcération le temps passé en détention provisoire, là où la jurisprudence européenne prévoit une durée de 25 ans à compter de la condamnation : en ce sens, Bodein c. France, no 40014/10, 13 nov. 2014). 

Ceci signifie que Salah Abdeslam pourra, si la condamnation devient définitive, demander le relèvement de sa période de sûreté à l’issue de 30 ans d’incarcération. Ce relèvement ne lui sera toutefois accordé qu’à titre exceptionnel, après avis d’un collège d’experts concernant sa dangerosité et s’il présente des gages sérieux de réadaptation sociale. Il faut en outre rappeler que cela n’entraîne en aucun cas sa remise en liberté automatique : le relèvement lui permet tout au plus de solliciter des aménagements de peine. Or, en cas de condamnation du chef d’infractions terroristes, les conditions d’octroi de ces aménagements sont particulièrement restrictives (v. ainsi, pour la libération conditionnelle, art. 730-2-1 du Code pénal, imposant notamment la condition d’absence de trouble grave à l’ordre public par la décision de libération conditionnelle). En résumé, si la peine prononcée n’emporte pas une incarcération irrémédiablement définitive, les perspectives de remises en liberté pour le condamné demeurent lointaines et bien ténues.

Le questionnaire de Désiré Dalloz

Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ?

Il y en a tellement… Et pas uniquement sur les bancs de la faculté ! Mais de mes souvenirs d’étude, je retiens notamment les cours passionnants de Mme le Pr. Maïté Lafourcade, en Histoire du droit, en première année de Deug, ou encore l’attrait surprenant du Droit administratif enseigné par M. le Pr. Henri Labayle, à la faculté de droit de Bayonne. Les premières années d’études sont celles qui nous font comprendre et, parfois, aimer le droit, c’est pourquoi je pense que les maîtres rencontrés durant ces années-là sont essentiels dans le parcours de formation de tout juriste.

Quels sont votre héros et votre héroïne de fiction préférés ?

Là encore, il est difficile de faire un choix. Pour l’héroïne, je dirais qu’en ce moment j’ai souvent à l’esprit Betty, l’héroïne d’un roman éponyme très récent de Tiffany McDaniel, une jeune métisse cherokee, dont la force et l’indépendance de caractère m’ont beaucoup touchée. Elle rejoint en réalité mon panthéon personnel des héroïnes fortes, aux figures très variées, qui suivent leur chemin avec détermination et néanmoins avec une profonde empathie pour le monde qui les entoure (Jane Eyre, Louise dans Thelma et Louise, Elizabeth Benet dans Orgueil et préjugés, Mafalda ! et bien d’autres encore). Pour le héros de fiction préféré, j’ai également beaucoup d’idées. Mais pour que cet entretien passe le test de Bechdel, je m’abstiendrai d’en nommer.

Quel est votre droit de l’homme préféré ?

Puisqu’il faut choisir, mon droit de l’homme préféré est le droit au respect de la dignité humaine, car il fait référence à ce qui nous réunit en tant qu’êtres humains, le plus petit dénominateur commun en quelque sorte, qui nous force à reconnaître dans l’autre, quel qu’il soit, la même humanité que la nôtre, et donc à lui reconnaître les mêmes droits humains que les nôtres.

 

Auteur :Marina Brillié-Champaux


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