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[ 29 mars 2018 ] Imprimer

Les travailleurs détachés

La directive européenne de 1996 sur les travailleurs détachés devrait être renégociée dans le sens de moins de dumping social. Pour nous expliquer les complexités de ce sujet, Emmanuelle Lafuma, maître de conférences à l’Université Paris 13 (Villetaneuse), a bien voulu répondre à nos questions.

Dans quel contexte s’inscrit l’intervention du législateur communautaire dans l’hypothèse d’un détachement entre États membres ?

Le droit de l’Union promeut la liberté de prestation de services. 

Le recours au détachement du personnel, considéré comme la modalité d’utilisation de la main-d’œuvre que requiert une prestation internationale de services est donc un élément cardinal de la mobilisation par les entreprises de la liberté de prestation de services. Or, le droit applicable aux travailleurs détachés, en vertu de la règle de conflit de lois posée au règlement Rome 1, s’entend de la loi du lieu d’exécution d’origine (éventuellement combinée avec une loi d’autonomie) du travailleur détaché.

Dans un contexte de forte disparité des législations nationales — aggravé avec les nouveaux entrants — le recours au détachement de personnel pour réaliser une prestation de services internationale devient alors un élément clé de la concurrence entre entreprises des États membres. En d’autres termes, une entreprise prestataire de services située sur un État membre A, avec une législation du travail (conditions de travail, rémunération, protection sociale, etc.) à faible coût, qui détache des travailleurs pour réaliser une prestation de services dans un État membre B, dans lequel le coût social du travail est supérieur, crée une concurrence certaine aux entreprises de l’État B, tenue au respect d’une législation au coût social plus élevé. 

Prenant en compte la nécessité de ne pas créer une concurrence déloyale entre les entreprises des différents États membres (objectif économique) et d’éviter le dumping social (objectif social), la Cour de justice avait, préalablement à la directive 96/71, admis la faculté pour l’État membre d’accueil, d’imposer le respect de certaines de ses dispositions locales — entendues comme les dispositions du lieu d’exécution de la prestation — aux entreprises prestataires de services. 

Avec la directive, le législateur communautaire intervient pour imposer le respect de certaines dispositions locales et fixer, dans le même temps, une liste de celles-ci commune à tous les États membres.

Que prévoit la directive 96/71 dite « détachement » ? Quels sont les problèmes en suspens ?

La directive 96/71/CE du 16 décembre 1996 dite « détachement » est souvent décrite comme posant un « noyau dur de dispositions impératives minimales » du pays d’accueil que doit respecter l’entreprise qui détache des travailleurs dans ce pays. En d’autres termes, la loi applicable au contrat de travail des travailleurs détachés demeure la loi « d’origine » mais, dans certaines matières, le travailleur détaché est soumis au droit du lieu de réalisation de la prestation. 

L’intervention du législateur se justifie par un double objectif, affiché dans les considérants de la directive : un objectif économique (éviter la concurrence déloyale enter les entreprises des États membres) et un objectif social (protection des travailleurs détachés).

Les matières qui constituent ce noyau dur sont fixées à l’article 3 de la directive. Il vise : les périodes maximales de travail et minimales de repos, la durée minimale des congés annuels payés, les taux de salaire minimal, les conditions de mise à disposition des travailleurs, la sécurité, la santé et l’hygiène au travail, les mesures protectrices relatives aux femmes, l’égalité de traitement entre hommes et femmes et les dispositions en matière de non-discrimination.

Dans ces matières (sauf exceptions ou dérogations), l’entreprise prestataire de services est donc tenue de respecter les dispositions du pays d’accueil.

Toutefois, le thème du détachement entre États membres fait encore l’objet de vives critiques. D’abord, seules les dispositions prévues par la loi ou les conventions collectives d’application générale (comme une convention collective de branche étendue) sont couvertes par la directive. Les pays qui connaissent des salaires minimums mais fixés de manière différente ne pourront l’imposer aux entreprises étrangères. Tel a été le cas de la Suède dans la célèbre affaire Laval (2007). Ensuite, des critiques sont relatives à la difficulté pour l’État membre d’accueil de contrôler effectivement la présence des travailleurs détachés. À cet égard, une directive d’exécution de la directive détachement est venue renforcer les possibilités de contrôle et l’obligation de coopération mutuelle entre États membres (Dir. 2014/67 du 15 mai 2014). Enfin, et plus fondamentalement, le dumping social perdure dans la mesure où la directive détachement ne vise pas la protection sociale du travailleur. L’employeur reste donc soumis à la loi du lieu d’exécution d’origine pour tout ce qui relève des charges sociales. Les entreprises ont alors intérêt à s’établir dans un pays (à moindre coût social) afin de détacher des travailleurs dans un autre pays : le droit local s’appliquera certes, mais uniquement pour ce qui relève des matières de l’article 3. Le débat se déplace alors sur le terrain de la « fraude à l’établissement » ou du « faux détachement ». Ces stratégies, d’optimisation sociale, sont particulièrement difficiles à saisir puisque le droit de l’Union promeut la liberté d’établissement et la liberté de prestation de services.

C’est dans ce contexte, de lutte contre les pratiques déloyales, que s’inscrit le projet de révision de la directive détachement.

Que comporte le projet de révision de la directive ?

Le projet comporte trois grands axes : d’abord un objectif d’égalité de rémunération entre travailleurs détachés et travailleurs locaux (ce qui dépasse la notion de salaire minimal mais reste dépendant de la place accordée à la diversité des modalités de fixation des rémunérations selon les pays). Ensuite, une limitation de durée serait prévue pour le détachement (pour l’heure cette durée est fixée à un an) : au-delà de cette durée, tout le droit local aurait donc vocation à s’appliquer, et non plus seulement les matières de l’article 3. Enfin, le projet vise à harmoniser les statuts entre travailleurs intérimaires détachés, les intérimaires locaux et la chaîne de sous-traitance.

Reste que ce projet ne règle pas fondamentalement la question du coût social du travailleur dans la mesure où, conformément au Règlement 883/2004, la loi de sécurité sociale applicable au travailleur détaché demeure la loi d’origine.

Le questionnaire de Désiré Dalloz

Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ?

J’évoquerais plus volontiers un moment fondamental, à mon avis, dans le parcours d’un étudiant en droit : celui où le déclic se fait, où l’on ne perçoit plus le droit comme une somme de connaissances. Pour moi c’était en deuxième année, au deuxième semestre, assez tardivement donc. Suite à une séance de TD en droit administratif, tout mon cours s’est organisé différemment dans ma tête, il ne s’agissait plus d’une suite linéaire de connaissances. Je n’ai plus jamais travaillé de la même manière.

Quel est votre héros de fiction préféré ?

Ferdinand, alias Pierrot le fou. Mais si vous me reposez la question dans 10 minutes, je vous ferai certainement une autre réponse.

Quel est votre droit de l’homme préféré ?

Je n’en ai pas.

 

Auteur :M.B.C.


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