Actualité > Focus sur...
Focus sur...
© Marianne Bliman
Les amoureux au ban public
De plus en plus souvent le mariage (qui peut aussi être une promesse d'amour) sert de point de départ à l’application systématique d’un dispositif juridique de plus en plus contraignant. Elle vise le couple formé par un Français et un étranger. Docteur en droit, Nicolas Ferran est engagé depuis plus de quinze ans dans la défense des droits des étrangers au sein de La Cimade. Responsable juridique à l’Observatoire international des prisons, il vient de réaliser et de produire un film, Les amoureux au ban public, regroupant les témoignages attristants de couples mixtes.
Existe-t-il un cadre juridique spécifique applicable aux couples franco-étrangers ?
Il faut distinguer la question du mariage de celle du droit de mener sa vie familiale sur le territoire français. S'agissant du droit de vivre en famille en France, les couples franco-étrangers mariés sont soumis à des règles particulières, qui les distinguent bien sûr des couples franco-français non concernés par la législation sur l'immigration, mais aussi des couples de ressortissants étrangers relevant de la procédure spécifique du regroupement familial. Relevons au passage que les dispositions applicables à l'entrée et au séjour des étrangers conjoints de Français(es) n'ont cessé de se durcir au cours des vingt dernières années. Concernant le mariage par contre, il n'y a pas de cadre juridique spécifique aux couples franco-étrangers. La liberté du mariage est reconnue par le Conseil constitutionnel à « tous ceux qui résident sur le territoire de la République » (Cons. const. 13 août 1993) et « s'oppose à ce que le caractère irrégulier du séjour d'un étranger fasse obstacle, par lui-même, au mariage de l'intéressé » (Cons. const. 20 nov. 2003). Les mariages franco-étrangers sont soumis aux mêmes règles et procédures que les mariages entre deux citoyens français, qu'il s'agisse des unions contractées en France (art. 63 s. et 144 s. C. civ.) ou de celles célébrées devant une autorité étrangère à l'étranger (art. 171 s. C. civ.). En pratique cependant, dans un contexte de suspicion prononcée, les couples franco-étrangers s'exposent beaucoup plus que les autres à la mise en œuvre des contrôles et enquêtes prévus par la loi et destinés à vérifier la « sincérité » de leur mariage.
À quel moment et de quelle manière ces enquêtes sont-elles conduites ?
Dans le cas des mariages célébrés en France, les futurs époux sont auditionnés par l'officier d'état civil (art. 63 C. civ.) qui peut saisir le procureur de la République pour enquête s'il estime qu'existent des indices sérieux laissant présumer que le mariage est susceptible d'être annulé pour défaut ou vice du consentement (art. 175-2 C. civ.). Pour les mariages célébrés à l'étranger, le contrôle de l'intention matrimoniale peut être conduit par le procureur de la République de Nantes, sur saisine du consulat de France implanté dans le pays de célébration du mariage, que ce soit avant la célébration de l'union (dans le cadre de l'obtention du certificat de capacité à mariage) et/ou après le mariage, lorsque les époux en demandent la transcription sur les registres de l'état civil français (art. 171 s. C. civ.). La décision de l'officier d'état civil de saisir le Parquet n'est cependant pas susceptible de recours et de nombreuses saisines à la légalité douteuse ne sont ainsi pas sanctionnées. Ainsi en est-il par exemple de celles fréquemment fondées sur l'irrégularité du séjour du futur époux étranger alors que le Conseil constitutionnel a précisé très clairement que cette seule circonstance n'est pas suffisante pour faire naître un doute sur la sincérité du mariage permettant de saisir le procureur de la République (Cons. const. 20 nov. 2003, préc.). Il faut par ailleurs garder à l'esprit que les contrôles ne sont pas cantonnés au moment du mariage. L'obtention d'un visa pour la France, la délivrance et le renouvellement des titres de séjour temporaires aux étrangers conjoints de Français(es) dépendent non seulement de la sincérité de l'union mais aussi de la persistance de la communauté de vie entre les époux. Des contrôles peuvent ainsi se répéter tous les ans après le mariage, et ce pendant des années… En outre, ces enquêtes, souvent très intrusives (visite à domicile), confrontent les couples à des interrogatoires policiers ne respectant pas toujours les règles élémentaires de déontologie, d’objectivité et de respect des personnes auditionnées et les obligeant à dévoiler les aspects les plus intimes de leur vie privée et de leur relation familiale.
Dans le documentaire, il y a le témoignage de cette jeune femme, Laura, mariée à un Français et mère d'un enfant, qui souffre, personnellement et professionnellement mais aussi vis-à-vis de son mari, de sa précarité administrative puisqu'elle va de récépissés en récépissés jusqu’à l’obtention de la carte de séjour, qui à peine obtenue doit déjà être renouvelée.
Oui, en effet, les étrangers conjoints de Français(es) n'ont plus un droit automatique à l'obtention d'une carte de résident de 10 ans depuis 2003. Ils peuvent en solliciter la délivrance après 3 ans de mariage mais l'administration n'est pas tenue de la leur donner. En plus d'exposer les couples franco-étrangers à des contrôles de la persistance de la communauté de vie pendant des années, lors de chaque renouvellement du titre de séjour temporaire d'un an, cette précarisation du statut administratif des conjoints de Français(es) a un impact très fort sur la vie professionnelle et plus largement sociale de ces couples. Laura, comme beaucoup d'autres personnes, n'obtient le renouvellement de son titre de séjour tous les ans qu'après 6 à 9 mois d'attente sous récépissé. Lorsque ce titre lui est remis, il est déjà presque arrivé à expiration puisque sa durée de validité débute à la date d'expiration du précédent titre 6 à 9 mois plus tôt… Louer un appartement, trouver un CDI, obtenir un prêt pour financer un projet professionnel, etc. : autant de démarches qui sont beaucoup plus difficiles lorsqu'on ne dispose pas d'un statut administratif stable. Un procès doit ainsi se tenir au mois de mai prochain, visant une chaîne de supermarché pour discrimination à l’embauche. Le litige concerne une Ivoirienne mariée à un Français qui s’est vu refuser un poste au motif de son statut administratif. Cette situation de précarité administrative dans laquelle se trouvent de nombreux conjoints de Français est très difficile à vivre, peut être destructrice pour les couples, et s'avère totalement contradictoire avec l'injonction d'intégration que l'on fait peser sur les étrangers.
Le questionnaire de Désiré Dalloz
Quel est votre meilleur souvenir d'étudiant ?
Les cours de droit constitutionnel du professeur Dominique Rousseau.
Quel est votre héros de fiction préféré ?
L'inspecteur Kurt Wallander du romancier suédois Henning Mankell.
Quel est votre droit de l'homme préféré ?
Le droit au respect de la vie privée.
Références
■ N. Ferran, « La politique d'immigration contre les couples mixtes », in O. Lecour Grandmaison (dir.), Douce France, Éditions du Seuil, Paris, 2009.
■ Cons. const. 13 août 1993, n° 93-325 DC.
■ Cons. const. 20 nov. 2003, n° 2003-484 DC.
■ Code civil
« Avant la célébration du mariage, l'officier de l'état civil fera une publication par voie d'affiche apposée à la porte de la maison commune. Cette publication énoncera les prénoms, noms, professions, domiciles et résidences des futurs époux, ainsi que le lieu où le mariage devra être célébré.
La publication prévue au premier alinéa ou, en cas de dispense de publication accordée conformément aux dispositions de l'article 169, la célébration du mariage est subordonnée :
1° A la remise, pour chacun des futurs époux, des indications ou pièces suivantes :
-les pièces exigées par les articles 70 ou 71 ;
-la justification de l'identité au moyen d'une pièce délivrée par une autorité publique ;
-l'indication des prénoms, nom, date et lieu de naissance, profession et domicile des témoins, sauf lorsque le mariage doit être célébré par une autorité étrangère ;
2° À l'audition commune des futurs époux, sauf en cas d'impossibilité ou s'il apparaît, au vu des pièces fournies, que cette audition n'est pas nécessaire au regard des articles 146 et 180.
L'officier de l'état civil, s'il l'estime nécessaire, demande à s'entretenir séparément avec l'un ou l'autre des futurs époux.
L'audition du futur conjoint mineur se fait hors la présence de ses père et mère ou de son représentant légal et de son futur conjoint.
L'officier de l'état civil peut déléguer à un ou plusieurs fonctionnaires titulaires du service de l'état civil de la commune la réalisation de l'audition commune ou des entretiens séparés. Lorsque l'un des futurs époux réside à l'étranger, l'officier de l'état civil peut demander à l'autorité diplomatique ou consulaire territorialement compétente de procéder à son audition.
L'autorité diplomatique ou consulaire peut déléguer à un ou plusieurs fonctionnaires titulaires chargés de l'état civil ou, le cas échéant, aux fonctionnaires dirigeant une chancellerie détachée ou aux consuls honoraires de nationalité française compétents la réalisation de l'audition commune ou des entretiens séparés. Lorsque l'un des futurs époux réside dans un pays autre que celui de la célébration, l'autorité diplomatique ou consulaire peut demander à l'officier de l'état civil territorialement compétent de procéder à son audition.
L'officier d'état civil qui ne se conformera pas aux prescriptions des alinéas précédents sera poursuivi devant le tribunal de grande instance et puni d'une amende de 3 à 30 euros. »
« L'homme et la femme ne peuvent contracter mariage avant dix-huit ans révolus. »
« Le Président de la République peut, pour des motifs graves, autoriser la célébration du mariage en cas de décès de l'un des futurs époux, dès lors qu'une réunion suffisante de faits établit sans équivoque son consentement.
Dans ce cas, les effets du mariage remontent à la date du jour précédant celui du décès de l'époux.
Toutefois, ce mariage n'entraîne aucun droit de succession ab intestat au profit de l'époux survivant et aucun régime matrimonial n'est réputé avoir existé entre les époux. »
« Lorsqu'il existe des indices sérieux laissant présumer, le cas échéant au vu de l'audition prévue par l'article 63, que le mariage envisagé est susceptible d'être annulé au titre de l'article 146 ou de l'article 180, l'officier de l'état civil peut saisir sans délai le procureur de la République. Il en informe les intéressés. (Dispositions déclarées non conformes à la Constitution par décision du Conseil constitutionnel n° 2003-484 DC du 20 novembre 2003.)
Le procureur de la République est tenu, dans les quinze jours de sa saisine, soit de laisser procéder au mariage, soit de faire opposition à celui-ci, soit de décider qu'il sera sursis à sa célébration, dans l'attente des résultats de l'enquête à laquelle il fait procéder. Il fait connaître sa décision motivée à l'officier de l'état civil, aux intéressés (Dispositions déclarées non conformes à la Constitution par décision du Conseil constitutionnel n° 2003-484 DC du 20 novembre 2003).
La durée du sursis décidé par le procureur de la République ne peut excéder un mois renouvelable une fois par décision spécialement motivée.
À l'expiration du sursis, le procureur de la République fait connaître par une décision motivée à l'officier de l'état civil s'il laisse procéder au mariage ou s'il s'oppose à sa célébration.
L'un ou l'autre des futurs époux, même mineur, peut contester la décision de sursis ou son renouvellement devant le président du tribunal de grande instance, qui statue dans les dix jours. La décision du président du tribunal de grande instance peut être déférée à la cour d'appel qui statue dans le même délai. »
Autres Focus sur...
-
[ 19 décembre 2024 ]
Les petits arrêts insolites
-
[ 10 décembre 2024 ]
Sur le rejet du projet de loi de financement de la Sécurité sociale
-
[ 28 novembre 2024 ]
Joyeux anniversaire le Recueil Dalloz !
-
[ 21 novembre 2024 ]
À propos de l’accès à la profession d’avocat
-
[ 14 novembre 2024 ]
L’incrimination de viol
- >> Tous les Focus sur ...