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[ 1 octobre 2020 ] Imprimer

Le projet de loi de programmation de la recherche 2021-2030

Ce mois de juillet 2020, la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, Frédérique Vidal, a présenté un projet de loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l’enseignement supérieur. Ce texte suscite de nombreuses critiques, notamment dans le milieu médical. Pour nous éclairer sur la filière Droit, Véronique Champeil-Desplats, professeure à l’Université Paris-Nanterre, vice-présidente déléguée à la recherche de l'Université Paris Nanterre, vice-présidente de la Section 02 du CNU, a bien voulu répondre à nos questions.

Quels sont les enjeux nationaux et internationaux pour la recherche et l’enseignement supérieur ?

Dans un contexte marqué, à la fois, par une très forte internationalisation de l’élaboration et de la diffusion des savoirs et par un climat de compétition accrue entre les équipes de recherche, toute politique nationale de programmation de la recherche sur une décennie est contrainte de se préoccuper des moyens affectés. D’autant que ce nouveau contexte, qui a rapidement pris corps depuis la fin des années 1990, est porteur d’un changement paradigmatique de la conception même de l’organisation et du fonctionnement de la recherche ainsi que de son articulation avec l’enseignement supérieur. Au passage, cette articulation reste un des grands impensés de l’actuel projet de loi qui, comme son intitulé l’indique, programme la recherche. Compétition, évaluation, concurrence, projet, objectif, attractivité, efficacité, innovation… : chacun notera les glissements sémantiques opérés dans ce projet de loi qui entend situer dans un marché de la recherche et dans une recherche en interaction avec – si ce n’est pour – le marché, des missions jusqu’à présent essentiellement inscrites dans une culture de service public, du temps long, de la réflexion fondamentale détachée de ses retombées technologiques ou économiques immédiates.

Les juristes pourraient se sentir éloignés de ces changements qui, présentés avec ce degré de généralité, semblent essentiellement concerner les sciences exactes, physiques ou de la nature. Ce serait une erreur quand on sait, notamment, que nombre de facultés de droit se situent désormais dans des grands regroupements universitaires dominés par ces sciences et donc leur mode de fonctionnement et d’allocation des moyens. Et, de toutes les façons, le projet de loi ne distingue que très faiblement les divers types de sciences, même après quelques amendements portés en ce sens à l’Assemblée nationale.

Quelles sont les principales dispositions du projet ?

Le projet prévoit d’abord une programmation des moyens budgétaires alloués à la recherche pour les dix années à venir. Il s’agit de raccrocher à l’objectif stratégique européen d’un investissement d’au moins 3 % du PIB duquel la France est d’un des grands États membres les plus éloignés.

Le projet comporte ensuite plusieurs dispositions créant de nouveaux statuts du personnel de la recherche. Ceux-ci se caractérisent par un mouvement de contractualisation qui fait l’objet de très nombreuses réactions. Le mouvement le plus hostile est tourné vers l’instauration de recrutements contractuels de chercheurs pour une durée de 3 et 6 ans ayant vocation à intégrer soit le corps des directeurs de recherche, soit celui des professeurs d’université après la seule décision d’une commission de recrutement, c’est-à-dire sans concours, ni avis préalable du CNU ou des sections concernées du CNRS. Le recours à ce dispositif dit « Tenure track » est justifié par des besoins liés à la stratégie scientifique et l’attractivité internationale, ce qui, par ailleurs, ne manque pas d’interroger à un moment où celles et ceux qui peuvent être identifiés comme étant les plus brillants des générations de jeunes chercheurs formés en France ont la tentation de poursuivre leurs travaux ou leur carrière ailleurs en raison de l’inadéquation des moyens qui ici leur sont offerts. La loi crée également un contrat de mission scientifique à durée indéterminée destiné à mettre fin à des situations de reconduction à répétition de contrats à court terme. Toutefois, ce contrat est étrangement relié à l’échéance de la réalisation de projets ou d’opérations de recherche identifiée. Que deviendra le chercheur contractuel une fois le projet terminé ? Pourquoi – se demandera-t-on naïvement – la voie de l’intégration dans le corps correspondant de la fonction publique n’est pas retenue ?

Pour le reste, la loi entend aussi instituer des séjours de recherche pour les chercheurs et doctorants étrangers en les subordonnant à l’obtention d’un financement, favoriser la mobilité professionnelle des chercheurs, créer des contrats doctoraux financés en entreprise (outre les CIFRE), créer un intéressement des chercheurs aux dispositifs partenariaux qu’ils développent, ouvrir leur possibilité de créer des entreprises ou de participer à des entreprises existantes, renforcer le rôle de l’HCERES (Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur) et les financements par appel à projet de l’ANR (Agence nationale de la recherche).

Les nouvelles ressources financières attribuées correspondent-elles aux besoins des universités ?

L’effort global consenti ne saurait être minimisé, même si l’on peut toujours regretter qu’il ne soit plus significatif encore, tout particulièrement dès les premières années de la programmation, tant la situation financière, humaine et matérielle de nombreuses universités est aujourd’hui tendue et critique.

Mais par-delà la question du montant des besoins qu’il est difficile de chiffrer exactement, c’est plutôt sur la logique globale des modalités de financement qu’il convient d’insister. D’une part, la loi ne parle pas spécifiquement des universités. Elle se rapporte aux financements des activités de recherche quel que soit leur cadre. D’autre part, le mode-type de financement est celui de l’appel à projet. Seules les universités dont les chercheurs seront lauréats d’un projet ANR bénéficieront d’un préciput qui pourra financer d’autres activités internes à l’établissement. Mais ce préciput sera-t-il réellement suffisant pour faire face aux besoins structurels ? Quid des établissements comprenant des chercheurs moins chanceux à l’ANR ? La question du financement des besoins structurels des établissements reste donc entière. 

Faut-il craindre pour la qualité de l’enseignement et de la recherche ?

Les dispositifs de la loi sont entièrement justifiés par les retombées vertueuses attendues en termes d’innovation, d’excellence et d’attractivité de la recherche en France. Il y a pourtant matière à question. Tout d’abord, la contractualisation des activités et du statut des chercheurs ainsi que l’incitation à trouver des financements privés est-elle de nature à favoriser la qualité la recherche ? Nous avons la faiblesse d’en douter. D’ailleurs, comment mesurer cette qualité ; avec des indicateurs quantitatifs et bibliométriques ? Ensuite, nous l’avons souligné, la loi ne dit rien ou que très peu de chose sur les liens entre l’enseignement et la recherche. Tout se passe comme si les chercheurs qu’elles visent n’enseignaient pas ou comme si recherche et enseignement étaient dissociés. Les « super-chercheurs » internationaux (si vous me pardonnez ce terme) qui ont vocation à intégrer le corps des professeurs enseigneront-ils aux étudiants de Licence ? Un corps d’enseignant-chercheurs à deux vitesses semble ici en voie d’accentuation si ce n’est d’éclatement : les « meilleurs » lèveront des fonds pour des recherches finalisées et batailleront au niveau international, les « moins bons » enseigneront… évolution étrange de la conception de notre métier.

Le questionnaire de Désiré Dalloz

Quel est votre meilleur souvenir d’étudiante ?

Le jour où j’ai su que j’en resterais toujours une.

Quels sont votre héros et votre héroïne de fiction préférés ?

Cela dépend des jours : disons, James Bond ou Colombo, Emma Peel ou Claudine.

Quel est votre droit de l’Homme préféré ?

Permettez-moi d’en proposer trois, étroitement combinés : a) « la Nation garantit l'égal accès de l'enfant et de l'adulte à l'instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L'organisation de l'enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l'État », principes sans lesquels je n’aurais jamais été en situation de répondre à ce questionnaire ; b) La Loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. Tous les Citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents », parce que la chute est poétique et désespérément subversive ; c) « Le droit au repos et au loisir », pour toutes celles et tous ceux qui se sont battus pour nous l’offrir sans en profiter.

 

Auteur :Marina Brillé-Champaux


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