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L’exécution des jugements civils des tribunaux judiciaires
« La procédure, mère de la Liberté, reste un outil essentiel de protection de nos droits fondamentaux. » in S. Guinchard, F. Ferrand, C. Chainais, L. Mayer, Procédure civile, Dalloz, coll. « Hypercours », 2023. Frédérique Ferrand, professeur à l’Université Jean Moulin-Lyon 3 et d’Augsbourg, membre honoraire de l’Institut universitaire de France, a bien voulu répondre à nos questions sur la complexe notion d’exécution de droit à titre provisoire des jugements.
Quel est le principe en matière d’exécution des décisions de justice ?
Une décision de justice peut tout d’abord être exécutée spontanément par le débiteur, ce qui est la solution idéale. En l’absence d’une telle exécution spontanée, il convient de vérifier si sont remplies les conditions pour que la décision soit susceptible d’exécution forcée (laquelle consiste par exemple en une expulsion, le cas échéant avec le concours de la force publique, ou encore en une saisie-attribution en compte bancaire si le débiteur n’honore pas la dette au paiement de laquelle il a été condamné…). Pour qu’une exécution forcée soit possible, il faut que la décision de justice ait la force exécutoire, laquelle est attribuée 1° aux jugements passés en force de chose jugée (c’est-à-dire qui ne sont pas ou plus susceptibles d’un recours suspensif d’exécution : appel ou opposition, C. pr. civ., art. 500), et 2° aux jugements qui, même susceptibles ou frappés d’appel ou d’opposition, bénéficient de l’exécution provisoire. Ceci découle de l’article 501 du Code de procédure civile, qui dispose que « Le jugement est exécutoire, sous les conditions qui suivent, à partir du moment où il passe en force de chose jugée à moins que le débiteur ne bénéficie d'un délai de grâce ou le créancier de l'exécution provisoire ». La force exécutoire suppose également que le jugement ait été revêtu de la formule exécutoire et qu’il ait été notifié de façon régulière (C. pr. civ., art. 502 et 503).
Qu’est-ce l’exécution provisoire des jugements des TJ ?
L’exécution provisoire se définit comme un bénéfice permettant au plaideur gagnant en première instance d’exécuter le jugement dès sa signification malgré l’effet suspensif du délai des voies de recours ordinaire ou de leur exercice. Cet effet suspensif des voies de recours ordinaires (appel et opposition) est énoncé à l’article 539 du Code de procédure civile (« Le délai de recours par une voie ordinaire suspend l'exécution du jugement. Le recours exercé dans le délai est également suspensif »).
Avant le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, le principe était celui de la suspension de l’exécution en cas de possibilité d’un recours ordinaire, sauf 1° si une disposition légale ou réglementaire prévoyait l’exécution provisoire de la décision de première instance (c’était le cas, par exemple, des ordonnances de référé, des décisions prescrivant des mesures provisoires pour le cours de l’instance, des décisions ordonnant des mesures conservatoires et des ordonnances du juge de la mise en état accordant une provision – somme d’argent – au créancier ou encore des jugements mixtes accordant une provision au créancier) ; ou 2° si le juge ordonnait dans le dispositif de sa décision l’exécution provisoire de cette dernière. L’effet suspensif était sauf, il n’y était dérogé qu’expressément par la loi ou par le juge dans sa décision même.
Le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 a procédé à un changement total de paradigme. Désormais, les décisions de première instance sont « de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n'en dispose autrement » (C. pr. civ., art. 514). La nouvelle règle s'applique à toutes les instances engagées devant les juridictions du premier degré à compter du 1er janvier 2020. Le principe est donc renversé : tout jugement de première instance est exécutoire provisoirement (on peut aussi dire « par provision »), sauf interdiction légale ou judiciaire. Le juge n’a donc pas à ordonner l'exécution provisoire dans le dispositif de son jugement lorsque l'instance a été engagée devant une juridiction du premier degré à compter du 1er janvier 2020. En outre, si l’appelant forme appel sans exécuter le jugement de première instance qui est exécutoire provisoirement de droit ou sur ordre du juge, la partie adverse (l’intimé) peut demander au premier président de la cour d’appel ou, dès qu’il est saisi, au conseiller de la mise en état, de radier l’affaire du rôle (C. pr. civ., art. 524). Le magistrat compétent, après avoir recueilli les observations des parties, prononcera cette radiation, sauf si l’exécution serait « de nature à entraîner des conséquences manifestement excessives ou que l’appelant est dans l’impossibilité d’exécuter la décision » ; l’affaire est réinscrite au rôle de la cour sur justification de l’exécution de la décision.
Depuis la réforme du 11 décembre 2019, le juge ne peut écarter l'exécution provisoire de droit, en tout ou partie, que s'il estime qu'elle est incompatible avec la nature de l'affaire (C. pr. civ., art. 514-1). Il statue d'office ou à la demande d'une partie, et sa décision doit être « spécialement motivée » (en cas d'appel, le gagnant de première instance peut alors demander au premier président ou, dès lors qu'il est saisi, au magistrat chargé de la mise en état, d’ordonner l’exécution provisoire à condition qu'il y ait urgence ; C. pr. civ., art. 517-2). Le juge de première instance ne peut toutefois écarter l'exécution provisoire de droit lorsqu'il statue en référé, qu'il prescrit des mesures provisoires pour le cours de l'instance, qu'il ordonne des mesures conservatoires ainsi que lorsqu'il accorde une provision au créancier en qualité de juge de la mise en état (C. pr. civ., art. 514-1, al. 3. Il s'agit des anciens cas où, exceptionnellement, l'exécution provisoire était de droit en vertu de la loi). Sauf hypothèse d'un appel et de saisine du premier président de la cour d'appel pour lui demander d'arrêter l'exécution provisoire, l'article 514-2 prévoit que l'exécution provisoire de droit ne peut être écartée que par la décision en cause. Le juge de première instance peut subordonner le rejet de la demande tendant à voir écarter l'exécution provisoire de droit, à la demande d'une partie ou d'office, à la constitution d'une garantie, réelle ou personnelle, suffisante pour répondre de toutes restitutions ou réparations (C. pr. civ., art. 514-5).
Le Code de procédure civile distingue trois situations : l’exécution provisoire de droit (régime désormais de droit commun, C. pr. civ., art. 514-1 à 514-6) ; l’exécution provisoire facultative (C. pr. civ., art. 515 à 517-4) ; et enfin l’exécution provisoire interdite (quelques rares dispositions dans le Code). Il contient enfin des dispositions communes à l’exécution provisoire de droit et à celle qui est facultative, qui envisagent notamment les détails d’une éventuelle consignation par une des parties. Le juge peut en effet ordonner la constitution par le gagnant de première instance d’une garantie « réelle ou personnelle, suffisante pour répondre de toutes restitutions ou réparations » (C. pr. civ., art. 514-5 pour l'exécution provisoire de droit, 517 pour l'exécution provisoire facultative), ou la consignation par le perdant de première instance afin d’éviter l’exécution provisoire (C. pr. civ., art. 521, sauf si la somme due est de nature alimentaire, s’il s’agit d’une rente indemnitaire ou d’une provision).
Quelles sont les exceptions à l’exécution provisoire de droit ? Et peut-elle être arrêtée sur recours ?
Il existe plusieurs types d’exceptions au principe de l’exécution provisoire de droit.
Première situation : le cas où l’exécution provisoire est écartée par la loi. On trouve une telle interdiction par exemple dans l'article 1041 du Code de procédure civile (« le jugement qui statue sur la nationalité ne peut être assorti de l'exécution provisoire »), ou encore dans l’article R. 153-8 du Code de commerce. Dans cette hypothèse, le juge de première instance ne peut dans le dispositif du jugement ordonner l'exécution provisoire. On peut également citer l’article 1079 du Code de procédure civile, en vertu duquel « La prestation compensatoire ne peut être assortie de l'exécution provisoire » mais qui réserve une exception : « Toutefois, elle peut l'être en tout ou partie, lorsque l'absence d'exécution aurait des conséquences manifestement excessives pour le créancier en cas de recours sur la prestation compensatoire alors que le prononcé du divorce a acquis force de chose jugée. Cette exécution provisoire ne prend effet qu'au jour où le prononcé du divorce a acquis force de chose jugée ».
Deuxième situation : le cas où l’exécution provisoire judiciaire est facultative. Alors que cette situation était la règle, elle est devenue l'exception depuis l'entrée en vigueur des nouvelles dispositions des articles 514 s. du Code. Le juge civil rend sa décision et doit alors lui-même décider, d’office ou à la demande d’une partie, s’il l’assortit ou non de l’exécution provisoire. C’est pour cela que l’on parle d’exécution provisoire judiciaire (ordonnée par le juge) et facultative (il apprécie la nécessité de la prononcer). L'exécution provisoire facultative (C. pr. civ., art. 515 à 517-4) peut être ordonnée « chaque fois que le juge l’estime nécessaire et compatible avec la nature de l’affaire » (C. pr. civ., art. 515, al. 1er). Elle peut être ordonnée pour tout ou partie de la condamnation (al. 2). Quelques exemples : l'article 1054-1 du Code de procédure civile, énonce à propos du jugement rectifiant ou annulant un acte de l'état civil que « la décision n'est exécutoire à titre provisoire que si elle l'ordonne ». Il en va de même du jugement en matière de changement de prénom (C. pr. civ., art. 1055-3, al. 2) ou de changement de la mention du sexe et éventuellement du prénom dans l'acte d'état civil (C. pr. civ., art. 1055-10), du jugement relatif à une déclaration d'absence (C. pr. civ., art. 1067-1), des décisions du juge aux affaires familiales qui mettent fin à l'instance (C. pr. civ., art. 1074-1, al. 1er), du jugement en matière de filiation ou de subsides (C. pr. civ., art. 1149, al. 2) ou encore du jugement relatif à une adoption (C. pr. civ., art. 1178-1, al. 2). De même, les décisions du conseil de prud'hommes ne sont pas exécutoires de droit par provision mais des exceptions sont prévues (C. trav., art. R. 1454-28). L'exécution provisoire peut être subordonnée à la constitution d'une garantie, réelle ou personnelle, suffisante pour répondre de toutes restitutions ou réparations (C. pr. civ., art. 517).
Troisième exception : le délai de grâce. Le délai de grâce est en principe accordé par la décision « dont il est destiné à différer l’exécution » (C. pr. civ., art. 510 ; al. 1er) ; le juge des référés peut aussi accorder un tel délai en cas d’urgence, de même que le juge de l’exécution dans certains cas (C. pr. civ., art. 510, al. 2 et 3). Le délai de grâce empêche d’exécuter le jugement qu’il concerne. Il ne fait en revanche pas obstacle à la prise de mesures conservatoires (C. pr. civ., art. 513).
Arrêt de l’exécution provisoire - Si l’exécution provisoire était de droit, le perdant de première instance peut – en cas d’appel – demander au Premier président de la cour d’appel d'arrêter l'exécution provisoire de la décision lorsqu'il existe un moyen sérieux d'annulation ou de réformation et que l'exécution risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives. Si l’exécution provisoire a été ordonnée par le juge, elle peut être arrêtée en cas d’appel par le premier président dans deux cas : 1° si elle est interdite par la loi ou, 2° s'il existe un moyen sérieux d'annulation ou de réformation de la décision et que l'exécution risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives ; dans ce dernier cas, le premier président peut aussi prendre les mesures prévues aux articles 517 et 518 à 522 (constitution de garantie) (C. pr. civ., art. 517-1, al. 1er).
Si le recours formé n’est pas un appel, mais une opposition (cas d’un jugement par défaut), une seule condition est requise pour l’arrêt de l’exécution provisoire par le juge qui a rendu la décision et qui est saisi de l’opposition : que l’exécution provisoire risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives (C. pr. civ., art. 514-3, al. 3).
On précisera rapidement que, tout comme l’auteur du recours peut demander l’arrêt de l’exécution provisoire, il est de même possible au gagnant de première instance de solliciter l’octroi de l’exécution provisoire en appel si le juge de première instance a écarté l’exécution provisoire de droit en tout ou partie (C. pr. civ., art. 514-4), ou bien – en cas d’exécution provisoire facultative – s’il a refusé de l’accorder, a omis de statuer sur ce point, ou s’il a été omis de le lui demander (C. pr. civ., art. 517-2 et 517-3).
Quels en sont les effets de l’exécution provisoire ?
L’exécution provisoire permet au gagnant de première instance (mais ne l’y oblige pas) de diligenter une exécution forcée jusqu'à son terme « en vertu d'un titre exécutoire à titre provisoire », même si un recours ordinaire est recevable ou a été formé (C. pr. civ. ex., art. L. 111-10, al. 1er, sous réserve de l’article L. 311-4 du même code en matière de saisie immobilière). L’exécution provisoire ne porte pas forcément sur toute la condamnation prononcée par le jugement ; elle peut se limiter à une partie seulement de celle-ci (C. pr. civ., art. 514-1, al. 1er pour l'exécution provisoire de droit et 515, al. 2 pour l'exécution provisoire facultative). Si aucun recours n’est exercé, l’exécution provisoire devient définitive.
Si, sur appel ou sur opposition, la décision de première instance est réformée, le perdant de première instance qui a exécuté la décision provisoirement pourra bénéficier de réparations : le perdant final sera tenu de toutes restitutions, et éventuellement à des dommages-intérêts. L’article L. 111-10 du Code des procédures civiles d’exécution dispose en effet que, si l'exécution forcée peut être poursuivie jusqu'à son terme en vertu d'un titre exécutoire à titre provisoire, « l'exécution est poursuivie aux risques du créancier. Celui-ci rétablit le débiteur dans ses droits en nature ou par équivalent si le titre est ultérieurement modifié ». Il s’agit là d’une responsabilité sans faute du gagnant de première instance, responsabilité qui repose sans doute sur la notion de risque qu’il y a à exécuter immédiatement une décision susceptible d’infirmation ou de rétractation. C’est une différence considérable avec l’exécution définitive, qui ne peut être imputée à faute au créancier et qui ne peut donner lieu qu’à restitutions.
Le questionnaire de Désiré Dalloz
Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ?
Ce sont sans doute les cours de droit civil de mon professeur André Robert, qui suivait une promotion d’étudiants de la première à la quatrième année, et maîtrisait remarquablement l’art de la pédagogie. Il nous formait à la pensée et au langage juridiques, à l’exigence formelle, à l’esprit critique, et était accessible à toute question, que ce soit pendant le cours ou lors de la pause. Il nous apprenait à ne pas poser de questions fermées, et à faire suivre « d’une part » par « d’autre part » ! C’est — avec le Recteur Serge Guinchard qui a été un professeur d’une clarté remarquable et mon directeur de thèse — un de mes maîtres, qui m’a également accompagnée ensuite dans la préparation du concours d’agrégation. Il est mort peu de temps après son départ en retraite. Je repense souvent à lui, à sa clarté de pensée et d’expression, à son écoute et à son respect pour chaque étudiant.e.
Quels sont votre héros et votre héroïne de fiction préférés ?
Parmi les héros, j’hésite entre D’Artagnan, dont j’admire la fidélité et le courage (j’ai lu et relis toujours avec plaisir Les trois mousquetaires, Vingt ans après ou encore Le Vicomte de Bragelonne, la trilogie d’Alexandre Dumas) et Jean Valjean, héros des Misérables de Victor Hugo, qui constitue un bel exemple de résilience, de bonté, et d’humanisme.
Quant à mon héroïne de fiction préférée, il y en a beaucoup ; j’aime particulièrement Elisabeth Bennet, du roman de Jane Austen Orgueil et Préjugés (1813) : c’est une femme moderne, indépendante, rebelle, intelligente et bravant les conventions sociales, ce qui était téméraire à une époque où la société anglaise était particulièrement rigide et liait le statut social de la femme au mariage ! Je pourrais également citer la jeune journaliste Skeeter du livre La couleur des sentiments de Kathryn Stockett (2009) : l’histoire se passe à Jackson, dans le Mississipi, en 1962, époque où sévissent les lois de ségrégation raciale et Skeeter va s’efforcer de faire changer les choses en s’unissant, par l’écriture, à deux femmes noires employées de maison chez des amies à elle.
Quel est votre droit de l’homme préféré ?
Ils sont tous essentiels dans une société démocratique et ouverte, mais j’ai un faible pour le droit fondamental à la dignité, qui assure la primauté de la personne humaine et interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci. On trouve expressément ce droit à la dignité humaine par exemple dans l’article 1er de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (« La dignité humaine est inviolable. Elle doit être respectée et protégée. »), ainsi que dans l’article 1er de la Loi fondamentale allemande (Grundgesetz) adoptée en 1949 dans l’esprit et l’objectif de rendre impossible dans l’avenir le retour de la barbarie nazie, et qui énonce que « la dignité humaine est intangible. Tous les pouvoirs publics ont l’obligation de la respecter et de la protéger ». Ce droit à la dignité n’est pas expressément consacré par la Constitution française de 1958, mais le Conseil constitutionnel l’a appliqué à plusieurs reprises, par exemple dans une décision « Bioéthique » du 27 juillet 1994. La dignité humaine, c’est reconnaître en chaque être humain un égal, et un frère ou une sœur en humanité.
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