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L’École et la République
Et si on discutait de l’École, de la République et de la laïcité en partant de pré requis renouvelés ? C’est ce que propose Stéphanie Hennette-Vauchez, professeure de droit public à l’Université Paris Nanterre, dans son essai paru le 5 octobre 2023. Exposant l’évolution des relations de l’État avec l’enseignement privé et la transformation du principe de laïcité en milieu scolaire, l’auteure nous invite à imaginer l’École de demain dans le cadre des valeurs républicaines que sont la Liberté, l’Égalité et la Fraternité. Pour éclairer ce débat, elle a bien voulu répondre à nos questions.
Quelles sont les lois marquantes concernant l’école républicaine depuis la Révolution française de 1789 ?
La Révolution française avait de grandes ambitions pour l’école, pensée par de nombreux révolutionnaires comme étant le berceau par excellence de la fabrique de bons citoyens ; mais les nombreux défis rencontrés par l’expérience révolutionnaire, qui devait mener bataille sur de nombreux fronts, internes et externes, eurent raison de cet ambitieux programme. À partir de 1808, Napoléon crée l’Université impériale chargée « exclusivement de l’enseignement et de l’éducation publique dans tout l’Empire » (loi du 10 mai 1806). Là encore, bien que plus importantes, ses réalisations seront minimes — notamment pour ce qui est de l’enseignement primaire. Au cours du xixe siècle, les écoles encore essentiellement privées et essentiellement catholiques vont progressivement se voir concurrencées par l’émergence d’un secteur public d’enseignement. Vers la fin du xixe siècle, celui-ci devient tout à fait central au projet républicain, comme l’attestent les chiffres : entre 1879 et 1889, le budget de l’Instruction publique passe de 27 à 98 millions de francs (Yves Déloye, « L’école », in Vincent Duclert, Christophe Prochasson (dir.), Dictionnaire critique de la République, Flammarion, 2007, p. 699). Surtout, l’école devient alors un des premiers espaces où s’articule et s’affirme le programme laïque. Après la grande loi Ferry de 1882 qui affirme la nature laïque de l’enseignement public, la loi Goblet de 1886 interdit aux ecclésiastiques d’enseigner à l’école (primaire). De même, les écoles vaquent un jour par semaine, à la fois pour permettre aux familles de maintenir un enseignement religieux aux enfants (le catéchisme) mais aussi pour évincer la religion de l’école. L’école publique, laïque, gratuite et obligatoire, se déploie sur ces bases. Par la suite, mis à part des textes sur la structure de la formation (loi Haby instaurant le collège unique de 1975) ou sur les droits et devoirs au sein de la communauté scolaire (loi Jospin d’orientation sur l’école de 1989), c’est certainement la loi du 15 mars 2004, qui interdit aux élèves de l’enseignement public de porter des signes par lesquels ils manifestent ostensiblement leurs croyances religieuses, qui marque l’histoire législative de l’école publique en France.
Quelle est l’évolution des rapports entre l’école privée et l’État sur cette période ?
C’est une des originalités de l’ouvrage d’insister sur l’importance qui s’attache à étudier ensemble école publique et école privée. L’ouvrage rappelle en particulier l’importance de la loi Debré du 31 décembre 1959 qui définit le statut de l’enseignement privé. Renforcée par la décision du Conseil constitutionnel de 1977 qui fait de la liberté de l’enseignement un principe à valeur constitutionnelle, la loi Debré permet aux établissements privés d’affirmer un « caractère propre », qui est le plus souvent religieux et le plus souvent, catholique. Ils peuvent faire le choix de rester hors contrat, auquel cas leur liberté, notamment pédagogique, est maximale, ou de conclure avec l’État un contrat (contrat simple ou contrat d’association) qui les soumet à certaines obligations, les associe au service public et, surtout, leur permet de bénéficier d’un important financement public. La loi Debré, qui fut adoptée à une époque où toutes les écoles confessionnelles étaient catholiques, a eu à s’adapter, progressivement, à d’autres confessions. Les écoles juives ont crû en nombre à partir des années 1980 et, depuis le début du xxie siècle, on voit émerger un secteur musulman de l’enseignement privé. L’ouvrage analyse la manière dont le cadre juridique s’est adapté à cette nouvelle donne ; il fait le point sur une série de lois récentes qui, à cette lumière, entendent durcir les conditions d’ouverture et les formes de contrôle pesant sur l’enseignement privé, au nom de risques et menaces sur les valeurs républicaines.
Quelle transformation connaît le principe de laïcité à l’école au sein des établissements publics comme privés ?
À l’école publique, la grande transformation tient assurément à la loi de 2004 : désormais, la laïcité requiert une obligation de discrétion, sinon de neutralité religieuse, des élèves. L’ouvrage revient sur l’histoire de ce texte, de ses justifications et de son application au fil des vingt années écoulées depuis son adoption. Elle montre les nombreux défis et difficultés : la loi interdit-elle le port de signes religieux aux élèves (à raison de leur statut d’élèves), ou dans l’école (entendue comme un espace devant être expurgé de toute expression religieuse) ? Qu’est-ce qu’un signe religieux – et quelle est l’autorité compétente, dans un régime laïque de séparation du temporel et du spirituel, pour le dire (la grande polémique de la rentrée 2023 relative à l’abaya montre l’acuité de la question) ? Comment garantir une application non-discriminatoire de la loi de 2004 ? Ici comme ailleurs, on voit le sens du principe de laïcité tiré dans le sens d’une obligation de neutralité religieuse. Et cette montée en puissance des exigences de neutralité religieuse est telle qu’elle affecte aussi l’école privée : de manière tout à fait frappante, on voit en effet certains établissements privés d’enseignement exiger la neutralité religieuse de leurs élèves… alors même qu’ils affirment un « caractère propre » de nature confessionnelle.
Quelles conclusions faut-il en tirer selon vous ?
À l’issue du travail de recherche et d’écriture de cet ouvrage, je retiens deux conclusions principales. La première, c’est que le statut juridique de l’enseignement privé peut être lu comme un bel exemple d’accommodement consenti, par le droit français, à la religion. En effet, les écoles privées échappent à de nombreuses règles générales, ou bénéficient de dérogations : le principe de laïcité ne s’y applique pas (on peut y enseigner la religion, y afficher et y porter des signes religieux…) et ce, alors même qu’elles bénéficient d’un généreux financement public, et l’étude de leur marge de manœuvre dans le choix et le recrutement de leurs équipes révèle qu’il ne leur est pas formellement interdit de fonder leurs décisions sur le critère de la religion (ce qui est naturellement interdit à tout autre employeur). Une telle conclusion est importante non seulement pour ce qu’elle dit de l’école privée, mais aussi pour ce qu’elle révèle du droit français. L’idée, fréquemment avancée comme centrale à la « tradition républicaine française », selon laquelle le droit français serait précisément hostile à toute forme d’accommodement de la religion, sort ici fragilisée de l’analyse.
La seconde conclusion a davantage trait au principe constitutionnel de laïcité. L’étude approfondie des évolutions du régime de laïcité scolaire à l’école publique permet, d’abord, de souligner les difficultés qui l’accompagnent – notamment, au regard des exigences d’égalité et de non-discrimination. Elle permet ensuite, de mettre en relief les nombreux paradoxes qui résultent de ce régime durci de laïcité : augmentation des effectifs de l’enseignement privé, développement d’un secteur privé d’enseignement musulman, durcissement du régime juridique des établissements privés, apparition d’écoles privées confessionnelles imposant la neutralité religieuse des élèves… L’école constitue, assurément, un terrain d’observation et de réflexion privilégié pour celles et ceux qui s’intéressent à la laïcité et, au-delà, aux valeurs républicaines.
Le questionnaire de Désiré Dalloz
Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ?
Avoir le temps de laisser ma curiosité me mener sur des terrains inattendus.
Quels sont votre héros et votre héroïne de fiction préférés ?
Pétronius qui, en s’insurgeant contre son statut d’homme-objet dans Les Filles d’Égalie de Gerd Brantenberg, donne une magnifique leçon de liberté émancipatrice.
Quel est votre droit de l’homme préféré ?
En ces temps bien plus sombres qu’on ne le souhaiterait, il me semble que les libertés politiques (de vote, assurément, mais aussi de réunion, d’expression, d’association) doivent retenir notre plus grande attention et notre plus grande vigilance.
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