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Les droits du fleuve Tavignanu
En Corse, île de Méditerranée, le collectif Tavignanu Vivu est à l’initiative de la première déclaration en Europe des droits d’un fleuve, déclaration soutenue – entre autres – par une motion de la collectivité de Corse votée le 17 décembre 2021. Cette dernière a soutenu également l'exposition « L'eau rit ! L'acqua ride ! Confluons pour Tavignani » qui s’est tenue cet été à la Caserne Padoue, Citadelle de Corti. Raphaël Brett, maître de conférences en droit public à la Faculté Jean Monnet, Université Paris Saclay, nous éclaire sur cette reconnaissance civile et politique de Tavignanu.
Quel est le statut juridique de tout fleuve en France ?
Les cours d’eau, en France, se divisent en deux catégories : les cours d’eau domaniaux et les cours d’eau non-domaniaux. Les fleuves, de par leur importance, relèvent essentiellement de la catégorie des cours d’eau domaniaux, c’est-à-dire qu’ils appartiennent au domaine public. Ils sont appréhendés par un corpus juridique complexe : si le Code général de la propriété des personnes publiques détermine avec une certaine précision l’étendue du « domaine public fluvial », c’est le Code de l’environnement qui en organise avec minutie le régime et la gestion, notamment au travers de l’exercice de la police administrative dans ce domaine. Cette gestion est concrètement partagée entre services préfectoraux, agences de l’eau, comités de bassin, et collectivités territoriales titulaires de la compétence de « gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations » (GEMAPI) : un vrai dédale d’institutions et de procédures à l’image de la complexité de l’objet à gérer !
Quels sont les principaux statuts des fleuves dans d’autres pays ?
Cette question est particulièrement difficile car chaque État entretien une relation unique avec ses écosystèmes, notamment fluviaux. C’est la raison pour laquelle un même fleuve peut ne pas avoir le même statut selon le pays qu’il traverse. Cette discordance est d’ailleurs à l’origine de nombreuses conventions internationales ayant pour vocation d’harmoniser les pratiques (c’est le cas pour l’Amazone, le Nil, le Rhin, etc.). C’est ce même souci d’harmonisation qui, au niveau européen, a suscité l’adoption de la directive-cadre sur l’eau du 23 octobre 2000, qui structure encore aujourd’hui le droit des États membres en la matière. Dans la plupart des pays fédéraux ou assimilés, ce sont en outre les autorités locales qui sont généralement compétentes pour la gestion des fleuves, multipliant ainsi les régimes spécifiques. Si nous avons des exemples de reconnaissances étatiques de fleuves en tant que sujets de droit (fleuve Whanganui en Nouvelle-Zélande ou fleuve Atrato en Colombie par exemple), ce sont les autorités locales qui sont désormais les plus actives dans ce mouvement (fleuve Gange et Yamuna dans l’État indien d’Uttarakhand ou encore fleuve Yarra dans l’État fédéré australien de Victoria).
Que prévoit la déclaration des droits du fleuve Tavignanu ?
La déclaration des droits du fleuve Tavignanu est composée, de manière assez classique, de deux parties : un préambule, suivi de 12 articles. Au sein du préambule, les auteurs de la déclaration ont d’abord entendu rappeler l’influence des fleuves dans le fonctionnement des écosystèmes mondiaux – et notamment dans l’épanouissement de l’espèce humaine – puis situer l’importance du fleuve Tavignanu pour la et les Corse(s). Quant aux articles : le premier énonce la reconnaissance de la personnalité du fleuve Tavignanu, tandis que le deuxième procède à l’énoncé de ses droits que sont : le droit d’exister, de vivre et de s’écouler ; le droit au respect de ses cycles naturels ; le droit de remplir ses fonctions écologiques essentielles ; de ne pas être pollué ; etc… La déclaration souligne ensuite le rôle des futurs « gardiens » du fleuve qui le représenteront, le cas échéant devant la justice (art. 3, 4 et 5) ; et consacre enfin de nombreux développements aux pouvoirs publics, sommés de prendre en compte les intérêts du fleuve dans leurs décisions (art. 6), d’évaluer régulièrement son état de santé (art. 8), de mobiliser des moyens financiers pour assurer le respect de ses droits (art. 9) et plus généralement d’assurer l’effectivité de la déclaration (art. 12).
Quelle mise en œuvre de cette déclaration semble possible ?
Sur le plan strictement juridique, cette déclaration est (pour l’instant) dénuée de tout effet. Émanant d’un collectif issu de la société civile, elle n’exprime pas autre chose que la volonté de ses auteurs même si sa prétention est bien entendu tout autre. Elle peut en revanche servir de fondement politique à l’action de collectivités locales désireuses d’agir plus énergiquement pour la protection du fleuve : la délibération de l’Assemblée de Corse du 17 décembre 2021 qui « soutient » cette déclaration et « reconnaît Tavignanu comme une entité vivante » en est la parfaite illustration. Cette déclaration constitue aussi un élément de réflexion à verser au débat sur la reconnaissance de droits à la nature par le législateur français. C’est effectivement au législateur (sauf hypothèse rarissime de mention constitutionnelle) à qui il incombe, en vertu de l’article 34 de la Constitution, de fixer « les règles concernant […] l’état et la capacité des personnes ». Pour que se réalise en fait, ce que la déclaration propose en puissance, il est donc nécessaire que la loi prévoit que la nature – ou certains de ses éléments – puisse être une personne (sans doute d’un type nouveau car la dichotomie classique personne physique/morale ne paraît pas pertinente) ce qui impliquera que soient déterminées les modalités de reconnaissance/création de ces personnes, ainsi que la nature et l’étendue de leurs droits.
Le questionnaire de Désiré Dalloz
Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ?
Mes études ayant duré pratiquement 10 ans (5 ans de cursus jusqu’au Master 2 auxquels il convient d’ajouter 5 ans de thèse), il est difficile de sélectionner un moment. J’en choisirai donc deux : mon cours de droit constitutionnel de première année, qui m’a permis de réaliser que je ne m’étais pas trompé d’études ; et un séminaire de droit international de Master 2, à l’occasion duquel j’ai rencontré celle avec laquelle je partage mon existence depuis lors.
Quels sont votre héros et votre héroïne de fiction préférés ?
À nouveau, c’est particulièrement difficile pour moi car je suis extrêmement « bon public » et éclectique : de Julien Sorel à Luke Skywalker, je me laisse facilement conquérir par des personnages très différents, pourvu que leurs histoires soient bien écrites. Donc, joker (pas le personnage ! Quoique…).
Quel est votre droit de l’homme préféré ?
Incontestablement le droit à l’éducation, qui sépare la civilisation de l’obscurantisme.
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