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[ 18 avril 2019 ] Imprimer

Les conflits d’intérêts des magistrats

Les conflits d’intérêts des hommes politiques sont toujours à la une de nos quotidiens. Mais les hommes de justice tels les magistrats ne peuvent-ils pas connaître ces conflits également ? Claude Mathon, magistrat, avocat général à la Cour de cassation, nous répond sur ce thème.

Quels peuvent être les conflits d’intérêts pour un magistrat ?

Il faut tout d’abord s’entendre sur la notion de conflit d’intérêts. Aux termes de l’article 7-1 du statut de la magistrature, il s’agit de « toute situation d'interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou à paraître influencer l'exercice indépendant, impartial et objectif d'une fonction ». Il s’agit donc d’une situation dans laquelle les intérêts personnels d’une personne sont en opposition avec ses devoirs, lesquels tendent justement à la protection des intérêts dont elle a la charge. Il doit être souligné que la seule apparence de cette situation est constitutive du conflit d’intérêts dont la variante pénale est notamment le délit de prise illégale d’intérêts (C. pén., art. 432-12).

Les magistrats doivent donc être extrêmement prudents dans leurs relations avec les tiers, qu’il s’agisse de personnes physiques ou de personnes morales. Cela renvoie inévitablement à leur vie privée mais aussi à l’exercice de leurs fonctions. Par exemple, dans les années 1970, les magistrats ont été à l’origine de la création des associations de contrôle judiciaire et d’aide aux victimes et ils en ont pendant de longues années assuré la présidence. Ils ont toutefois dû abandonner ces fonctions, pourtant à l’évidence désintéressées, en raison du fait qu’ils alimentaient par leurs décisions judiciaires l’activité desdites associations. Ils doivent également, et toujours par exemple, veiller à ne pas participer à des conférences organisées par des sociétés juridiques qui se trouvent en procès devant leur juridiction.

Les situations de danger sont multiples et se heurtent au principe fondamental d’inamovibilité qui garantit l’indépendance de la Justice. Il existe cependant des obligations statutaires de mobilité. Par exemple, la durée des fonctions des chefs de juridictions (présidents et procureurs, premiers présidents et procureurs généraux) est limitée à sept ans (Statut de la magistrature, art. 28-23738-1 et 38-2).

Qu’est-ce que la récusation ?

L’article 7-1 susvisé du statut de la magistrature prévoit que « Les magistrats veillent à prévenir ou à faire cesser immédiatement les situations de conflit d'intérêts ». Pour ce faire, ils doivent se déporter quand il leur apparaît qu’ils se trouvent dans une telle situation, qu’elle soit avérée ou apparente. S’ils s’en abstiennent, les parties au procès peuvent demander leur récusation. Il est en conformité avec l’article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales qui pose l’exigence d’impartialité. Il en va de même de l’article L. 111-6 du Code de l'organisation judiciaire, d'application générale sauf dispositions particulières à certaines juridictions, qui énumère neuf cas de récusation qui sont objectifs (liens de parenté ou d'alliance, économiques, de subordination, procès en cours ou passé) ou subjectifs (amitié ou inimitié notoire à l’égard d’une partie, intérêt personnel du magistrat à la contestation, conflit d'intérêts).

Seuls les magistrats du siège sont concernés par ces dispositions. La situation des magistrats du parquet est différente dans la mesure où ils sont parties à la procédure. C’est dans le cadre hiérarchique que les difficultés peuvent se régler.

Ces dispositions générales se déclinent dans le Code de procédure civile (art. 341 s.) et dans le Code de procédure pénale (art. 668 s.). La demande est formée devant le Premier président de la cour d’appel. Si elle vise ce dernier, elle est alors soumise au Premier président de la Cour de cassation. Enfin, si elle concerne un magistrat de la Cour de cassation, elle est tranchée par la chambre à laquelle il appartient.

À titre d’illustration, on peut citer cette affaire récente de demande de récusation du Président de la chambre criminelle au motif qu’il était titulaire d’une décoration de la Légion d’honneur au même titre que l’une des parties. Dans un arrêt du 20 juin 2017, la chambre criminelle, présidée par le conseiller le plus ancien faisant fonction de président, composée de magistrats non concernés par cette distinction, a décidé que « La qualité de chevalier dans l'ordre de la Légion d'honneur, conférée à des magistrats, en raison de services civils ou sous les armes, ne saurait, à elle seule, avoir pour effet de les faire participer, avec l'ensemble des personnes, civiles ou militaires, également distinguées dans le même ordre, à une communauté de vues et d'esprit, y compris sur les sujets concernant la défense, de sorte qu'il pourrait en résulter un soupçon de partialité à leur encontre lorsqu'est en cause, dans l'affaire qu'ils ont à juger, un acte accompli au nom de la France et dans l'exercice de ses fonctions, par un agent de l'État bénéficiaire de la même distinction ». La procédure a pu ensuite reprendre son cours normal sous la présidence du Président de la chambre. Cet arrêt a été publié au Bulletin (pourvoi n° 16-80.935).

On notera qu’il existe également des modalités spécifiques de récusation de certains intervenants au procès pénal.

Enfin, la récusation doit être distinguée de la requête en suspicion légitime qui est un incident de procédure permettant à une partie, à l’occasion d’une instance en cours, de demander le dessaisissement d’une juridiction dans son ensemble quand elle suspecte sa partialité.

Quelle est la charte de déontologie des magistrats ?

La déontologie est inhérente à la qualité de magistrat et ne devrait donc pas faire l’objet d’une attention particulière. Ce n’est pourtant pas le cas. La simple consultation du rapport annuel 2018 (p. 87 s.) du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) révèle qu’elle fait l’objet d’une attention particulière puisque depuis 2016, il existe en son sein un service d’aide et de veille déontologique (SAVD), en même temps que s’est opérée une révision du Recueil des obligations déontologiques des magistrats (téléchargeable sur le site du CSM). C’est le SAVD qui a permis de mieux percevoir les besoins concrets des magistrats, dans leur exercice professionnel comme dans leur vie personnelle.

À la page 89 du rapport susvisé du CSM, il est indiqué que « L’article 20 de la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 confie à la formation plénière du Conseil supérieur de la magistrature le soin d’élaborer et de rendre public un Recueil des obligations déontologiques des magistrats.

« Le législateur organique n’a pas opté pour un code de déontologie, comme il peut en exister chez certains de nos voisins européens, privilégiant l’élaboration d’un recueil, énonçant des principes de conduite professionnelle, articulés autour des grandes valeurs devant structurer le comportement de tout magistrat.

« Cette orientation, clairement affirmée lors des travaux parlementaires, traduit le choix de ne pas figer le contenu de règles par essence évolutives, ni de les détailler dans un catalogue exhaustif mais inévitablement incomplet ».

L’absence de code de déontologie proprement dit résulte donc de la volonté du législateur.

Pourquoi n’existe-t-il pas pour les magistrats de l’ordre judiciaire un collège de déontologie comme cela existe pour les membres de la juridiction administrative ?

L’article 28 de la loi organique du 8 août 2016 a créé un collège de déontologie des magistrats de l’ordre judiciaire chargé de rendre des avis sur toute question déontologique concernant personnellement un magistrat, sur saisine de celui-ci ou de l’un de ses chefs hiérarchiques, mais aussi d’examiner les déclarations d’intérêts qui doivent lui être transmises en application de l’article 7-2 du statut. Cette instance est complémentaire du SAVD, leurs actions n’étant pas concurrentes mais complémentaires.

Le questionnaire de Désiré Dalloz

Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ? 

J’avais beaucoup d’admiration pour mon professeur de droit des transports. Il était non-voyant et le seul à l’oral à venir nous accueillir à la porte de la salle et à nous y reconduire. Ce fut une des plus belles leçons que j’ai reçues pendant mes études.

Quel est votre héros de fiction préféré ? 

Jean Valjean qui est un rappel à l’ordre constant pour qui poursuit ou juge.

Quel est votre droit de l’homme préféré ? 

Ils le sont tous.

 

Auteur :Marina Brillé-Champaux


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