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Le vice-procureur en charge de l'exécution des peines
S'orienter, étudier, passer des concours, suivre des stages, découvrir un métier, décrocher un contrat… Autant d'étapes importantes qui soulèvent, pour chaque étudiant, un foisonnement de questions. Afin de démêler les réalités des idées reçues, Dalloz Actu Étudiant a décidé de décrypter tous les mois les spécificités d'un métier du droit à partir du témoignage d'un professionnel.
On connaît le juge de l'application des peines et le juge des libertés et de la détention, qu'on appelle même par leurs abréviations : le JAP et le JLD. Mais le juge chargé de l'exécution des peines reste souvent un mystère pour les juristes et, a fortiori, pour les étudiants en droit. Il était temps de remédier à cette lacune généralisée. Dalloz Actu Étudiant s'est donc fait inviter au TGI de Nanterre, dans le bureau d'Isabelle Regniault, vice-procureur et chef du pôle de l'exécution des peines.
Pouvez-vous me décrire votre parcours depuis vos études jusqu'à aujourd'hui ?
J'ai un parcours ultra-classique : une maîtrise de droit puis le concours de l'ENM. J'ai commencé comme juge placé à Angers puis je suis partie à Brest en tant que juge d'instruction. Ensuite, je suis revenue en région parisienne et j'ai demandé le parquet parce que je voulais rester au pénal. J'ai fait deux ans de TTR (traitement en temps réel, ndlr), d'audiences et autres, après quoi je suis venue à l'exécution des peines parce que j'avais envie de me faire des « nœuds au cerveau », de « refaire du droit ».
Les grands principes sont les mêmes, ça reste de l'audience, le rôle du ministère public est le même dans le sens où il s'agit d'agir au nom de la société. En revanche, on entre dans un domaine extrêmement technique, complexe, par l'enchevêtrement des textes.
J'ai beaucoup aimé l'instruction mais après six ou sept ans, j'arrivais un peu à saturation, j'avais besoin de changer. Mais aujourd'hui j'y retournerai avec plaisir. Finalement, on voit les mêmes horreurs au parquet quand nous allons aux audiences ou pendant nos permanences sauf que nous n'avons pas la même proximité que lors d'un entretien avec une victime ou d'un interrogatoire avec un accusé. Je pense que j'avais besoin de remettre un peu de distance.
Comment fonctionne votre service ?
Je suis la chef du service et deux autres magistrats travaillent avec moi ainsi que 14 greffiers ou adjoints administratifs qui ne font que de l'exécution des peines prononcées dans les neuf chambres pénales du tribunal. Notre premier rôle est de vérifier que la décision peut être exécutée, notamment la légalité de la peine.
Lorsqu'il y a une difficulté, une erreur matérielle sur le nom de la personne condamnée par exemple, on peut dans certains cas demander au tribunal de rectifier. Mais la plupart du temps c'est à nous de faire exécuter la décision malgré les erreurs et parfois c'est très complexe. De manière générale, l'exécution des peines est un domaine très technique car il y a des règles dans le Code pénal sur le sursis (le sursis avec mise à l'épreuve), d'autres dans le Code de procédure pénale, sans oublier tous les grands principes généraux.
Le rôle du parquet va être de faire le dispatching entre les différents services pour assurer l'exécution de la peine (le Trésor public pour les amendes, le Service des domaines pour les confiscations, par exemple). Ce sont souvent les mêmes peines qui sont prononcées mais dès qu'on sort des sentiers battus, ce n'est pas facile de mettre en œuvre l'exécution.
Par ailleurs, en ce qui concerne l'emprisonnement, qui constitue la condamnation la plus emblématique bien que ce soit loin d'être la seule, si la peine est aménageable (un an en récidive, deux ans hors récidive), on saisit le juge d'application des peines (JAP). En l'absence d'aménagement par le JAP, les condamnés sont placés en rétention par les services de police. Il s'agit alors de mettre à jour leur situation pénale et d'apprécier si nous saisissons de nouveau le JAP afin d'envisager à nouveau un aménagement de peine compte tenu de l'évolution professionnelle et sociale de la personne. Nous avons un pouvoir d'appréciation, et nous sommes incités par les circulaires à l'heure actuelle à envisager au maximum les aménagements de peines.
Par ailleurs lorsque des personnes sont déférées dans le cadre d'autres procédures (comparution immédiate), nous mettons à jour leur situation pénale : voir si des peines sont à exécuter ou si des décisions sont à porter à leur connaissance.
Enfin, nous représentons le ministère public aux audiences d'application des peines (aménagements de peine, révocations de sursis avec mise à l'épreuve)
Qu'appréciez-vous en particulier dans cette spécialité ?
L'analyse des textes, leur articulation, tout cela est extrêmement complexe mais justement, nous résolvons les questions avec les principes généraux du droit, lorsque nous n'avons pas déjà la réponse dans la loi ou dans la jurisprudence. Je suis très attachée au principe de la légalité des délits et des peines, c'est un principe supra-constitutionnel.
J'aime bien aussi le fait que ce soit encore un domaine méconnu pour l'instant, que nous pouvons avoir une politique active d'exécution des peines avec les différents intervenants.
Concernant l'aménagement des peines, j'ai fait beaucoup de comparutions immédiates et lors de la phase d'aménagement, nous sommes vraiment centrés sur la personnalité de l'individu, son évolution. Quelque part, les faits passent en second plan même si bien sûr nous y revenons. En revanche, nous n'aborderons pas de la même manière une personne qui a commis des vols à l'étalage ou qui a conduit sans permis.
Je pense que les bonnes relations du parquet de Nanterre avec le service d'application des peines participent au fait que tout cela me plaise. C'est loin d'être l'unanimité parfaite, nous sommes parfois en désaccord institutionnellement mais nous travaillons dans la même direction.
À l'inverse, quels sont les points noirs au sein de l'exécution des peines ?
La masse et la pression des délais ! Il y a une telle masse que cela ne permet pas forcément de cibler les dossiers. En outre, à présent tout le monde veut que les peines soient exécutées dans un délai raisonnable, sauf que cela s'est transformé en pression des délais.
Il existe un logiciel de calcul assez technique de performance appelé Pharos. Je sais que Nanterre a un bon ratio de performance. Néanmoins si l'on veut mettre des choses en œuvre, il faut accepter de « perdre du temps » pour pouvoir en gagner plus tard. Mais ce n'est pas toujours possible.
Quel est votre point de vue sur la réforme pénale en cours et son impact sur la mise à exécution des peines ?
J'ai du mal à comprendre la différence entre la contrainte pénale dont il est actuellement question et la mise à l'épreuve qui fonctionne plutôt bien même si elle pourrait être utilisée à meilleur escient.
Dix-sept obligations peuvent être fixées dans le cadre d'une mise à l'épreuve d'après l'article 132-45 du Code pénal. La juridiction en fixe, le JAP peut en supprimer ou en ajouter et c'est ce qu'il fait, à Nanterre en tout cas. C'est donc adapté en fonction des nécessités.
À travers ce projet de loi, je vois un mécanisme plus complexe pour la mise à exécution en tout cas pour ce qui concerne la sanction du non-respect de l'exécution. Et en tout cas, pour l'apparence, j'y vois une philosophie proche de celle de la mise à l'épreuve. J'attends le texte car je suis sceptique. Si l'idée avait été de dire que la contrainte pénale remplacerait toutes les mesures alternatives à l'emprisonnement, j'aurais compris même si cela aurait sans doute été très compliqué à mettre en œuvre. Je n'ai pas l'impression que nous avions besoin d'une nouvelle peine dans notre arsenal. Mais bien entendu, si la loi est votée, je l'exécuterai.
Questionnaire de Désiré Dalloz
Quel est votre meilleur et pire souvenir d'étudiant ?
Mon meilleur souvenir tient plus à mon statut d'étudiant qu'à un souvenir en particulier.
Le pire c'est le jour où, trois mois après le début des cours de première année, ma chargée de TD m'a déconseillé de poursuivre dans le domaine du droit.
Quel est votre héros de fiction préféré ?
Robin des bois, qui symbolise pour moi la protection des plus faibles.
Quel est votre droit de l'homme préféré ?
La liberté, sous ses différentes déclinaisons : la liberté d'agir, de penser, de s'exprimer, etc. Et le corollaire : que toute atteinte à la liberté soit strictement encadrée par le législateur.
Carte d'identité du service de l'exécution des peines
Tous les tribunaux ne disposent pas d'un service spécifique de l'exécution des peines comme au TGI de Nanterre. Dans les juridictions de petite taille, ils dépendent plus fréquemment d'un autre service. De même, l'importance du personnel consacré à ces missions dépend de la juridiction. Maillon clé de la chaîne pénale, c'est un domaine encore mal connu et qui effraie parfois les professionnels à cause des risques de détention arbitraire, notamment depuis l'affaire Outreau.
▪ Les chiffres
– 10253 décisions du tribunal correctionnel ont été exécutées par le service en 2012
– Le délai d'exécution global des peines, entre le moment où le jugement est prononcé et le moment où il est exécuté, est de 3 mois en moyenne à Nanterre.
▪ La formation et les conditions d'accès
Des études de droit suivies d'un cursus à l'ENM. Sachez que l'exécution des peines ne fait pas l'objet d'une spécialité à proprement parler.
▪ Les domaines d'intervention
Ils dépendent de la taille de la juridiction mais en l'occurrence, le parquet de Nanterre est chargé de l'exécution des peines prononcées par toutes les juridictions pénales : du tribunal de police à la cour d'assises en passant par les tribunaux pour mineur et les décisions du juge de l'application des peines.
▪ Le salaire
Ils suivent les grilles des agents de la fonction publique, selon la hiérarchie et l'ancienneté.
▪ Les qualités requises
Éthique, rigueur, probité, réactivité, écoute, impartialité, adaptabilité, sens des responsabilités, serviabilité, capacité d'analyse, sens critique, ouverture.
▪ Les règles professionnelles
Le magistrat est en particulier tenu à l'indépendance, l'impartialité, l'intégrité, la légalité, l'attention à autrui, la discrétion et la réserve. Ils ne peuvent exercer la plupart des mandats politiques et ne peuvent critiquer la forme républicaine du gouvernement ni ne disposent du droit de grève.
En 2010, le Conseil supérieur de la magistrature a publié un Recueil des obligations déontologiques des magistrats (éd. Dalloz, 2010) à l'attention des citoyens.
▪ Site Internet
Conseil supérieur de la magistrature : http://www.conseil-superieur-magistrature.fr/
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