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Les stratégies et modes de défense pénale
Le début de l’année 2018 a vu s’ouvrir à Bruxelles le procès de Salah Abdeslam concernant une fusillade avec des policiers sur le territoire belge lors de sa cavale après les attentats du 13 novembre 2015 à Paris. Alors que le terroriste a choisi le silence comme défense, Dalloz Actu Étudiant a souhaité interviewer l’avocat pénaliste Emmanuel Daoud sur les différentes stratégies de défense.
Quelles sont les différentes stratégies de défense en droit pénal ?
Il y a autant de stratégie de défense que de prévenu et d’accusé. L’avocat doit s’adapter et fournir une stratégie « sur mesure » pour chaque dossier, selon la nature de l’accusation, les pièces de la procédure et la personnalité de son client.
Reconnaître les faits, et apporter des éléments de contexte et de personnalité est parfois plus efficace que de plaider une relaxe incohérente. À l’inverse, faire front et contester chacun des éléments de l’accusation afin d’obtenir un acquittement est également une stratégie efficace, notamment lorsqu’il existe des incohérences et incertitudes dans la procédure.
Avec l’entrée en vigueur des procédures de justice négociée, comme la CRPC [comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité] ou la convention judiciaire d’intérêt public, une nouvelle forme de stratégie de défense émerge : celle du dialogue avec les magistrats, en amont de tout procès, dialogue qui n’est pas exclusif naturellement d’une défense acharnée des intérêts de notre client.
J’ajoute qu’il faut défendre chaque dossier avec la même passion, le même engagement. Les enjeux du droit pénal, qu’il soit financier, des affaires ou de droit commun sont tels que l’avocat ne peut négliger l’importance de son intervention. À cet égard, il faut rappeler l’adage selon lequel « il n’y a pas de petits dossiers, il n’y a que de petits avocats » … !
Le silence de l’inculpé en fait-il partie ?
D’abord, le terme « d’inculpé » a été supprimé avec la loi du 4 janvier 1993 et remplacé par celui de « mis en examen », afin d’ôter toute idée de culpabilité et d’écarter la notion de culpa, qui n’a pas sa place au stade de l’enquête et/ou de l’instruction où le justiciable est présumé innocent.
Ensuite, le silence est un droit fondamental, prévu à l’article 63-1 du Code de procédure pénale et protégé par la Convention européenne des droits de l’homme. Il faut en faire bon usage !
Je pense en particulier aux auditions et interrogatoires, qui, selon les propres termes d’un manuel de police, ont parfois pour objet « d’acculer le suspect jusqu’à ce moment de vertige mental ou intervient l’aveu » (Extrait de : L. Lambert, « Traité théorique et pratique de police judiciaire », édition Lyon Desvignes, 1947).
Après 48 heures de garde à vue, le client est épuisé, et n’est plus en état de répondre correctement aux questions des officiers de police judiciaire ou du juge d’instruction, il est alors parfois judicieux de lui conseiller de garder le silence.
Un avocat peut-il avoir à plaider la non-culpabilité d’un client qui lui a avoué sa culpabilité ?
Il faut se méfier de l’aveu, et notamment du faux aveu. Avouer, c’est bien trop souvent céder à la pression en échange d’une prétendue clémence, au risque parfois de reconnaître des infractions que l’on n’a pas commise. L’histoire de la justice pénale regorge de faux aveux exprimés sous le poids de la contrainte…ou d’aveux mis en scène par la police ou la justice alors que la vérité éclatera bien des années plus tard.
Fort heureusement, l’article 428 du Code de procédure pénale rappelle que « L'aveu, comme tout élément de preuve, est laissé à la libre appréciation des juges », de telle sorte qu’il ne s’agit en aucun cas de la « reine des preuves » mais d’un simple adminicule, qu’il est possible de renverser.
C’est la raison pour laquelle il est fréquent, pour un avocat, de plaider la relaxe ou l’acquittement d’un client qui a précédemment reconnu les faits qui lui sont reprochés. Il s’agit alors, en premier lieu, de contester la valeur de cet aveu, puis, en second lieu, de démontrer l’innocence du justiciable.
Le questionnaire de Désiré Dalloz
Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ? Ou le pire ?
Mon meilleur souvenir est celui d’avoir vu plaider aux Assises des Hauts-de-Seine Lev Forster et Jean- Louis Pelletier dans une affaire de braquage. Ce jour-là, ils m’ont donné envie d’être avocat pénaliste.
Quel est votre héros de fiction préféré ?
J’aime le personnage de Raskolnikov, dans Crime et Châtiment, de Fiodor Dostoïevski, qui illustre à merveille la complexité de la psychologie criminelle. Le passage à l’acte, le schisme entre le réel et la folie, ainsi que l’idée d’impunité sont des thèmes omniprésents dans la psychologie de cet anti-héros.
J’ai aussi beaucoup de sympathie pour Fernand Naudin, interprété par Lino Ventura dans Les Tontons Flingueurs, qui incarne le paradoxe de nombreux délinquants : ancien gangster aux méthodes douteuses, il est également un gentleman pétri de valeurs morales et habité par un idéal de rédemption.
Quel est votre droit de l’homme préféré ?
La liberté d’expression ! C’est au nom de cette liberté que nous pouvons nous insurger et lutter contre les atteintes aux droits fondamentaux, et agir concrètement comme avocat afin de permettre notamment le progrès de notre société ; et assurer au plus grand nombre une justice de qualité : c’est- à-dire, celle qui écoute ; celle qui comprend ; celle, enfin, qui innocente en cas de doute !
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