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[ 30 avril 2025 ] Imprimer

Notre-Dame de Paris, la ministre et la loi

Rachida Dati, ministre de la Culture depuis 2024 sous les gouvernements de Gabriel Attal, de Michel Barnier et de François Bayrou reprend en octobre 2024 une idée récurrente et propose l’entrée payante de la cathédrale Notre-Dame de Paris. Emmanuel Tawil, avocat et maître de conférences à l’Université Paris – Panthéon-Assas (Paris 2), auteur d’un ouvrage sur les Cultes et congrégations (2019, Juris éditions- Dalloz) nous fait le grand plaisir de répondre à nos questions sur ce thème.

Quel est le régime des édifices cultuels en France ?

Il y a plusieurs régimes des édifices du culte en France.

Lorsque les associations cultuelles sont propriétaires d’édifices du culte, s’applique le droit commun.

Mais le plus grand nombre des édifices du culte sont des biens nationalisés en application du décret de l’Assemblée constituante du 2 novembre 1789. Ceux des édifices qui n’avaient pas été aliénés en tant que bien national durant la Révolution ont été ensuite mis à disposition des évêques en application du Concordat de 1801. L’article 12 de la loi du 9 décembre 1905 a confirmé la propriété publique de ces biens, qui ont été laissés à disposition des fidèles et des ministres du culte par la loi du 2 janvier 1907. Les édifices du culte qui ont été construits par des collectivités publiques entre 1801 et 1905 suivent le même régime.

Les édifices du culte qui, en 1905, étaient propriétés des établissements publics des quatre cultes reconnus (catholique, israélite, luthérien et réformé) devaient devenir la propriété des associations cultuelles qui succéderaient à ces établissements publics. C’est ce qui s’est passé pour les israélites et les deux cultes protestants. Comme les catholiques ont refusé de constituer des associations cultuelles, leurs églises sont demeurées propriétés publiques et ont été affectées au culte sur la base de la loi du 2 janvier 1907.

Tous les édifices qui sont propriétés publiques et affectés au culte sur la base de la loi de 1905 ou de la loi de 1907 appartiennent au domaine public. C’est le cas bien sûr de la cathédrale Notre-Dame de Paris, comme de la quasi-totalité des cathédrales.

Ce régime est-il une exception française ?

Oui et non. Ce qui est une exception française c’est que la très grande majorité des édifices du culte suivent le régime de la domanialité publique, et donc que les collectivités publiques propriétaires non seulement peuvent, mais aussi doivent, les entretenir sans pouvoir pleinement en disposer.

La pluralité de régimes des édifices du culte n’a rien d’exceptionnel. Par exemple, en Italie, il y a aussi des édifices du culte propriété de personnes publiques, mis à disposition des fidèles voire de communautés religieuses, tandis que d’autres sont propriétés privées. C’est le fruit de l’histoire, en particulier des spoliations intervenues au moment du Risorgimento. En Espagne, en revanche, l’Église catholique est propriétaire de la plupart des églises affectées au culte.

Existe-t-il un contentieux sur l’accès payant de ces bâtiments ?

L’ article L. 2124-31 du Code général de la propriété des personnes publiques rend possible un accès payant des édifices du culte appartenant au domaine public « lorsque la visite de parties d'édifices affectés au culte, notamment de celles où sont exposés des objets mobiliers classés ou inscrits, justifie des modalités particulières d'organisation ». Dans ce cas, il faut l’accord de l’affectataire et la redevance perçue est partagée entre le propriétaire et l’affectataire.

Il y a assez peu de contentieux. Le Conseil d’État avait précisé que cette visite payante doit être compatible avec l’utilisation cultuelle de l’édifice (CE 4 nov. 1994, Abbé Chalumey). Il s’est également interrogé sur le régime juridique du toit de l’église des Saintes-Maries-de-la-Mer, pour admettre que l’accord de l’affectataire n’était pas nécessaire lorsqu’il existe des aménagements qui sont fonctionnellement dissociables de l’édifice (en l’occurrence il était possible de monter sur le toit sans passer par l’intérieur de l’église (CE 20 juin 2021, Cne des Saintes-Maries-de-la-Mer).

Que révèle, selon vous, sur les relations entre la République et les cultes cette proposition de rendre payant l’accès à la cathédrale parisienne ?

Cette proposition révèle surtout que la ministre de la Culture n’est pas en dialogue assez régulier avec le culte catholique car elle aurait eu connaissance immédiatement du refus des catholiques d’envisager de faire payer l’accès à Notre-Dame. C’est un peu dommage car les relations entre l’Église catholique et l’État sont plutôt dans une phase de discussion franche et sans méfiance depuis que le statut des associations diocésaines, qui sont les associations cultuelles constituées par l’Église catholique, a été confirmé par Mme Borne quand elle était Première ministre.

S’agissant des autres cultes, la proposition de Mme Dati ne révèle rien de particulier. Les protestants et, surtout, les musulmans, peinent à mettre en œuvre les nouvelles obligations prévues par la loi du 24 août 2021. C’est un vaste chantier qu’ils doivent encore affronter.

Le questionnaire de Désiré Dalloz

Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ?

Il y en a beaucoup. Bien sûr, la dernière épreuve de ma vie d’étudiant, la soutenance de mon doctorat en droit public à Aix-en-Provence. Mais aussi le premier cours de droit du travail, et quelques épreuves orales : en L1 en économie politique (sujet : la dialectique chez Marx) ; en L3 en droit matériel de l’Union européenne ; en maîtrise en histoire de la construction européenne. J’étais plutôt bon à l’oral, mais j’ai surtout eu la chance de ne jamais avoir face à moi lors des épreuves d’examinateur qui voulaient m’humilier (sauf une fois). Quand je me souviens de la bienveillance de la plupart de mes maîtres, je dois reconnaître que je n’arrive à donner à mes étudiants qu’une infime partie ce que j’ai reçu quand j’étais à leur place.

Quels sont votre héros et votre héroïne de fiction préférés ?

Héros : Le prince Salina, tant celui du roman de Tomasi di Lampedusa que celui du film de Visconti joué par Burt Lancaster.

Héroïne : La San Felice (le personnage de Dumas, pas la vraie, à savoir celle qui a vécu la République parthénopéenne, de laquelle on sait peu de choses et qui n’a pas grand intérêt). Pour ajouter une référence à une héroïne de Netflix, je me permets de signaler les deux saisons de la série La Legge di Lidia Poët. Le nom de celle qui fut la première avocate italienne est un prétexte à des enquêtes qui ont pour cadre la magnifique ville de Turin, à la fin du 19e siècle.

Quel est votre droit de l’homme préféré ?

La laïcité bien sûr. J’y ai consacré la quasi-totalité de mes activités de recherche depuis ma thèse de doctorat.

 

Auteur :MBC


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