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[ 2 mars 2023 ] Imprimer

L’énergie, l’Union européenne et ses États membres

L’Union européenne a bien grandi depuis le traité CECA (Traité instituant la Communauté européenne du charbon et de l'acier) de 1951. L’énergie est toujours au centre de ses préoccupations et de celles de ses États membres. Nouvelle étape en 2023 ; les retraits multiples du traité sur la Charte de l’énergie ou sa modernisation ? Gaëlle Guyard, chef de rubrique au Code Permanent environnement et Nuisances (en charge des thématiques déchets et énergie), nous expose les tenants et les aboutissants de cette crise énergétique.

Qu’est-ce que le traité de la Charte sur l’énergie (TCE) dont vient de se retirer la France en décembre 2022 ?

Le TCE est un accord international visant à promouvoir la coopération transfrontalière dans le secteur de l'énergie. Il a été signé en 1994 et réunit une cinquantaine d’États (l’Union européenne, des pays d'Europe, d'Asie centrale, mais aussi la Turquie ou encore l'Australie).

Il permet de sécuriser l'approvisionnement de l'Europe de l'Ouest en énergies fossiles en offrant des garanties aux investisseurs occidentaux dans les pays d'Europe de l'Est et de l'ex-URSS, des pays qui disposent de nombreuses ressources fossiles. Ces investisseurs sont notamment protégés contre les entraves à la concurrence, l'expropriation, les ruptures de contrat, etc.

Les investisseurs ont la possibilité de demander réparation pour leur manque à gagner à un État si sa politique de décarbonation ou sa réglementation affecte la rentabilité de leurs investissements. Par exemple, les Pays-Bas ont adopté une loi interdisant le charbon d'ici 2030, l'énergéticien allemand RWE leur a réclamé 1,4 milliard d'euros pour compenser ses pertes sur une centrale thermique. Un producteur d’énergie renouvelable allemand a lancé une procédure d’arbitrage contre la France à la suite de la modification des tarifs de rachat de l'électricité photovoltaïque en 2020.

Face à la multiplication des contentieux, les États européens ont voulu moderniser le TCE. Les négociations de modernisation ont été lancées en novembre 2017 et se sont achevées fin juin 2022. Elles devaient faire l'objet d'un accord lors de la conférence du 22 novembre 2022 mais face à l’abstention de plusieurs pays européens de valider la version modernisée du TCE, le vote a été reporté à avril 2023.

Les objectifs de cette modernisation étaient de relever l'ambition environnementale du TCE et de mettre à jour les dispositions relatives à la protection des investissements et au règlement des différends.

Le Haut conseil pour le climat (HCC) a estimé, dans un avis publié le 19 octobre 2022, que le TCE, y compris dans une forme modernisée, n'est pas compatible avec le rythme de décarbonation du secteur de l'énergie et l'intensité des efforts de réduction d'émissions nécessaires pour le secteur à l'horizon 2030. Les risques de contentieux induits par le mécanisme de règlement des différends peuvent être une entrave dans les politiques de décarbonation mises en place par les États.

Le rapport conclut que le retrait coordonné du TCE par la France et les États membres de l'UE apparaît comme l'option la moins risquée pour permettre l'atteinte des objectifs climatiques. Ce retrait doit s'accompagner d'une neutralisation de la « clause de survie ».

Le 21 octobre, à l'issue du sommet européen à Bruxelles, le président Emmanuel Macron a annoncé le retrait de la France du TCE. Le traité est pointé du doigt car il va à l’encontre de la politique climatique et énergétique actuelle de la France qui prévoit la sortie des énergies fossiles, notamment russes, et l’accélération des énergies décarbonées (énergies renouvelables et nucléaire).

La France a notifié son retrait fin décembre à la Conférence sur la Charte de l’énergie. Cette sortie sera effective, un an après sa notification, c’est-à-dire au 1er janvier 2024.

Que prévoit la clause de survie en cas de retrait d’un État partie au traité ?

Le TCE établit dans quelles conditions une partie contractante peut se retirer du traité. L'article 47-3 prévoit une « clause de survie » selon laquelle les dispositions du traité continuent à s’appliquer pendant une période de 20 ans aux investissements réalisés, à compter du moment où le retrait prend effet.

Concrètement, lorsqu'un pays sort du traité, les poursuites sont encore possibles pendant 20 ans. En 2016, l'Italie est devenue le premier pays de l'UE à quitter le TCE. Mais en 2022, elle a été condamnée à verser 190 millions d'euros, plus les intérêts, en compensation à Rockhopper Exploration, une compagnie pétrolière et gazière, à la suite de l’interdiction de nouveaux projets pétroliers et gaziers à moins de 12 milles nautiques la côte Adriatique.

Dans le cadre de la modernisation du TCE, la Commission européenne a fait pression pour limiter la clause d'extinction à dix ans pour les contrats existants et à neuf mois seulement pour les nouveaux investissements. Mais cette modification ne s'appliquerait qu’aux États qui restent dans le TCE.

Qu’a décidé la Cour de justice de l’Union européenne concernant le recours à l’arbitrage en cas de différend ?

L’article 26 du TCE établit un système de règlement des différends entre un investisseur et une partie contractante. Si le différend n'a pas été réglé à l'amiable dans un délai de trois mois, l'investisseur peut le soumettre :

– aux juridictions judiciaires ou administratives ;

– conformément aux procédures de règlement des différends convenues préalablement ;

– à une procédure d'arbitrage internationale. Les décisions de cet arbitrage sont juridiquement contraignantes.

La Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a jugé dans un arrêt du 2 septembre 2021 (CJUE 2 sept. 2021, aff. C 741/19République de Moldavie c/ Komstroy LLC) que le mécanisme de règlement des différends n'est pas conforme au droit européen car incompatible avec l'autonomie de l'ordre juridique de l'UE. En effet, le tribunal arbitral peut être amené à interpréter et à appliquer le droit de l'Union mais n’étant pas considéré comme une juridiction d'un État membre, il n'est dès lors pas habilité à saisir la CJUE à titre préjudiciel.

Selon la CJUE, toute sentence arbitrale ne saurait donc produire aucun effet et ne peut ainsi être exécutée en vue de procéder au versement de l’indemnisation accordée par celle-ci.

Toutefois, les tribunaux d’arbitrage ne s'estiment pas tenus de respecter cet arrêt. Ils continuent de considérer que l’article 26 du TCE s’applique intra-UE.

Pour mettre un terme au risque de conflit entre le TCE et les traités, une communication de la Commission du 5 octobre 2022 propose un accord ultérieur entre les États membres, l’Union européenne et l’Euratom pour confirmer que le TCE n’est pas applicable à l’intérieur de l’UE, ne l’a jamais été et ne le sera jamais, que le TCE ne saurait servir de fondement à une procédure d’arbitrage et que la clause d’extinction ne s’applique pas. Il devrait également énoncer les obligations incombant aux États membres dans l’éventualité où ils seraient concernés par une procédure d’arbitrage. Compte tenu de l’effet rétroactif attribué à cet accord, celui-ci s’appliquerait également aux différends en cours.

Que dit la résolution du 24 novembre 2022 du Parlement européen ?

Le Parlement européen a adopté, le 24 novembre 2022, une résolution demandant à la Commission d’engager un retrait coordonné de l’UE du traité. Il s’agit de la meilleure option pour l’Union afin d’assurer la sécurité juridique et d’empêcher le TCE de compromettre davantage les ambitions de l’Union en matière de climat et de sécurité énergétique. Ce retrait conjoint permettrait aux États d’être plus forts dans les négociations de retrait.

D’autres États (l'Espagne, la Pologne, la Slovénie, l’Allemagne, le Luxembourg et les Pays-Bas) ont annoncé leur intention de se retirer du TCE.

Le questionnaire de Désiré Dalloz

Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ?

Sans hésiter, mon année de DESS (ancien Master 2) en droit et sciences de l’environnement. D'abord parce que j'y ai fait de belles rencontres. Et puis si j'ai apprécié mes études de droit, le fait de se retrouver avec des étudiants d'un autre domaine et d'acquérir des compétences scientifiques était très stimulant et enrichissant. L'environnement est un domaine très technique et avoir une culture scientifique est nécessaire pour comprendre certains textes juridiques notamment en énergie.

Quels sont votre héros et votre héroïne de fiction préférés ?

Mafalda, le personnage de BD que je dessinais partout quand j’étais enfant. Elle était curieuse et pertinente et s’interrogeait sur les grands sujets de société comme la politique, la religion, la guerre ou la soupe, tout en étant très drôle. Aujourd’hui, ma fille est fan de Mortelle Adèle qui a ce même regard critique mais en étant plus cynique.

Pour le héros, c’est Hulk, je regardais la série et j’étais fascinée par le Docteur Banner qui se transformait en cette créature verte à la force surhumaine.

Quel est votre droit de l’homme préféré ?

La question est difficile mais je dirai le droit à l’éducation. Aujourd’hui 258 millions d’enfants ou de jeunes ne sont pas scolarisés dans le monde pour des raisons sociales, culturelles ou économiques. L’éducation est la clé pour sortir de la pauvreté, réduire les inégalités et s’épanouir. C’est un investissement indispensable et un tremplin vers les autres droits.

Je suis sensibilisée car je soutiens depuis plus de vingt ans l’association Action Education qui agit sur le terrain pour favoriser une éducation de qualité partout dans le monde, pour les garçons comme les filles. Cela m’a permis d’accompagner des classes ou des élèves, en Inde ou au Togo par exemple, et de découvrir d’autres cultures.

 

Auteur :Marina Brillié


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