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[ 12 juillet 2018 ] Imprimer

L’hospitalisation psychiatrique sans consentement

Camille ClaudelVol au–dessus d’un nid de coucouL’Armée des douze singesShutter Island… l’image cinématographique de l’hôpital psychiatrique peut nous faire frissonner. La réalité est pourtant bien là : il y a de plus en plus d’hospitalisation sans le consentement des patients (v. A. Hazan et S. Hatry, Psychiatrie : l'hospitalisation contrainte, Dalloz, coll. « A savoir »). Nathalie Peterka, professeur de droit privé à l’Université de Paris Est Créteil, directrice notamment du M2 Protection de la personne vulnérable, auteur du manuel Régimes matrimoniaux (Dalloz, coll. « Hypercours ») et co-auteur de l’ouvrage Protection de la personne vulnérable (Dalloz, coll. « Dalloz Action »), a bien voulu répondre à nos questions.

En quoi consiste l’hospitalisation d’office ?

L’ « hospitalisation d’office » se réfère à la terminologie utilisée avant la réforme des soins psychiatriques sans consentement par la loi du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge. Elle est aujourd’hui remplacée par la notion de soins sans consentement. Désormais, une personne peut être contrainte de suivre des soins psychiatriques sous la forme de soins ambulatoires, de soins à domicile, de séjours à temps partiel ou de séjours de courte durée à temps complet à l’hôpital, soit dès la décision de soins contraints, soit après la levée d’une hospitalisation. On parle alors de « programme de soins ». Cette forme de prise en charge consacre ce qu’on appelait autrefois communément les « sorties d’essai », c’est-à-dire des autorisations de sortie données au patient à titre probatoire par l’équipe médicale avec l’accord tacite des autorités ayant ordonné l’hospitalisation d’office. Le recours aux soins sans consentement implique que la personne qui en fait l’objet souffre de troubles mentaux rendant impossibles son consentement aux soins et que son état impose des soins immédiats assortis d’une surveillance régulière. Lorsque l’état de santé de la personne exige une surveillance médicale constante, le patient fait l’objet d’une hospitalisation complète continue. Le recours à la contrainte est alors autorisé, sous certaines conditions, non seulement pour conduire la personne à l’hôpital mais encore pour la délivrance des soins (CSP, art. L. 3222-1-1). Il est en revanche exclu, depuis la décision du Conseil constitutionnel n° 2012-235 QPC du 20 avril 2012, à l’égard d’un patient pris en charge sous la forme d’un programme de soins (CSP, art. L. 3211-2-1, III). 

En quoi consiste l’hospitalisation à la demande d’un tiers ?

L’hospitalisation à la demande d’un tiers est l’une des deux variétés de mesure de soins contraints. 

La première mesure correspond aux soins contraints prononcés par le directeur d’un établissement de santé (CSP, art. L. 3212-1). Ce dernier peut prendre une décision d’admission en soins psychiatriques lorsque deux conditions cumulatives sont réunies. D’une part, les troubles mentaux de la personne rendent impossible son consentement aux soins et, d’autre part, son état mental requiert des soins immédiats propres à conjurer le risque d’atteinte à son intégrité. La décision d’admission est prise par le directeur de l’établissement dont relève l’intéressé, soit à la demande d’un tiers, soit de sa propre initiative en cas de péril imminent. Dans le premier cas, l’admission peut être prononcée, au vu de deux certificats médicaux, à la demande d’un membre de la famille de l’intéressé ou par une personne justifiant de l'existence de relations avec ce dernier antérieures à la demande de soins ou, s’il est sous mesure de protection, par son tuteur ou curateur. Dans le second cas, c’est-à-dire lorsqu’il s’avère impossible d’obtenir une demande de soins contraints émanant d’un tiers et, s’il existe à la date d’admission un péril imminent pour la santé de la personne, le directeur d’établissement peut prendre une décision d’admission selon la procédure d’urgence. L’admission est alors décidée de sa propre initiative, indépendamment de la demande d’un proche et sur la foi d’un seul certificat médical. Le directeur d’établissement est alors tenu d’informer, dans un délai de vingt-quatre heures suivant l’admission, la famille et, le cas échéant, le tuteur ou le curateur de l’intéressé. À défaut, il informe toute personne justifiant de relations avec le patient antérieures à l’admission en soins et lui donnant qualité pour agir dans l’intérêt de celui-ci. Dans tous les cas, le directeur est tenu d’informer, sans délai, de l’admission le procureur de la République sur le ressort duquel se trouve l’établissement ainsi que le procureur de la République du domicile du patient. Lorsqu’il prend une décision d’admission en soins contraints, le directeur d’établissement est toujours lié par l’avis des psychiatres. Il ne peut donc prendre une décision contraire.

La seconde mesure correspond à la procédure de placement sous soins contraints sur décision du préfet (CSP, art. L. 3213-1). Ici, la personne n’est pas nécessairement dans l’impossibilité d’émettre un consentement aux soins. Il peut ainsi être passé outre son refus. Cette mesure peut être décidée, au vu d’un certificat médical, lorsque les troubles mentaux dont souffre la personne nécessitent des soins et compromettent la sûreté des personnes ou portent atteinte, de façon grave, à l’ordre public. Il faut réserver le cas de la personne pénalement irresponsable. En pareille hypothèse, le préfet peut décider d’une mesure de soins contraints, sur signalement de l’autorité judiciaire, à la suite d’un classement sans suite par le procureur de la République ou d’une décision d’irresponsabilité pénale prononcée par une juridiction d’instruction ou de jugement. L’article 706-135 du Code de procédure pénale permet, dans ce dernier cas, à la chambre de l’instruction ou à la juridiction de jugement d'ordonner, sous certaines conditions, la mesure de soins contraints en même temps qu’elle prononce la décision d’irresponsabilité pénale. 

Quels sont les recours possibles contre la décision d’internement ?

La décision fait l’objet d’un recours obligatoire et d’un recours facultatif.

La loi du 5 juillet 2011 a procédé, d’abord, à la judiciarisation de l’hospitalisation sans consentement à la suite de deux décisions du Conseil constitutionnel des 26 novembre 2010 (n° 2010-71 QPC) et 9 juin 2011 (n° 2011-135/140 QPC). Désormais, aucune hospitalisation complète sous contrainte ne peut se poursuivre sans un contrôle du juge des libertés et de la détention. Le contrôle judiciaire intervient à l’issue d’une période d’observation durant laquelle le patient est nécessairement placé en hospitalisation complète. À la fin d’une première période de vingt-quatre heures, durant laquelle un examen somatique et psychiatrique doit être réalisé, un certificat médical confirmant ou non la nécessité de maintenir les soins psychiatriques doit être établi par un médecin. Ce dernier est nécessairement un médecin autre que celui ou ceux ayant rédigé les certificats ayant conduit à la décision d’admission. Un nouveau certificat médical est ensuite dressé dans les soixante-douze heures à compter de l’admission. Si les deux certificats concluent à la nécessité du maintien des soins, un psychiatre de l’établissement d’accueil propose un avis motivé et, le cas échéant, un programme de soins au directeur d’établissement. La décision d’admission est notifiée au patient par tous moyens permettant d’en établir la réception (Civ. 1re, 11 mai 2018, n° 18-10.724, Dalloz actualité 30 mai 2018, obs. N. Peterka).

À la suite de la période d’observation, le juge des libertés et de la détention exerce un contrôle obligatoire portant sur la légalité interne de la mesure. Il s’agit ici de vérifier, dans le souci de garantir les libertés individuelles de la personne, que la mesure d’hospitalisation sans consentement est adaptée, nécessaire et proportionnée à l’état mental du patient et à la mise en œuvre du traitement requis (CSP, art. L. 3211-3). Cela explique que les délais soient strictement encadrés. Le juge des libertés et de la détention doit être saisi par le directeur d’établissement ou le préfet dans les huit jours de l’admission en soins psychiatriques et statuer sur la prolongation de la mesure dans les douze jours de l’admission ou de la décision transformant la prise en charge en hospitalisation complète. Ce double délai doit être impérativement respecté. Le seul fait que le juge ait statué sur l’hospitalisation complète dans les douze jours ne suffit pas à la prolonger de manière régulière, dès lors qu’il n’a pas été saisi dans les huit jours. Le respect du double délai de l’article L. 3211-12-1 est destiné, ainsi que le souligne ce texte, à la garantie des droits de la défense. Ce n’est donc qu’exceptionnellement et sous réserve que le débat puisse avoir lieu dans le respect de ces droits, que le délai de huit jours peut être écarté (Civ. 1re, 24 mai 2018, n° 17-21.056, Dalloz actualité 6 juin 2018, obs. N. Peterka). 

Le juge des libertés et de la détention peut être saisi, ensuite, à tout moment d’une demande de main levée immédiate de la mesure de soins contraints, quelle qu’en soit la forme. La demande peut être présentée par le patient, l’un de ses proches, son tuteur ou curateur, son conjoint, partenaire de PACS ou concubin, la personne qui a initialement sollicité les soins, toute personne susceptible d’agir dans l’intérêt du patient ainsi que par le procureur de la République. L’auto-saisine du juge est également permise. 

L’ordonnance du juge des libertés et de la détention est susceptible d’appel devant le premier président de la cour d’appel ou son délégué dans les dix jours à compter de sa notification. Le ministère public peut toujours interjeter appel de la décision. Le premier président doit statuer dans un délai de douze jours ou de vingt-cinq jours quand une expertise est ordonnée (CSP, art. R. 3211-22). Lorsque le juge des libertés et de la détention a levé la mesure d’hospitalisation, le procureur de la République peut demander au premier président, dans le délai de six heures à compter de la notification de l’ordonnance à l’auteur de la saisine, de déclarer le recours suspensif en cas de risque grave d’atteinte à l’intégrité du malade ou d’autrui (CSP, art. L. 3211-12-4). Lorsqu’il a donné un effet suspensif à l’appel, le premier président statue dans un délai de trois jours à compter de la déclaration d’appel, à moins qu’une expertise ait été ordonnée (CSP, art. L. 3211-12-4).

Quelles sont les protections de la personne pendant son hospitalisation ?

Lorsque le patient fait l’objet d’une mesure d’hospitalisation complète, décidée par l’autorité judiciaire en application de l’article 706-135 du Code de procédure pénale ou maintenue par le juge des libertés et de la détention dans le cadre de son contrôle obligatoire ou d’un recours facultatif en mainlevée, ce magistrat exerce un contrôle périodique tous les six mois à compter de la décision judiciaire. La saisine du juge doit intervenir, à la demande du directeur de l’établissement ou du préfet, quinze jours au moins avant l’expiration du délai de six mois.

Par ailleurs, lorsqu’elle est décidée par le directeur d’un établissement, celui-ci doit, quelle que soit la forme de la prise en charge, prendre une décision tous les mois sur le maintien de la mesure et la forme de la prise en charge sous laquelle les soins sont maintenus. À cette fin, le patient est examiné par un psychiatre de l’établissement d’accueil dans les trois derniers jours de chaque période mensuelle, ce qui donne lieu à l’établissement d’un certificat médical. L’examen mensuel a pour finalité de vérifier la persistance de la nécessité des soins et de l’impossibilité du patient d’y consentir et, dans le cas où la personne est en hospitalisation complète, la possibilité de mettre en place un programme de soins moins attentatoire à sa liberté.

Lorsque les soins, quelle que soit leur forme, se prolongent au-delà d’une année, une évaluation médicale approfondie de l’état du patient a lieu annuellement par un collège de médecins. Le renouvellement de la mesure doit avoir lieu au plus tôt huit jours avant et au plus tard huit jours après la date anniversaire de la précédente évaluation. L’évaluation annuelle doit être effectuée au plus tard le même jour que le certificat mensuel de maintien dans les soins.

La nécessité d’un examen mensuel s’impose également pour les mesures décidées par le préfet ou l’autorité judiciaire en application de l’article 706-135 du Code de procédure pénale. Dans les trois derniers jours de la première période d’un mois suivant l’admission du patient, le préfet est tenu de se prononcer sur le maintien de la mesure au vu du certificat médical. La mesure peut être renouvelée pour une durée de trois mois. L’arrêté de renouvellement doit intervenir dans les trois derniers jours du premier mois. À défaut, la levée de la mesure est acquise. La mesure doit être ensuite renouvelée à l’issue de chaque période de trois mois. Toutefois à l’issue de la deuxième période fixe de trois mois, la mesure peut être reconduite pour une durée variable n’excédant pas six mois.

Le questionnaire de Désiré Dalloz

Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ?

Mon meilleur souvenir est ma rentrée en première année. J’ai été saisie par la prestance et l’éloquence de mes professeurs devant l’amphithéâtre bondés d’étudiants. La rédaction de ma thèse, sous la direction de Pierre Catala, reste aussi fortement gravée dans ma mémoire !

Quel est votre héros de fiction préféré ?

Les personnages du roman Réparer les vivants de Maylis de Kerangal en raison de la capacité de résilience dont ils font preuve.

Quel est votre droit de l’homme préféré ?

Ils le sont, bien sûr, tous. Si je ne devais en choisir qu’un seul, il s’agirait des droits de la défense et de la présomption d’innocence essentiels dans un État de droit.

 

Auteur :M. B. C.


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