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Les Institutes de Justinien aujourd’hui
Publiées à Constantinople le 21 novembre 533 après JC, l’empereur Justinien assigne une double fonction aux Institutes : pédagogique en tant que manuel officiel d'enseignement du droit destiné aux étudiants de première année des deux principales écoles de droit de l'Empire romain et juridique : comme source de droit et recueil de dispositions légales positives régissant tous les justiciables de l'empire. C’est donc un texte d’une valeur juridique considérable dont une nouvelle traduction vient de paraître (Dalloz, 2021). Les traducteurs en sont Philippe Cocatre-Zilgien, professeur à l'Université Paris II (Panthéon-Assas), directeur du centre de documentation de documentation des droits antiques (CDDA) au sein de l’Institut d’histoire du droit et Jean-Pierre Coriat, professeur émérite à l'Université Paris II, ancien membre de l’École française de Rome, ancien directeur de l’Institut de droit romain. Ils répondent à nos questions.
Le travail de traduction des Institutes de Justinien n’avait pas été entrepris depuis le XIXe siècle, pourquoi le proposer aujourd’hui ?
Les traductions utilisées ont vieilli.
La façon de lire les sources du droit romain a changé.
Le droit romain reste à la base du droit français d’aujourd’hui : nous avons voulu mettre un outil modernisé à la disposition des juristes (notamment des étudiants) qui s’intéressent aux origines du droit contemporain.
Que nous reste-il des Institutes dans le droit français ?
Des pans entiers du droit français sont encore régis par des règles contenues dans les Institutes. Ceci est le cas non seulement dans le Code civil, mais encore d’autres codes. Citons deux exemples seulement. 1°) Le nouvel article 1130 du Code civil, qui date de 2016, énonce les vices du consentement (erreur, dol et violence) qui peuvent empêcher la formation d’un contrat : on les trouvait déjà dans un paragraphe des Institutes (Inst. 4, 13, 1). 2°) La définition du vol donnée par l’article 311-1 du Code pénal de 1992 n’est que la traduction en français de la définition des Institutes (Inst. 4, 1, 1).
Le lecteur trouvera dans le livre des tables de concordance entre les articles des codes d’aujourd’hui et les passages des Institutes qui y correspondent. Ceci permettra une comparaison pertinente entre droit romain et droit moderne.
Quelle était la vision de Justinien ?
Justinien a été très soucieux de la qualité des études de droit, pour donner à l’« État » (les Romains disaient « république ») des juges de haut niveau (les Institutes furent le manuel de première année des étudiants en droit de son temps). Il a eu l’ambition de clarifier toutes les règles de droit applicables aux justiciables. Il a voulu améliorer l’administration de la justice. Il a cherché à accélérer les procès. Ce sont des conditions essentielles de tout « État de droit », aujourd’hui comme il y a quinze siècles.
Quelles leçons peut-on retirer aujourd’hui de ce texte ancien ?
Les Institutes de Justinien contiennent plusieurs paragraphes qui rappelaient aux Romains que leur droit avait à maintes reprises connu des innovations décisives, voire des révolutions. Un exemple : l’empereur Antonin le Pieux (138-161) a donné aux esclaves une voie de recours contre leurs maîtres lorsque ceux-ci les maltraitaient, ou les abusaient sexuellement (Inst. 1, 8, 2). C’est ce qu’on appellerait aujourd’hui « garantir l’accès au droit » à des justiciables jusque là sans défense.
Le même paragraphe contient de plus une opinion du juriste Ulpien, qui peut amener le droit à limiter les abus de la propriété privée : « il est avantageux pour la république que personne ne fasse un mauvais usage de sa chose ». On mesure toutes les implications que ce principe peut avoir de nos jours encore.
On lit dans les Institutes des phrases qui ont été apprises pendant des siècles par les juristes et qui sont aujourd’hui complètement intégrées dans notre culture juridique. Par exemple sur la liberté : « la liberté est la faculté naturelle de faire ce qu’il est libre à quiconque de faire, sauf si quelque chose est interdit par la violence ou par le droit » (Inst. 1, 3, 1) ; « la servitude est une disposition… par laquelle quelqu’un est assujetti contre nature à la propriété d’autrui » (Inst. 1, 3, 2) ; « en droit naturel, tous naissaient libres » (Inst. 2, 5, pr.).
Que penserait Justinien de l’inflation législative que nous connaissons aujourd’hui ?
Justinien a radicalement diminué le nombre des livres de droit que les justiciables pouvaient alléguer en justice. Avant sa réforme du droit romain, les parties à un procès pouvaient se référer à deux mille livres, contenant trois millions de lignes. Cette documentation juridique excessive submergeait les tribunaux et allongeait les procès. Après sa réforme, le nombre des livres de référence a été réduit à cinquante et celui des lignes à cent cinquante mille. (L’empereur lui-même a fait faire ces calculs : Constitution Tanta, § 1er.)
Cependant, il a lui-même beaucoup légiféré et il ne se prive pas de citer ses propres lois dans les Institutes mêmes.
L’« inflation législative » est-elle une fatalité ? Lorsque la règle de droit découle d’un législateur central (comme à l’époque de Justinien), celui-ci semble nécessairement amené à légiférer souvent. Mais le droit demeure souvent en retard par rapport à la société. Quand en revanche le droit est façonné par les organes juridictionnels (comme c’était le cas pour le droit romain d’avant Justinien), son évolution est plus discrète. Et le droit est plus en phase avec les changements de la société.
Le questionnaire de Désiré Dalloz
Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ?
Ph. C.-Z. : Ce sont des souvenirs qui commencent comme un cauchemar : j’étais à la fin de la première année de droit à Assas quand la France ratifia enfin (1974) la Convention européenne des droits de l’homme (1950) ; et à la fin de la deuxième année quand la Cour de cassation rendit son célèbre arrêt Cafés Jacques Vabre (1975). Ce fut un cauchemar d’abord parce que tous les professeurs de droit de France ou presque se sentirent obligés d’écrire un article sur ces nouveautés et que les étudiants, qui étaient censés se tenir au courant de la doctrine, durent les lire – ou en lire beaucoup.
Mais je sais gré à mes maîtres d’alors de m’avoir fait comprendre quel profond changement ces deux événements allaient provoquer dans le droit français, même quand ces professeurs étaient personnellement défavorables à ces innovations.
J.-P. C. : Mon meilleur souvenir fut la découverte de l'histoire du droit en première année de licence, enseignée par Jean-François Lemarignier, qui fut à l'origine de mon choix, quelques années plus tard, pour l'enseignement en faculté et pour la recherche dans cette discipline.
Quels sont vos héros et votre héroïne de fiction préférés ?
Ph. C.-Z. : Gulliver, mais pas seulement à Lilliput.
J.-P. C. : Lucky Luke car j'ai toujours aimé les westerns.
Quel est votre droit de l’homme préféré ?
Ph. C.-Z. : La liberté d’aller et venir.
J.-P. C. : La liberté de pensée et d'expression.
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