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[ 14 mars 2019 ] Imprimer

Les scandales sanitaires

Distilbène, Hormones de croissance, Sang contaminé, Médiator, Dépakine, Levothyrox, … La liste est longue des scandales sanitaires. Guillaume Tredez, ATER (attaché temporaire d'enseignement et de recherche) à la Faculté de droit, d'économie et de gestion Paris Descartes, répond à nos questions au cœur du droit de la santé.

Quelles sont les particularités de la responsabilité en matière sanitaire ?

Elle a la particularité de sortir de la summa divisio contrat /délit ; il s’agit d’un régime statutaire fondée sur le statut du praticien : tout professionnel de santé qui cause un dommage à autrui dans le cadre d’un acte de  « prévention, de diagnostic ou de soins » doit réparer le dommage (CSP, art. L. 1142-1). La Cour de cassation et le Conseil d’État se fondent désormais sur les articles du Code de la santé publique (pour un arrêt récent, V. Civ. 1re, 23 janv. 2019, n° 18-10.706. Il s’agissait d’un défaut d’information ; la Cour vise l’art. L. 1111-2 du Code de la publique lequel régit le devoir d’information des professionnels de santé). 

De plus, depuis 1957 (T. confl. 25 mars 1957, Chilloux et Isaac Slimane Lebon 816 ; D. 1957. 395, concl. Chardeau ; AJ 1957. II. 187, chron. Fournier et Brabant ; JCP 1957. II. 10004, note Savatier ; RA 1957. 427, note Liet-Veaux), cette matière connaît deux ordres de juridictions ce qui permet un dialogue des juges – même si la loi du 4 mars 2002 n'a pas unifié la matière jusqu’à revenir à un seul ordre.

Une autre particularité existe puisqu’à ce jour le préjudice « d'impréparation » n’est connu qu'en cette matière même si certains auteurs le proposent dans d’autres matières comme le droit bancaire (D. Houtcieff, « La perte d’une chance de ne pas cautionner ou l’indemnisation du hasard et des coïncidences », D. 2009. 2971, §. 10). Ce préjudice est par ailleurs invoqué devant la Cour de cassation italienne (Cass., civ. sez. III, ordinanza 4 maggio 2018, n. 10608. Le demandeur au pourvoi invoque le fait de ne pas avoir été préparé suffisamment pour affronter l’intervention) et est plébiscité en Belgique (G. Génicot, « Le dommage consécutif à un manquement au devoir d’information du médecin : une valse à trois temps », Rev. droit médical et dommage corporel, éd. Anthémis (Belgique), 16 mai 2014, p. 77).

Quant aux scandales sanitaires, la responsabilité n’entre plus, en premier lieu, en jeu. Ce sont des fonds de garanties qui se chargent d’indemniser les victimes d’accidents médicaux ou d’infections nosocomiales. Néanmoins, la responsabilité du fait des produits défectueux s’applique dès lors qu’un produit de santé est défectueux et cause un préjudice à autrui. En résumé, le domaine sanitaire couvre des cas de responsabilité médicale, des cas de responsabilité du fait des produits défectueux et des cas qui relèvent de fonds d’indemnisation. 

L’action de groupe permet-elle une meilleure défense dans ce domaine ?

À ce jour, nous sommes dans l’attente des résultats de l’action de groupe relative à la Dépakine. Nous n’avons pas assez de recul avec ce dispositif dans la mesure où il est trop récent mais il faut préciser aussi qu’il ne permet une réparation qu’aux seuls dommages corporels. Néanmoins, il est permis de penser que ce dispositif implique plus de vigilances de la part des laboratoires.

Quels sont les moyens préventifs mis en place pour éviter les scandales ?

En sus de la pharmacovigilance, l’on peut citer le nouveau règlement européen 2017/745 qui apporte d’utiles améliorations puisqu’il optimise la surveillance des dispositifs médicaux et uniformise les pratiques d’évaluation. Il permet une meilleure fiabilité des décisions de certifications et les procédures de contrôle sont plus rigoureuses qu’auparavant (par ex., C. le Gal Fontes et M. Chanet, « Le rôle et les conditions de surveillance des organismes notifiés : une réforme tant attendue », RDSS 2018. 34 ; E. Garnier et A.-C. Perroy, « Le règlement européen n° 2017/745 sur les dispositifs médicaux : une clarification des responsabilités des opérateurs économique », RDSS 2018. 19). Gageons que les scandales sanitaires seront de moins en moins nombreux. 

Quels progrès peuvent être faits selon vous ?

La Chancellerie a soumis à consultation l’avant-projet de réforme de la responsabilité « extracontractuelle » en 2016. Le professeur L. Grynbaum avait, par exemple, proposé l’idée d’intégrer la responsabilité médicale au sein du Code civil (Groupe de travail de l’Institut droit et santé, « Projet de réforme de la responsabilité civile et santé », RDSS 2016. 904) ; cela permettrait de regrouper les cas de responsabilité au sein du même corpus. Dans le même sens, il serait de bon augure d’unifier les actions de groupes quelle que soit leur nature et ne pas se contenter de la réparation des seuls dommages corporels (M.-J. Azar-Baud, « Perspectives et pistes d’amélioration », Juris associations 2019, n° 591, p. 31). Pour aller plus loin, il ne serait pas incohérent de donner la compétence de la responsabilité médicale au seul au juge judiciaire (D. Duval-Arnould, « La convergence des jurisprudences administrative et judiciaire », AJDA 2016. 355 : il faut « s’interroger sur l’utilité de maintenir une compétence partagée des deux ordres de juridiction en matière de responsabilité hospitalière » ; A. Rouyère, « Dualité des juridictions, dualité des droits », RGDM, n° spécial 2013, p. 40 : « la loi du 4 mars 2002 maintint cette solution [des arrêts de 1957] en faisant le choix, non évident, de conserver une dualité juridictionnelle en dépit d’une unification des solutions de fond » ; A. Leca, Droit de l’exercice médical en clientèle privée, 4e éd., LEH, Bordeaux, 2013, p. 347, note n° 2072 : « il suffirait de confier tout le contentieux médical et hospitalier au juge judiciaire. On dispose d’ailleurs d’un précédent : le législateur soucieux de mettre fin à des niveaux de réparation différents suivant que l’on était victime d’un accident de la circulation parce que le véhicule était administratif ou privé avait pris la décision le 31 décembre 1957 de confier le contentieux des accidents de la circulation aux seuls tribunaux de l’ordre judiciaire. Après tout, la compétence administrative en matière hospitalière n’est pas si ancienne, elle remonte d’ailleurs à 1957 […] et la Cour de cassation ne l’a admise qu’en 1963 » ; M. Warsmann, « Amendement n° 62 » in Modernisation des institutions de la Ve République (n° 820), Assemblée nationale, 16 mai 2008). Le dernier projet de réforme de mars 2017 n’a cependant pas été dans ce sens. 

Le questionnaire de Désiré Dalloz

Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ? Ou le pire ?

Mon meilleur souvenir en tant qu’étudiant est une récompense ; je venais de finir mon Master à Aix-en-Provence lorsque j’ai réussi le concours des contrats doctoraux à l’Université Paris Descartes ; j’ai senti que j’évoluais et que j’avançais. 

Mon « pire souvenir » était en première et en deuxième année : la difficulté du « commentaire d’arrêt ». C’est un souvenir que je prends positivement puisque je m’efforce à enseigner la technique du commentaire d’arrêt aux étudiants, en tant que chargé de travaux dirigés, pour qu’ils le comprennent et le réussissent. 

Quel est votre héros de fiction préféré ?

Le héros de fiction que j’affectionne est le célèbre misérable Jean Valjean. Par Les misérables, Victor Hugo montre les valeurs de bonté, de courage et de générosité chez un homme qui pourtant a été condamné injustement à 19 ans de bagne pour avoir volé du pain. Alors qu’il aurait pu finir comme les Thénardier, Jean Valjean s’est battu pour devenir un homme bon, sauver Cosette des Thénardier, lui apporter de l’amour et une éducation. Cosette trouvera d’ailleurs le bonheur auprès de Marius.  

Quel est votre droit de l’homme préféré ? 

Le droit fondamental que j'affectionne est le droit à la protection de la santé ; il est reconnu dans de nombreuses déclarations, il transcende tant le droit privé (civil et pénal) que le droit public. C’est un objectif à valeur constitutionnelle (A. Laude, B. Mathieu et D. Tabuteau, Droit de la santé, 3e éd., PUF, 2012, n° 304, p. 320). Nous sommes tous concernés par la santé, c’est un droit que tout juriste et toute personne est amené à rencontrer.

 

Auteur :Marina Brillé-Champaux


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