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[ 16 février 2023 ] Imprimer

Le théâtre en procès

Le théâtre en procès est paru fin 2022 aux Éditions « Classiques Garnier ». Ce livre se lit avec passion au fur et à mesure des pages où l’on découvre 3 spectacles contemporains originaux, leurs contestations par des groupements devant la justice et les sentences finales des juges administratif et judiciaire. Son auteur, Emmanuelle Saulnier-Cassia, professeure de droit à l’Université Paris-Saclay, a bien voulu répondre à nos questions.

Existe-t-il un régime juridique du théâtre ?

À la différence du cinéma, il n’existe pas de régime juridique spécifique en matière de spectacle vivant, notamment pas de police administrative spéciale car le régime de censure a priori (autorisation préalable) longtemps présent a été supprimé par une ordonnance de 1945. Si bien que ce sont les outils classiques du droit privé et du droit public qui doivent être utilisés. C’est la raison pour laquelle, lorsqu’il y a un contentieux (y compris en référé), les recours peuvent être portés à la fois par les contestataires devant le juge administratif pour par exemple tenter de faire interdire les représentations à venir ou par les défendeurs devant le juge pénal pour faire constater des entraves ou voies de fait (quand des dommages ont été commis dans les lieux de représentation).

Quelles sont ces 3 querelles dramaturgiques contemporaines ?

Les trois seuls spectacles qui ont fait l’objet d’actions contentieuses en France à l’époque contemporaine sont Sur le concept du visage du fils de Dieu de Romeo Castellucci, Golgota Picnic de Rodrigo Garcia et Exhibit B de Brett Bailey.

Quels sont les enjeux qu’elles soulèvent de manière générale ?

Ils soulèvent bien entendu des enjeux relatifs aux limites de la liberté d’expression, qui ont fait resurgir un débat sur un supposé retour de la morale (au sens péjoratif de la « moraline » de Nietzsche). Les artistes revendiquent une liberté d’expression et une liberté de création absolues, tandis que certains groupes dans la société civile estiment qu’elles ne sont que relatives et doivent respecter les autres droits et libertés, ceux qui sont juridiquement consacrés (respect de la croyance, de la religion, protection de l’enfance, dignité de la personne humaine) et d’autres fantasmés (tel le blasphème). Dans les trois spectacles précités, des associations ont utilisé ces différents moyens pour tenter de faire interdire les représentations. Certaines (comme l’AGRIF) sont également actives (et même encore plus actives) en matière littéraire et cinématographique. Et le paradoxe (apparent) est que les requérants n’avaient pas toujours vu les pièces qu’ils attaquaient !

Comment s’en sort le spectacle vivant ?

Du point de vue de la liberté d’expression, le spectacle vivant s’en sort plutôt bien (par rapport aux domaines de la littérature, de la création artistique ou du cinéma) protégé in fine par le juge. Mais cela ne veut pas dire que ne s’exercent pas d’autres formes de pressions moins visibles, souvent qualifiées de « censure privée », qui malheureusement peuvent provoquer des anticipations dommageables voire dramatiques pour certains artistes (Slāv au Canada) de la part de directeurs de salles par exemple, ou des artistes eux-mêmes qui vont s’autocensurer pour être sûrs de ne pas rencontrer de problèmes avec des financeurs ou avec les programmateurs potentiels de leurs spectacles.

Le questionnaire de Désiré Dalloz

Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ?

Quand présidente d’une association sur l’Europe à l’IEP de Grenoble, j’ai présenté Bernard Kouchner dans un amphi bondé (avec une autre salle attenante retransmettant en direct la conférence). C’était la première fois que je passais « de l’autre côté » et animais un débat face à mes camarades au lieu d’être parmi eux, raison peut-être pour laquelle j’aime aujourd’hui les cours en amphithéâtre à l’université et l’animation des bords de plateau au théâtre. L’ambiance était joyeuse et énergisante. Un enthousiasme que j’ai l’impression de moins sentir aujourd’hui dans les établissements universitaires. 

Sinon parmi mes professeurs marquants, je citerais ceux de mes premières années d’étude à l’Université de Nice : Joël Rideau faisant tout son cours de droit de l’UE, sans note avec un livre ouvert devant lui à la même page ; et les si cultivés et humains Paul Isoart et Joël-Pascal Biays.

Quels sont votre héros et votre héroïne de fiction préférés ?

Mes vraies héroïnes sont celles de la vie réelle (de Hildegarde de Bingen à Simone Veil en passant par Artemisia Gentileschi, George Sand, Sarah Bernhardt, Joséphine Baker, Marie Curie, Doris Lessing, Niki de Saint-Phalle, Goliarda Sapienza, Gisèle Halimi entre autres) ! Si je dois absolument répondre à la question dans la fiction, et pour rester dans mon domaine de prédilection, je choisis sans hésiter Penthésilée (de Kleist).

Quel est votre droit de l’homme préféré ?

La liberté d’expression évidemment ! 

 

Auteur :Marina Brillié


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