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Les protections des réfugiés de guerre
Chloé Viel, doctorante en droit à l’Université de Reims Champagne Ardenne, est auteur pour le fameux Dictionnaire permanent Droit des étrangers (Éditions Législatives). Elle rédige actuellement sa thèse sur la protection des exilés de guerre en droit international, européen et français. Nous nous adressons donc naturellement à elle pour mieux connaître le statut des réfugiés.
Qu’est-ce qui différencie les « réfugiés de guerre » des autres réfugiés ?
Avant d’envisager ce qui distinguerait les « réfugiés de guerre » de ceux issus d’une zone de « paix », il peut être utile de préciser que sur le plan juridique, être « réfugié » reflète une réalité plus restreinte que dans le langage courant et ne fait pas référence au seul déracinement ou exil forcé. Être réfugié, en droit, implique d’avoir été officiellement reconnu comme tel au regard d’une série de critères cumulatifs prévus par la Convention de Genève de 1951 : craindre de manière objective d’être exposé à des persécutions en cas de retour dans son pays, sans pouvoir y être protégé, et ce en raison de « sa race, sa religion, sa nationalité, son appartenance à un certain groupe social ou ses opinions politiques ».
Ainsi, l’ensemble des personnes reconnues réfugiées ont en commun la crainte de persécutions en cas de retour dans leur pays pour l’un de ces cinq motifs. Le réfugié de guerre ne se distingue alors en rien des autres sur le plan juridique, il est simplement, au surplus, originaire d’une zone de conflit armé.
Autrement dit, cela n’est pas un critère qui se suffirait à lui-même pour obtenir le statut de réfugié. Tout au plus, il pourra parfois être plus aisé pour celui qui vient d’une zone de guerre de démontrer qu’il satisfait les critères propres à l’octroi du statut de réfugié. Par exemple, des présomptions de persécutions quasi-systématiques pour motif religieux, ethnique ou politique seront susceptibles d’être déduites de certains profils dans le cadre de certaines situations de conflit armé.
Mais finalement le statut de réfugié n’est qu’une protection parmi d’autres pour les personnes déplacées hors de leur pays en raison d’un conflit armé et il est probablement plus juste d’employer à leur égard l’expression « exilé de guerre ».
De quelles protections peuvent bénéficier les « exilés de guerre » ?
À l’heure actuelle, en France, il n’existe pas de statut unique octroyé de manière uniforme à l’ensemble des exilés de guerre. Les protections accordées varient selon plusieurs facteurs : le parcours personnel de la personne dans son pays, le profil des personnes ciblées dans le conflit en cause, l’intensité du conflit au moment où le droit à la protection est examiné, la qualité de civil ou non de la personne ou encore sa nationalité.
Ainsi certains pourront bénéficier du statut de réfugié « conventionnel » au regard des critères précités (par exemple s’il craint dans le conflit en raison de son origine ethnique ou de sa religion). Très rarement, certains obtiennent le statut de réfugié « constitutionnel » lorsqu’on leur reconnaît la qualité de « combattant de la liberté » au sens du Préambule de la Constitution de 1946 (par exemple, CNDA, 29 mai 2020, n° 18049553 pour un Afghan). D’autres encore, ce sont vus délivrés un titre de séjour « ancien combattant » (cela a concerné dans les années 2010 des civils afghans ayant travaillé pour l’armée française).
Mais dans la majeure partie des cas, et si la personne est un civil dans un conflit qui atteint une violence d’une certaine intensité, c’est davantage à la protection subsidiaire prévue par l’article 15, c) de la directive « Qualification » (transposée à l’article L. 512-1, 3° du Ceseda), qu’elle pourra prétendre.
Toutefois, un autre mécanisme a récemment été mis en œuvre : la protection temporaire. Issue d’une Directive de 2001, cette protection nécessite une décision d’exécution du Conseil de l’Union pour être activée en cas d’afflux massif de personnes sur le territoire de l’Union, notamment en raison d’un conflit armé. Et c’est pour protéger les personnes fuyant l’Ukraine que pour la première fois, son activation a été décidée le 4 mars 2022.
En définitive, si ces différentes protections répondent à des procédures et critères distincts, elles contiennent des droits très similaires et la distinction la plus importante tient essentiellement à la durée du titre de séjour délivré (toutefois renouvelable tant que la protection n’a pas été officiellement retirée).
Quelles sont les limites à ces protections ?
La première des difficultés est probablement l’accès à la protection pour l’exilé de guerre. En effet, il ne peut y prétendre que s’il se trouve déjà sur le territoire français et tout l’enjeu est donc de pouvoir accéder au territoire. Cela pose alors la question de la délivrance à ces personnes de visas « humanitaires », à propos desquels la pratique française manque de transparence et de polyvalence.
Par ailleurs, chacune de ses protections à des critères préétablis que le demandeur doit satisfaire pour y prétendre. Par exemple, pour la protection subsidiaire, il est nécessaire d’individualiser ses craintes dans le conflit de manière inversement proportionnelle à la dangerosité du conflit, une notion qui apparaît souvent subjective. Il est aussi nécessaire de s’accorder sur la notion même de guerre : quand peut-on considérer qu’elle débute ou au contraire qu’elle s’éteint ? La frontière est poreuse.
Ainsi, avoir fui un pays en conflit ne suffit pas à obtenir une protection en dépit du nombre de mécanismes de protection existants.
De même l’articulation des protections entre elles est parfois délicate. Le cas des actuels exilés ukrainiens est à cet égard assez frappant : il est probable que trois Ukrainiens originaires d’une même ville puissent respectivement obtenir le statut de réfugié, la protection subsidiaire et la protection temporaire selon leur date d’arrivée sur leur territoire, leur profil ou leur parcours en Ukraine.
Quelles lacunes du système d’asile pourraient, à cet égard, être améliorées ?
Il conviendrait en premier lieu que chaque personne issue d’une zone de conflit comparable, notamment en termes d’intensité des violences et de leurs conséquences sur la population, puisse accéder aux mêmes types de protection, afin de gommer les doubles standards qui existent à l’heure actuelle (et qui ont particulièrement été dénoncés depuis la mise en œuvre de la protection temporaire pour les Ukrainiens). Mais pour cela, il faudrait probablement dépolitiser le droit d’asile…
Des lacunes flagrantes sont également constatées sur la mise en œuvre des droits de ces exilés de guerre. Ainsi, une large part d’entre eux sont mal logés ou à la rue et chacun s’accorde à dire que cela accroît les troubles psychiatriques (auxquels les exilés de guerre seraient par ailleurs particulièrement prédisposés), sans prise en charge convenable de ces maladies sur le territoire. De la même manière, il apparaît que nombre d’exilés de guerre sont exclus, de fait, de la procédure permettant de réunir leur famille sur le sol français car celle-ci est très peu adaptée aux proches restés en zone de guerre.
Le questionnaire de Désiré Dalloz
Quel est votre meilleur souvenir d’étudiante ?
Probablement lorsqu’à mon premier cours de droit des étrangers, j’ai su le domaine dans lequel je souhaitais évoluer. J’ai ensuite orienté l’ensemble de mon parcours universitaire en ce sens.
Quels sont votre héros et votre héroïne de fiction préférés ?
Je pense à Joan Lackland, personnage central de l’Aventureuse écrit par Jack London. Cette femme s’octroie, dans un milieu hostile et masculin, une liberté et une indépendance qui déconcertent et qui pourraient encore être mal comprises aujourd’hui.
S’agissant d’un personnage masculin, bien que non fictif, Thor Heyerdah, héros de l’Expédition du Kon Tiki. Chercheur norvégien en anthropologie moqué pour une de ses théories, il parvint à démontrer que la Polynésie a pu être peuplée par des personnes originaires d’Amérique du Sud. Comment ? En reproduisant un radeau traditionnel inca et traversant de cette façon, sans aucune compétence en navigation, le Pacifique.
Quel est votre droit de l’Homme préféré ?
Il m’est difficile de choisir contre quelle souffrance protéger plus qu’une autre. Tour à tour, selon les lieux et les circonstances, les droits qui sont les plus bafoués devraient à mon sens devenir un cheval de bataille.
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