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Les frontières de l’Espace Schengen
Face aux migrants politiques ou économiques, l’Union européenne me semble malheureusement toujours se chercher et ne trouver que des réponses au cas par cas de ses États membres. Corinne Balleix, enseignante à Sciences Po Paris, auteur d’un essai Enjeux et Défis de la politique migratoire européenne (Dalloz, 2022), a la gentillesse de bien vouloir m’éclairer sur ce thème.
La liberté de circulation est-elle applicable dans l’Espace Schengen ?
L’espace Schengen a été mis en place à partir de 1985 pour renforcer la libre circulation des personnes au sein du marché unique européen et accroître les bénéfices qui en découlent (augmentation du commerce, et de la concurrence, baisse des prix, accroissement de la consommation et de la croissance économique). Les postes-frontières ont donc été démantelés aux frontières intérieures. Cependant, pour éviter que des ressortissants de pays tiers en situation irrégulière ou des criminels ne profitent également de cet espace sans frontières, l’espace Schengen suppose un renforcement des contrôles aux frontières extérieures de cet espace. Les défaillances constatées dans l’efficacité de ces contrôles peuvent conduire au rétablissement de contrôles aux frontières intérieures entre États. La décision unanime du Conseil du 8 décembre 2022 a permis à la Croatie de rejoindre l’espace Schengen, qui compte ainsi 23 États membres de l’UE, ainsi que 4 États tiers (Suisse, Lichtenstein, Norvège, et Islande). L’Irlande souhaite rester en dehors, tandis que la Bulgarie, la Roumanie et Chypre n’ont pas encore été admises à y participer.
L’Espace Schengen permet-il le contrôle aux frontières intérieures et extérieures ?
Le Code frontières Schengen adopté en 2006 et révisé plusieurs fois depuis fixe des règles pour organiser la libre circulation des personnes à l’intérieur de l’espace Schengen et les contrôles aux frontières intérieures et extérieures.
Aux frontières extérieures, les ressortissants de pays tiers sont soumis à des contrôles approfondis, en particulier de leur visa, lorsqu’applicable, titre de séjour, billet de retour, ressources suffisantes, assurance, et absence d’enregistrement dans le système d’information Schengen ; depuis 2016, en réaction au départ de citoyens européens s’enrôlant dans le djihâd en Syrie, les personnes bénéficiant de la libre circulation sont également soumises à des contrôles systématiques en entrée et en sortie de l’espace Schengen.
Les frontières intérieures ont en principe disparu. Cependant, outre des contrôles de police dans les zones frontalières, de véritables contrôles frontaliers peuvent être rétablis pour des durées limitées (6 mois renouvelables selon le Code frontières Schengen, jusqu’à deux ans), en cas de menace à l’ordre public ou la sécurité intérieure, qu’elle soit prévisible (événement sportif ou politique) ou imprévisible (attentat terroriste, manquements graves et persistants aux frontières extérieures, et, plus récemment pandémie de Covid-19 et contexte de la guerre en Ukraine).
La révision du Code frontières Schengen actuellement en négociation vise en particulier à trouver un équilibre entre principe de libre circulation et droit des États membres à rétablir des contrôles aux frontières intérieures. Au-delà des manquements graves et persistants aux frontières extérieures serait ajouté un motif nouveau de rétablissement lié aux mouvements secondaires de migrants au sein de l’espace Schengen, et la durée des contrôles aux frontières intérieures pourrait être prolongée si nécessaire.
Que dit la Cour de justice de l’Union européenne dans son arrêt du 26 avril 2022 concernant ces contrôles ?
Depuis 2015, plusieurs États membres (France, Allemagne, Autriche, Suède) maintiennent des contrôles sur certaines portions de leurs frontières intérieures dans l’espace Schengen pour des motifs migratoires (Autriche, Allemagne, Suède) ou sécuritaire (France). Pourtant, les flux migratoires irréguliers étaient revenus au niveau d’avant la crise de 2015 et, aux termes du Code frontières Schengen, ces mesures étaient censées prendre fin au plus tard en mai 2018.
L’article 4§2 du traité sur l’Union européenne confère cependant une compétence exclusive aux États membres en matière d’ordre public et de sécurité intérieure, afin de prévenir la survenance d’un événement grave. La Cour de justice de l’UE peut cependant être sollicitée pour évaluer la proportionnalité des mesures prises par les autorités nationales au regard des nécessités d’ordre public et de sécurité intérieure de l’article 4§2 du TUE.
L’arrêt de la CJUE du 26 avril 2022 (affaires jointes C-368/20 et C-369/20) encadre le droit des États membres à exercer leur compétence exclusive en matière d’ordre public et de sécurité intérieure. Elle limite en effet à une durée maximale de six mois le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures motivé par une menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure d’un État membre, et prévoit que « ce n’est qu’en cas de survenance d’une nouvelle menace grave qu’il peut être justifié d’appliquer de nouveau une telle mesure ».
Que constate le Conseil d’État dans son arrêt du 27 juillet 2022 concernant la menace motivant les contrôles par les autorités françaises ?
À la suite de l’arrêt de la CJUE du 26 avril 2022, plusieurs organisations ont contesté la décision des autorités françaises de renouveler les contrôles aux frontières intérieures de l’espace Schengen du 1er mai au 31 octobre 2022.
Dans sa décision du 27 juillet 2022, le Conseil d’État, s’appuyant sur l’arrêt de la CJUE du 26 avril 2022, a estimé que « Une menace peut être regardée comme nouvelle […] soit lorsqu’elle est d’une nature différente de celles des menaces précédemment identifiées, soit lorsque des circonstances et événements nouveaux en font évoluer les caractéristiques dans des conditions telles qu’elles en modifient l’actualité, la portée ou la consistance. De tels circonstances et événements peuvent tenir, notamment, à l’objet de la menace, son ampleur ou son intensité, sa localisation et son origine ».
Concrètement, le Conseil d’État a certes admis que les mouvements secondaires de migrants irréguliers ne constituaient pas une menace nouvelle. En revanche, il a considéré que les risques en termes de crime organisé et traite des êtres humains générés par le conflit ukrainien étaient nouveaux. Les risques d’attaques terroristes étaient pour leur part renouvelés, notamment à la suite de l’évasion de centaines de prisonniers consécutive à l’attaque contre la prison d’Hassaké dans le nord-est syrien, et dans le contexte du verdict attendu dans le procès des attentats du 13 novembre 2015. L’arrivée de nouveaux variants du Covid-19, particulièrement contagieux, constituait enfin une dernière menace nouvelle à l’ordre public justifiant le renouvellement des contrôles aux frontières intérieures de l’espace Schengen.
Le questionnaire de Désiré Dalloz
Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ?
J’ai beaucoup de bons souvenirs de la période durant laquelle j’étais étudiante, mais le moment le plus heureux a été celui de la fin de rédaction de mon doctorat. J’ai aimé le travail d’enquête et les lectures diverses qu’il a nécessité ; la construction d’hypothèses ; leur confrontation avec de nouvelles lectures et ce qu’apportaient des entretiens avec des acteurs de terrain souvent passionnés. La construction du plan a été une période parfois difficile, de doutes et de solitude. Les débuts de la rédaction ont aussi été laborieux. Mais, peu à peu, à mesure que j’avançais dans ce travail d’écriture, des connexions inattendues s’effectuaient entre différents éléments de mon sujet ; j’ai aimé être habitée au fil des jours par ce projet, que des difficultés soient résolues comme par miracle après une nuit de sommeil ; et qu’il en sorte un ouvrage qui a pu être publié aux PUF. C’est le plaisir que j’ai eu dans ce travail qui explique que j’aie continué à écrire par la suite, et je suis amusée de voir qu’il se soit transmis à mes enfants, les deux plus grandes ayant aussi choisi de se lancer dans l’aventure d’un doctorat.
Quels sont votre héros et votre héroïne de fiction préférés ?
Charly Chaplin est le héros de fiction qui me vient spontanément à l’esprit. J’aime le regard drôle, critique, et pourtant plein d’humanité qu’il porte sur le monde qui l’entoure. Sa capacité incroyable à trouver du comique dans des situations parfois tragiques. Ce langage qu’il a forgé par son jeu de mime au fil de ses films. Le parti qu’il a pris de se mettre du côté des gens modestes, au travers de son personnage de vagabond maladroit. La liberté inouïe de son personnage décalé par rapport aux règles et convenances de sa condition sociale. La tendresse, présente dans chacun de ses films.
Quel est votre droit de l’homme préféré ?
La dignité est un droit qui me paraît recouvrir plusieurs autres droits de l’homme (droit à la non-discrimination, à l’égalité, droit de ne pas être soumis à la torture ou à l’esclavage, droit à la liberté et la sécurité, droit à la liberté de pensée, de religion, d’expression… etc.). Ayant eu l’occasion de travailler avec des demandeurs d’asile, ce qui m’est apparu essentiel, c’est que, quelle que soit la qualité de leur dossier de demande d’asile, leur dignité soit respectée : lorsqu’ils ne remplissent pas les critères pour être accueillis à ce titre en France, il est important de leur en expliquer les raisons, en témoignant du respect pour leur personne et le parcours qu’ils ont accompli. Mais lorsqu’une personne victime de persécutions ou d’atteintes graves voit reconnaître ses craintes, il est souvent très perceptible qu’il s’agit pour elle d’une étape essentielle vers la reconstruction de sa dignité.
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