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Les éléments constitutifs du viol imposent-ils une pénétration « significative » ?
Les faits sont graves : des cunnilingus et des attouchements infligés à plusieurs reprises par un beau-père à sa belle-fille depuis ses 13 ans. Le débat juridique porte sur la qualification juridique : doit-elle être celle de viol ou d’agression sexuelle ? Le juge d’instruction a requalifié les faits de viol commis par une personne ayant autorité sur la victime en faits d’agression sexuelle incestueuse par personne ayant autorité sur la victime et a renvoyé le prévenu devant le tribunal correctionnel. La chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris a confirmé cette ordonnance du juge d’instruction. La chambre criminelle de la Cour de cassation a, par un arrêt du 14 octobre 2020, rejeté le pourvoi formé par la plaignante constituée partie civile. Dalloz Actu Étudiant souhaite revenir sur cette décision. Julie Leonhard, maître de conférences HDR à l’Université de Lorraine, nous éclaire sur cette délicate affaire.
Quels sont les éléments constitutifs du viol selon la loi ?
Prévue par l’article 222-23 du Code pénal, l’infraction de viol suppose la réunion d’un élément matériel et d’un élément moral. Le premier est constitué par « tout acte de pénétration sexuelle de quelque nature qu’il soit » sur la personne victime ou sur la personne de l’auteur imposé par « violence, contrainte, menace ou surprise », tandis que le second consiste classiquement en la volonté de commettre l’acte et en la conscience de l’imposer à une victime qui n’y consent pas.
Quels sont ceux de l’agression sexuelle ?
Le délit d’agression sexuelle se caractérise par « toute autre atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise ». Autrement dit, l’agression sexuelle se caractérise par l’absence de pénétration sexuelle (tout autre acte sexuel). Le délit est du reste (et sans surprise) une infraction volontaire.
Quel est le rôle du juge dans cette qualification juridique des faits ?
La qualification juridique est proposée par le ministère public. Puis, le juge (d’abord d’instruction le cas échéant et/ou de jugement), saisi in rem (c’est-à-dire de faits matériels) peut approuver cette qualification, mais aussi procéder à une disqualification et à une requalification. Le juge n’est pas lié par la qualification juridique proposée par le parquet si elle lui paraît inappropriée aux faits.
Quelle est la position de la chambre d’instruction sur les faits de l’espèce ?
La position de la chambre de l’instruction, qui confirme l’ordonnance du juge d’instruction qui a requalifié les faits en agression sexuelle, porte tout autant sur l’élément matériel que sur l’élément moral du viol.
Elle paraît d’abord exiger que l’infraction de viol suppose une pénétration « suffisamment profonde pour caractériser un acte de pénétration » (élément matériel) ; « aucune précision en termes d’intensité, de profondeur, de durée ou de mouvement » n’étant apportée, rien ne prouverait une « introduction volontaire au-delà de l’orée du vagin » (il n’y aurait pas de pénétration sexuelle).
Elle considère ensuite que l’intention du prévenu était de se limiter à une agression sexuelle (élément moral) ; il n’y a pas de preuve d’une introduction volontaire de la langue du prévenu dans le sexe de la victime (il n’y aurait pas d’intention de commettre une pénétration sexuelle).
Que conteste la victime devant la chambre criminelle de la Cour de cassation ?
Le premier moyen au pourvoi de la victime porte sur la profondeur de la pénétration sexuelle qui ne constitue pas une condition de qualification du viol. La chambre de l’instruction aurait ainsi ajouté un élément (une profondeur significative) non exigé par la lettre de la loi.
Le second moyen au pourvoi de la victime concerne l’élément intentionnel du viol, celle-ci considérant que « le caractère volontaire de l’agression sexuelle qui dégénère en pénétration sexuelle infligée à la victime suffit à caractériser l’élément moral du viol ». Le caractère intentionnel de l’acte de pénétration résulterait de la seule volonté du prévenu de lui imposer un acte sexuel non consenti.
Que répond la chambre criminelle de la Cour de cassation ?
La décision de la chambre criminelle de la Cour de cassation désole tout autant que l’arrêt de la chambre d’instruction. Dans un attendu très bref, la haute juridiction valide la qualification d’agression sexuelle considérant que « par une appréciation souveraine des faits », la chambre de l’instruction a justifié sa décision : les éléments constitutifs du viol ne sont pas réunis. Il est regrettable qu’elle se borne à qualifier d’« inappropriée » la motivation de la chambre d’instruction sans clairement réaffirmer quels sont les éléments constitutifs du viol (V° en ce sens, M. Dominati, « Viol : la pénétration “significative” ne requiert aucun seuil de profondeur », Dalloz actualité, 13 nov. 2020).
Faut-il en déduire que la Cour de cassation exigera désormais une pénétration significative pour que le viol soit caractérisé ? Assurément non. Dans les faits d’espèce le « vrai » problème, malheureusement masqué par les formulations maladroites et critiquables de la chambre de l’instruction quant à la profondeur et l’intensité de la pénétration sexuelle, porte sur la réalité même d’une pénétration vaginale par la langue du prévenu. À défaut d’éléments probants suffisants rapportés par le ministère public, la qualification d’agression sexuelle aggravée a certainement été retenue pour garantir des poursuites pénales et une condamnation.
Faut-il changer le droit pour une meilleure prise en compte des victimes ?
Plutôt que de penser réécrire des infractions (viol et agression sexuelle) suffisamment distinctes pour ne pas les mélanger, il semblerait plus opportun de réfléchir à la délicate question de la preuve (preuve d’une pénétration sexuelle et preuve de l’absence du consentement), qui se trouve être en réalité à l’origine de la requalification opérée. Certains auteurs regrettent ainsi la place allouée à la preuve scientifique et médicale (V° en ce sens A. Darsonville, « Éléments constitutifs du viol : encore des progrès à faire ! », AJ pén. 2020. 590).
Le questionnaire de Désiré Dalloz
Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ?
Mon « droit de l’homme préféré » me permet délicatement de ne pas répondre.
Quels sont votre héros et votre héroïne de fiction préférés ?
Les personnages d’Agatha Christie qui ont bercé mon enfance : Miss Marple et Hercule Poirot.
Quel est votre droit de l’homme préféré ?
Le droit au respect de la vie privée (Conv. EDH, art. 8).
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