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[ 21 mars 2019 ] Imprimer

Le respect dû aux morts

Comment ne pas être saisi d’indignation à la suite de la profanation du cimetière juif de Quatzenheim (2019, Bas-Rhin) ! Est-ce que l’angle juridique de cette interview de Bruno Py, professeur à l’Université de Lorraine, pourra contenir la colère et l’incompréhension face à une telle haine ? 

Un cadavre est-il encore une personne ?

Sur le plan philosophique, Bossuet dans le sermon sur la mort (Carême 1662) disait déjà « Le corps prendra un autre nom ; (...) il deviendra un je ne sais quoi qui n’a plus de nom dans aucune langue ». Sur le plan juridique, le cadavre est la dépouille d’un être humain qui a perdu la vie. Le statut de personne débute par le fait de la naissance d’un être humain vivant et viable et se termine par le constat du décès. En passant de vie à trépas, dès l’instant de la mort, la personne n’est plus. Le mort n’est plus un sujet de droit, il n’a plus de droits, ni patrimoniaux, ni extra-patrimoniaux et n’a plus de vie privée. Le défunt n’est plus un « autrui » au sens du Code pénal. Le mort ne peut donc plus être victime d’aucune infraction qui suppose un autrui (homicide, violence, viol, etc.). Certains auteurs évoquent l’idée que le cadavre devient une chose sacrée, au sens d’une sacralité laïque (v. C. Lacroix, Répertoire Dalloz, V° « Sépulture » ; M. Bouteille-Brigant, M. Touzeil-Divina, « Du cadavre : Autopsie d'un statut », in J.-F. Boudet (dir.), Traité des Nouveaux Droits de la Mort, t. 2, Lextenso, Éditions L'Epitoge, 2014, p. 403 s. ; H. Popu, La dépouille mortelle, chose sacrée, Thèse droit Lille 2008 ; M. Reynier, L'ambivalence juridique de l'humain : entre sacralité et disponibilité, Thèse droit Montpellier 2010 ; A. Gailliard, Les fondements du droit des sépultures, Thèse droit Lyon 3, 2015). D’où une protection pénale spécifique par l’article 225-17 du Code pénal.

Quelles sont les caractéristiques du délit de l’article 225-17 du Code pénal qui protège les sépultures ?

L’ancien Code pénal ne punissait dans son article 360, que la violation de sépulture au sens strict, ce qui supposait à la fois un contenant et un contenu. Il était indispensable pour qu’il y ait sépulture, que l’acte transgressif porte sur une organisation funéraire définitive (monument, tombe, mausolée, etc.) à l’intérieur de laquelle gisait un cadavre humain. Les édifices mémoriels sans cadavre (monuments aux morts, cénotaphes, stèles etc.) n’étaient pas protégés. Le cadavre en tant que tel non plus. Il fallait la réunion d’une dernière demeure et d’une dépouille pour que la répression puisse s’appliquer. C’est le traumatisme de la découverte du saccage du cimetière juif de Carpentras dans la nuit du 8 au 9 mai 1990, et surtout le simulacre d’empalement d’un cadavre qui ont suscité la création d’un délit spécifique, repris à l’article 225-17 du Nouveau Code pénal en 1994. Le contenant et le contenu sont depuis, deux valeurs pénalement protégées de manière distincte. Désormais, la loi réprime d’une part l’atteinte à l'intégrité du cadavre, (punie d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende, art. 225-17, al. 1er) et d’autre part, la violation ou la profanation, de tombeaux, de sépultures, d'urnes cinéraires ou de monuments édifiés à la mémoire des morts, (punie également d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende, art. 225-17, al. 2). La peine est portée à deux ans d'emprisonnement et à 30 000 euros d'amende lorsque les deux comportements sont simultanément constatés et poursuivis (art. 225-17, al. 3). Bien entendu, il s’agit de délits intentionnels qui ne sauraient être commis par imprudence.

La violation de sépulture à caractère raciste est-elle spécialement incriminée ?

Initialement, le législateur avait créé un article 225-18 pour condamner spécifiquement les violations de sépulture et/ou atteintes aux cadavres « commises à raison de l'appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, des personnes décédées à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ». La loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté a abrogé l'article 225-18 pour créer une circonstance aggravante générale de racisme dans l'article 132-76 du Code pénal. Celui-ci prévoit le doublement de la peine d’emprisonnement pour les délits punissables de trois ans d'emprisonnement au plus. La violation de sépulture raciste fait donc encourir à son auteur deux ans d’emprisonnement et même de quatre ans si elle est accompagnée d’une atteinte à l’intégrité du cadavre.

Comment déterminer le caractère raciste d’une violation de sépulture ?

La preuve de la motivation des auteurs est souvent particulièrement délicate à apporter. Ceux-ci reconnaissent en effet rarement avoir agi par idéologie raciste ou antisémite. Afin de faciliter cette preuve, la loi (C. pén., art. 132-76) précise que la circonstance aggravante de racisme est constituée lorsque le crime ou le délit « est précédé, accompagné ou suivi de propos, écrits, images, objets ou actes de toute nature qui soit portent atteinte à l'honneur ou à la considération de la victime ou d'un groupe de personnes dont fait partie la victime à raison de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une prétendue race, une ethnie, une nation ou une religion déterminée ».

Comment le juge distingue-t-il des actes de délinquance de l’article 225-17 et les graffitis, tags et autres inscriptions racistes sur des édifices publics et en particuliers sur les lieux de culte comme les églises catholiques ?

L’infraction de base est l’article 322-1 du Code pénal qui sanctionne la destruction, la dégradation ou la détérioration d'un bien appartenant à autrui de deux ans d’emprisonnement. Les peines encourues sont portées à cinq ans lorsque le bien détruit, dégradé ou détérioré est destiné à l'utilité ou à la décoration publique et appartient à une personne publique ou chargée d'une mission de service public.  Récemment, l’auteur de tags antisémites dans le RER a été condamné à six mois d’emprisonnement avec sursis pour dégradation de biens d’utilité publique (Trib. corr. Paris 2 mars 2019, C. pén., art. 322-3, 8°). S’il avait souillé un lieu de culte, les peines encourues auraient été plus importantes, car le Code pénal prévoit spécifiquement sept ans d’emprisonnement encourus dans cette hypothèse. (C. pén., art. 322-3-1, 4°). Enfin, si les graffitis sur un lieu de culte sont ostensiblement racistes et/ou antisémites les peines encourues sont portées à dix ans d’emprisonnement (C. pén., art. 132-76). 

Le questionnaire de Désiré Dalloz

Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ? Ou le pire ?

J’ai eu la chance de suivre en deuxième année les cours du professeur André Vitu, à la fin de sa carrière. J’ai découvert par lui le sens du mot « pédagogie », cet art de rendre intelligible à des étudiants des notions complexes et de les rendre passionnantes. La clarté de ses explications et la pertinence de ses exemples donnaient à chacun l’impression jubilatoire d’être intelligent. Aux jeunes chargés de TD il donnait ce simple conseil : « Si vous voulez être instruit, lisez ; si vous voulez être très instruit, écrivez ; si vous voulez être extrêmement instruit, enseignez ». C’est à cette époque que j’ai compris tout le sens de la formule : Quel beau métier Professeur !

Quel est votre héros de fiction préféré ?

Balloo, l’ours du Livre de la jungle (Dessin animé de Disney 1967 tiré de l’œuvre de Rudyard Kipling, 1884), qui enseigne l’essentiel à Mowgli : « Il en faut peu pour être heureux ; vraiment très peu pour être heureux ; il faut se satisfaire du nécessaire. (...) Chassez de votre esprit tous vos soucis ; prenez la vie du bon côté, riez, sautez, dansez, chantez. » Balloo c’est le maître épicurien, qui transmet un message fondamental, ne pas confondre être sérieux et être triste.

Quel est votre droit de l’Homme préféré ?

J’ai une affection particulière pour l’article 8 de la Convention EDH, et son affirmation que : « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. » D’une part parce que c’est un droit de l’homme récent (il n’apparaît que dans la deuxième partie du 20e siècle), d’autre part, parce que la Cour européenne des droits de l’homme y a rattaché la notion d’autonomie personnelle qui inclut la liberté sexuelle – EROS – (17 févr. 2005, K.A. et A.D. c/ Belgique ) et même jusqu’au droit pour les vivants de se recueillir sur la dépouille de leurs proches – THANATOS (30 oct. 2001, Pannullo et Forte c/ France).

 

Auteur :Marina Brillé-Champaux


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