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[ 13 janvier 2022 ] Imprimer

Les Déclarations des droits de l’homme et de la femme font bien partie de notre ADN

 En ce mois de novembre 2021, 200 ans après leurs rédactions, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne de 1791 entrent sous forme d’ADN aux Archives nationales. C’est un événement extraordinaire que nous raconte son inventeur Stéphane Lemaire, directeur de recherches au CNRS, LCQB, Sorbonne Université.

 

Quel est l’historique de l’idée d’utiliser l’ADN pour transporter des textes ?

La première fois que cette idée a été formulée, c’était en 1959, peu après la découverte de la structure de l’ADN. Richard Feynman – qui est un physicien américain célèbre, Prix Nobel de physique en 1965 – prononce un discours cette année-là dans lequel il se dit que peut-être un jour on pourra écrire l’ADN, on pourra le synthétiser. Et que si ça arrive ce sera peut-être une bonne idée de stocker les données dans l’ADN. Mais à l’époque on n’avait pas du tout la technologie pour faire ça. Entre cette première idée des années 1960 et la première démonstration effective, il a fallu attendre 2012. C’est à cette date que la première codification significative a été publiée par Georges Church, professeur à Harvard University. Il a démontré que : oui, on pouvait encoder des textes dans l’ADN et que oui, on pouvait les relire. Il en a déduit que ce type de stockage était des millions de fois plus dense que les meilleurs stockages à disposition, c’est-à-dire les disques durs. Plusieurs autres démonstrations ont ensuite été faites, avec le soutien financier de Microsoft pour certaines d’entre elles, car cette société investit beaucoup dans cette recherche. Mais toutes ces recherches sont basées sur de la chimie et de la physique et non sur la biologie. 

Quel est l’apport de la biologie et de votre nouvelle technologie DNA Drive ?

La synthèse chimique de l’ADN consiste à faire des petits brins, des tous petits morceaux d’ADN qui ne contiennent pas plus de 200 lettres. On les synthétise, on les garde dans un tube et ensuite on les met dans un séquenceur d’ADN, les mêmes séquenceurs que ceux utilisés pour séquencer les variants du coronavirus. Rien n’est biologique dans cette façon de stocker les données sur l’ADN. Ces techniques ont un certain nombre de limitations : l’écriture des données est ainsi très limitée et très coûteuse. Pour lever ces difficultés, nous, les biologistes, avons développé une technologie qui s’appelle DNA Drive qui est inspirée du vivant, et qui utilise de très longues molécules d’ADN, des chromosomes. On peut inscrire des milliers de lettres, l’ADN est ici en double hélice, des doubles brins d’ADN. Ce que nous avons développé, contrairement aux brins d’ADN des chimistes, c’est du stockage sur des longues molécules, l’équivalent de chromosomes. On peut ensuite les insérer dans une bactérie par exemple, qui va copier naturellement la séquence contenant les données à un coût très faible : à chaque fois que la bactérie va se diviser, elle va copier l’information inscrite dans l’ADN qui constitue désormais son propre ADN. Si on fait une culture de cette bactérie, en quelques heures on a des milliards de copies de cet ADN. Voilà la différence entre ce qui se faisait avant et ce que nous avons fait : ce n’est pas la première fois qu’on fait un encodage sur de l’ADN mais c’est la première fois que l’on fait cette codification avec un ADN qui est compatible avec le vivant et qui peut donc être manipulé par le vivant. On a simplement utilisé le vivant qui utilise l’information génétique depuis que la vie existe sur terre. L’ADN est transmis de génération en génération. Ainsi le vivant a les techniques pour le copier, le lire, amplifier le signal, en corriger les erreurs. Notre stratégie consiste donc à adapter cette technologie qui existe déjà dans le vivant pour manipuler des données. 

L’intérêt est que les copies sont moins chères, plus nombreuses et avec moins d’erreurs. Or aujourd’hui en informatique il y a beaucoup de copies, on fait énormément de backups, on fait des réplications. Pour faire des bactéries, je schématise un peu, il faut juste du sucre. On transforme du sucre en produits numériques en fait. Cela permet de faire des milliards de copies, avec un coût très bas et un taux d’erreur très bas également.

Mais dans 500.000 ans, comment sera-t-il possible de désencoder les capsules des Archives nationales ?

La réponse est plus simple qu’il n’y paraît. Dans le stockage des données, le problème aujourd’hui est l’obsolescence des médias. Si je vous envoie une disquette, vous ne pourrez pas la lire parce que vous n’aurez pas le lecteur de disquette, à supposer que les données soient encore intègres. Si je vous donne des disquettes 3 pouces et demi, des MiniDiscs voire un CD-ROM, vous n’aurez plus les lecteurs adéquats. Eh bien l’ADN lui ne sera jamais obsolescent, on ne peut pas changer le support de l’information génétique, ce sera toujours l’ADN. Donc on aura toujours besoin de lecteur d’ADN parce qu’on aura toujours besoin de lire l’ADN pour la biologie et la médecine. Donc à partir du moment où la vie est basé sur l’ADN - sauf si nous disparaissons mais à ce moment-là le stockage ne sera pas notre principal problème -, il faudra donc toujours ces technologies-là. Depuis les années 1980, on sait séquencer l’ADN et les progrès faits depuis sont grands. On peut imaginer que dans 10.000 ans, on pourra séquencer l’ADN de manière encore plus efficace, de façon ultra rapide. Le vivant ne sera jamais obsolescent.

Pourquoi avoir choisi d’associer les deux Déclarations qui n’ont pas la même nature juridique ? 

En 2018, un journal d’étudiants du campus de Sorbonne Université, qui traite des sujets scientifiques et des sujets de société, avait fait un article sur un groupe de chercheurs suisses et américains qui avaient stocké des données sur l’ADN, une des démonstrations dont je vous ai déjà parlé. En discutant avec les étudiants - nous manipulions de l’ADN dans nos laboratoires puisque l’on fait de la génétique -, je leur ai dit que ce n’était pas très compliqué, qu’on pouvait le faire. Et ils m’ont mis au défi de le faire. Je leur ai dit que je relevais le défi mais seulement « si vous me trouvez un texte qui ait du sens. Je n’ai pas envie d’encoder la page WEB de mon université. » Ils sont repartis, ils ont réfléchi, ils ont beaucoup discuté entre eux et un mois après, ils sont revenus me voir, ils avaient trouvé, ils m’ont dit : « Il faut encoder la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. » Je leur ai répondu que c’était une super idée mais qu’on allait y ajouter la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne d’Olympe de Gouges parce que c’est un texte non institutionnel qui ne fait pas partie du fonds des Archives nationales car ce n’est pas un texte officiel. Il a été soumis à l’Assemblée nationale, Olympe de Gouges a écrit une lettre, La Lettre à la Reine, pour que ce soit débattu par les députés mais le texte a été complètement ignoré, même pas discuté. Cette lettre est dans les Archives de l’Assemblée nationale, il y a également des traces de ce document publié en 1791 à la Bibliothèque Nationale de France (BnF). Mais il n’y a aucune trace officielle de ce texte qui n’appartient pas au bloc de constitutionnalité. Pour notre équipe, dans le contexte actuel, la question de l’égalité Femme-Homme est importante, et nous la défendons en tant qu’universitaires. Nous avons choisi volontairement de les associer. Nous venons donc de faire entrer la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne aux Archives nationales, dans l’armoire de fer, à côté de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. C’est très fort pour nous.

Quelles sont les suites de cette invention ?

Les suites se tourneront plus vers des applications concrètes de cette nouvelle technologie. L’émergence du champ disciplinaire de la biologie synthétique est un tournant majeur pour la biologie du xxie siècle. C’est également un tournant industriel majeur et je suis convaincu que la biologie synthétique permettra la prochaine révolution industrielle, à même de répondre aux défis sociétaux et environnementaux des prochaines décennies. J’ai donc créé une startup, Biomemory (spin-off de Sorbonne Université et du CNRS). C’est une société de biotechnologie spécialisée dans le stockage de données numériques sur ADN. Son objectif est de contribuer à relever le défi mondial de la croissance du volume de données. Pour cela, Biomemory travaille notamment avec de grands hébergeurs et des fabricants de matériel informatique et conçoit des solutions de stockage de données avec la plus petite empreinte carbone possible en s’appuyant sur la domestication et l’adaptation des processus biologiques.

Le questionnaire de Désiré Dalloz

Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ?

À la fin de ma licence, ma rencontre en 1993 avec mon futur directeur de thèse, le Pr. Jean-Pierre Jacquot qui m’a fait découvrir ma vocation pour la recherche scientifique.

Quels sont votre héros et votre héroïne de fiction préférés ?

Mon héros préféré : Julius Corentin Acquefacques et plus généralement toutes les œuvres de Marc-Antoine Mathieu. Mon héroïne préférée : Olympe de Gouges, même si ce n'est pas un personnage de fiction. Pour la fiction, Lara Croft aussi bien dans les films que dans les jeux vidéo.

Quel est votre droit de l’homme préféré ?

Ils sont tous importants mais l'un de ceux qui me tient le plus à cœur est la libre communication des pensées et des opinions.

 

 

Auteur :Marina Brillié-Champaux


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