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[ 4 mai 2011 ] Imprimer

Les accords de Schengen

Les révolutions dans le monde arabe ont eu notamment pour conséquence le déplacement de populations en provenance d’Afrique du Nord vers l’Europe. Cet accueil d’immigrés a donné lieu à l’envoi d’une lettre commune franco-italienne au président de la Commission européenne José Manuel Barroso afin de voir réexaminer « la possibilité de rétablir temporairement le contrôle aux frontières » supprimé jusqu’alors dans l’espace Schengen. Claire Saas, maître de conférences à Nantes, a accepté de répondre à nos questions.

Le 17 avril 2011, la France a pris une mesure de protection à l’ordre public en interrompant son trafic ferroviaire en provenance de l’Italie en se prévalant de l’article 25 du code frontières Schengen, le train transportant des immigrés tunisiens et des manifestants. Y a-t-il eu violation par la France des accords de Schengen ?

La Convention des accords d’application de Schengen repose sur la solidarité de l’ensemble des États parties. La mise en place d’un espace sans frontières intérieures est subordonnée à la confiance de l’ensemble des États signataires à l’égard de leurs partenaires quant à leur capacité d’exercer, à leurs frontières avec des États tiers à Schengen, un contrôle des passages aux frontières. En bref, la suppression des frontières intérieures n’avait été décidée que pour autant que chaque État assurerait, pour être digne de la confiance de ses partenaires, le contrôle des entrées sur son territoire, et, par voie de conséquence, sur l’ensemble du territoire Schengen. Autant dire que lorsque l’Italie ou la Grèce, qui sont parmi les premiers pays par lesquels on pénètre sur le territoire Schengen, admettent des ressortissants d’États tiers, ils engagent également leurs partenaires. L’Italie était donc en charge de vérifier que chaque migrant, notamment tunisien, satisfaisait aux conditions de possession d’un document de circulation, de ressources suffisantes, éventuellement d’un visa, lors du franchissement des frontières externes, ce que la France lui reproche de ne pas avoir fait. L’Italie, de son côté, a d’une certaine façon forcé la main à ses partenaires : en délivrant aux Tunisiens entrés irrégulièrement des titres de séjour — ce qu’elle n’est par ailleurs pas la seule à faire, notamment lors des processus de régularisation des sans-papiers en France ou en Espagne —, elle leur ouvrait, au moins pour partie, la circulation dans l’espace Schengen. Dans ces conditions, la France n’avait guère d’autre choix que d’accueillir les intéressés sur le territoire, se conformant ainsi à l’esprit de Schengen.

Au cours du sommet franco-italien, il a été envisagé de revoir la clause de sauvegarde des accords : cette requête implique-t-elle une modification des accords (et dans ce cas, dans quel délai et quelles conditions) ou une simple interprétation du code frontières Schengen ?

Il est vrai qu’il existait dès l’origine la possibilité pour l’un des États signataires de signifier, à titre exceptionnel, sa défiance à l’égard des autres et de rétablir les contrôles aux frontières internes, en cas de menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure. Pour bloquer le passage aux frontières franco-italiennes, la France a estimé qu’il existait une menace grave à l’ordre public. En ce sens, elle a fait usage d’une faculté présente dans le code frontières Schengen. Cela étant, elle a certainement réagi de manière disproportionnée, voire a commis une erreur d’appréciation. Si l’on en croit le rapport de la Commission au Parlement et au Conseil sur l’application par les États du titre III — frontières intérieures — du code frontières Schengen, le rétablissement ponctuel des contrôles aux frontières internes est essentiellement lié à des événements particulièrement critiques : 50 ans de l’ETA, sommets franco-africains ou de l’OTAN… Sept notifications sur l’ensemble des 22 notifications de réintroduction temporaire des contrôles aux frontières émanent de la France, qui détient un record en la matière !!!! Peut-on penser que la présence de 250 à 300 personnes manifestant leur solidarité à l’égard des exilés tunisiens, titulaires de titres de séjour, soit constitutive d’une menace grave pour l’ordre public ? Il est possible d’en douter. Ce qui pose problème, en réalité, ce sont moins les textes — qui peuvent présenter quelques ambivalences ou contradictions que l’on peut effacer au regard de l’objectif de la création d’un véritable espace de libre circulation — que leur interprétation par les autorités. En outre, ce qui semble extrêmement problématique, c’est le fait que des contrôles systématiques soient effectués par la France aux frontières franco-italiennes, en contrariété avec les textes.

Le président Sarkozy, ex-ministre de l’Intérieur, a souligné que les réunions des ministres de l’Intérieur n’étaient pas le lieu où était géré Schengen. Alors, qui gère réellement l’application des accords de Schengen depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne attribuant cette compétence à l’Union européenne (art. 81 à 89 T. Lisbonne) ?

La Convention des accords de Schengen a, d’emblée, été marquée par un manque de lisibilité et de transparence quant aux instances chargées d’en assurer l’application et d’en déterminer les mesures d’exécution. Le Comité exécutif Schengen en était le rouage le plus important. En dépit de l’importance du rôle joué par le Comité exécutif, son fonctionnement n’était pas des plus transparents et, surtout, ses décisions étaient souvent marquées par le sceau de la confidentialité. Désormais, la Commission européenne est en charge de l’exécution du code frontières Schengen. Lui est associé un Comité, qui va assister la Commission dans « l’exercice de sa compétence d’exécution », pour reprendre la formule consacrée.

 

 

Questionnaire de Désiré Dalloz

Quel est votre meilleur souvenir d'étudiant ?

Les cours de droit pénal dispensés par Thomas Weigend, à Cologne en Allemagne, qui avait l’art d’inviter ses étudiants à la réflexion. Il proposait notamment divers cas pratiques que nous résolvions ensemble, après de longues discussions. C’était amusant, motivant et passionnant !

Quel est votre héros de fiction préféré ?

Aucun.

Pourquoi ?

Il est susceptible de changer d’identité quotidiennement. En ce moment, c’est le voyageur solitaire de Gérard Manset, interprété par Alain Bashung…

Quel est votre droit de l'homme préféré ?

S’il ne faut en retenir qu’un seul, ce serait le droit à la sûreté.

Pourquoi ?

C’est certainement l’un des droits humains qui est le plus bafoué à l’heure actuelle lorsqu’on pense aux entraves imposées aux migrants sur tout leur parcours de vie et à l’extension illimitée des dispositifs de surveillance aux condamnés et anciens détenus.

Références

Schengen (Accords de)

« Accords qui suppriment les contrôles de personnes à l’intérieur des États membres. Un premier accord signé le 14 juin 1985 à Schengen (Luxembourg) liait le Benelux, l’Allemagne et la France. Il a été complété par une convention d’application signée le 19 juin 1990. Sont aujourd’hui concernés tous les États appartenant à l’Union européenne (sauf Chypre à cause du problème de partition de l’Île, la Bulgarie et la Roumanie entrés dans l’Union seulement le 1er janv. 2007, l’Irlande comme le Royaume-Uni qui n’ont pas voulu adhérer) plus l’Islande, la Norvège et la Suisse. Le transfert des contrôles aux frontières extérieures a entraîné l’adoption de règles communes sur les visas, l’asile et les modalités mêmes du contrôle aux frontières. »

Source : Lexique des termes juridiques 2011, 18e éd., Dalloz, 2010.

Sur l’espace Schengen : cliquez ici.

La carte de l’espace Schengen.

Concernant le processus d’adhésion de la Roumanie et la Bulgarie à l’espace.

Règlement (CE) n° 562/2006 du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2006 établissant un code communautaire relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen)

Article 25

« Procédure dans les cas nécessitant une action urgente

1. Lorsque l'ordre public ou la sécurité intérieure d'un État exigent une action urgente, l'État membre concerné peut, exceptionnellement et immédiatement, réintroduire le contrôle aux frontières intérieures.

2. L'État membre qui réintroduit le contrôle à ses frontières intérieures en avise immédiatement les autres États membres et la Commission, et communique les informations visées à l'article 24, paragraphe 1, et les raisons qui justifient le recours à cette procédure. »

Consulter l’intégralité du Règlement.

Article 81 à 89 du Traité de Lisbonne du 13 déc. 2007.

La réaction du Parlement européen.

 


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