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[ 16 janvier 2020 ] Imprimer

L’impeachment

Alors qu’une procédure d’impeachment a été mise en œuvre contre le président des États-Unis Donald Trump, et que son procès va s’ouvrir dans les prochains jours, Dalloz Actu Étudiant a souhaité interviewer Idris Fassassi, professeur de droit public à l’Université de Picardie Jules Verne et diplômé de Harvard Law School, pour mieux comprendre les enjeux de cette procédure.

Qu’est-ce que la procédure de destitution prévue par la Constitution des États-Unis ?

La Constitution des États-Unis prévoit dans son article 2 section 4 que « le Président, le Vice-Président et tous les officiers civils des États-Unis seront destitués de leurs offices sur mise en accusation et condamnation pour trahison, corruption ou autres hauts crimes et délits ».

La procédure se déroule donc en deux temps, avec tout d’abord une mise en accusation votée par la Chambre des représentants à la majorité simple (c’est cela que l’on appelle formellement l’impeachment), puis un procès devant le Sénat au terme duquel la reconnaissance de la culpabilité nécessite le vote de deux tiers des membres présents. Chacune des deux chambres du Congrès joue ainsi un rôle différent dans cette procédure.

Lorsque la procédure concerne le Président des États-Unis, le Sénat est alors présidé par le président de la Cour suprême.

Dans le cas de Donald Trump, la Chambre des représentants a voté sa mise en accusation le 18 décembre 2019. Le 15 janvier 2020, les articles de mise en accusation ont été transmis solennellement par la Chambre au Sénat, permettant la tenue de la deuxième phase de la procédure. On se situe donc à mi-parcours avant l’ouverture du procès devant le Sénat dans quelques jours.

Cette procédure a-t-elle déjà été mise en œuvre contre des Présidents ?

Au cours de l’histoire, la Chambre des représentants a voté à vingt reprises une mise en accusation contre une personne, principalement des juges fédéraux, dont 3 fois contre un Président en incluant Donald Trump.

Le Président Andrew Johnson fut ainsi mis en accusation (impeached) en 1868 et acquitté par le Sénat à une voix près, tandis que le Président Bill Clinton, mis en accusation en 1998 pour parjure et obstruction à la justice, fut acquitté en 1999. Quant à Richard Nixon, il démissionna en 1974, précisément face à la menace de l’impeachment.

Quelles sont les raisons pour lesquelles Donald Trump a été mis en accusation ?

La Constitution prévoit que la procédure peut être mise en œuvre, outre les hypothèses de trahison et de corruption, en cas de « hauts crimes et délits ». Historiquement, c’est cette dernière catégorie qui a été mobilisée dans les votes de mise en accusation contre des Présidents. Il existe un vaste débat sur ce qu’elle recouvre et sur la forme de responsabilité à l’œuvre. Il ne s’agit pas d’une responsabilité pénale au sens strict ; certains actes punis par la loi ne pourraient justifier l’enclenchement de la procédure, comme le fait de conduire en état d’ivresse par exemple, alors que d’autres actes, non punis par la loi, pourraient clairement le justifier. Il ne s’agit pas non plus d’une responsabilité politique au sens classique comme elle existe dans un régime parlementaire, de sorte qu’elle ne peut être mise en œuvre en cas de simple désaccord politique entre la Chambre et le Président.

Conformément à la vision des Pères Fondateurs, la notion de « hauts crimes et délits » renvoie à « un abus de la confiance publique ». Alexander Hamilton y voyait des actes de nature « politique » au sens où ils portent préjudice à la société elle-même. C’est d’ailleurs à cette dimension politique, elle-même liée à la confiance publique, que renvoie l’adjectif « hauts » dans l’expression « hauts crimes et délits ».

La dimension politique joue également dans l’appréciation des faits, car c’est bien la Chambre des représentants qui va qualifier les faits en cause et considérer s’ils relèvent ou non de l’impeachment. Dans une formule célèbre, Gerald Ford avait d’ailleurs souligné le large pouvoir d’appréciation de la Chambre en affirmant que « relève de l’impeachment tout ce que la majorité à la Chambre des représentants considère en relever à un moment donné ».

En l’espèce, la Chambre des représentants a voté le 18 décembre deux articles de mise en accusation contre Donald Trump pour « hauts crimes et délits ». Le premier concerne l’abus de pouvoir dont il se serait rendu coupable en utilisant les pouvoirs de la Présidence pour inciter le Président ukrainien à enquêter sur le fils d’un rival politique, le démocrate Joseph Biden. Le second article porte sur l’obstruction à l’égard du Congrès et renvoie à la stratégie inédite de blocage de Donald Trump, qui a ordonné aux fonctionnaires de son administration de ne pas témoigner devant la Chambre et de ne transmettre aucun document, ce qui en pratique neutralise le pouvoir d’enquête et d’impeachment de la Chambre des représentants.

Une destitution de Donald Trump est-elle envisageable ?

Signe de l’hyperpolarisation de la vie politique américaine, les votes des articles de mise en accusation à la Chambre des représentants ont eu lieu selon des lignes partisanes. L’ensemble des élus démocrates, majoritaires à la Chambre, a voté la mise en accusation sur les deux articles, à quatre exceptions près, tandis que les élus républicains ont tous voté contre. 

Il est donc probable que le vote au Sénat sur la culpabilité de Donald Trump s’effectue selon les mêmes lignes. Il faudrait que 67 sénateurs, sur les 100 que compte le Sénat, reconnaissent sa culpabilité pour qu’il soit destitué ; or les républicains contrôlent 53 sièges, ce qui rend donc très improbable, en l’état, la destitution de Donald Trump.

Il convient toutefois de reconnaitre la part d’inconnu qui s’ouvre avec ce procès inédit en cette année d’élections, devant des sénateurs dont certains sont eux-mêmes en campagne comme Bernie Sanders ou Elizabeth Warren, à l’égard d’un Président singulier, alors même que les règles de procédure du procès n’ont pas été déterminées. À titre d’exemple, on ne sait pas encore si des témoins seront entendus. Les sénateurs devraient voter sur ce point dans les prochains jours. Les démocrates poussent en ce sens, estimant que l’audition de certains personnages clés, qui n’avait pas eu lieu devant la Chambre en raison de l’obstruction du Président, est nécessaire et révèlerait l’étendue des abus de Donald Trump tandis que les républicains y sont majoritairement opposés. C’est d’ailleurs pour cela que la Présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, a retardé la transmission des articles de mise en accusation, de décembre à janvier, en tentant ainsi de faire pression sur le Sénat. Certains sénateurs républicains ont laissé entendre ces derniers jours qu’ils seraient favorables à des auditions. On ne peut donc exclure de nouvelles révélations qui pourraient avoir des conséquences sur le déroulement du procès et, en tout état de cause, sur l’élection présidentielle qui se profile à l’horizon.

Le questionnaire de Désiré Dalloz

Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ?

Je garde le souvenir des cours marquants de certains professeurs à la faculté d’Aix-en-Provence ; entre autres, ceux du doyen Louis Favoreu en droit constitutionnel ou ceux de Christian Atias qui, pendant ses cours de philosophie du droit, arpentait l’amphi et nous faisait écouter de la musique en lien avec l’époque des auteurs étudiés. Je garde surtout le souvenir des rencontres effectuées lors du tout premier TD de première année, des amitiés qui se sont forgées et qui perdurent aujourd’hui !

Quel est votre héros de fiction préféré ?

Dans des styles différents mais avec un point commun, je pense à un personnage de littérature, Edmond Dantès, et un personnage de cinéma, Vincent Freeman / Jerome Morrow pour ceux qui ont vu le film « Gattaca ».

Quel est votre droit de l’homme préféré ?

Pour rester dans le thème de cette interview, la déclaration d’indépendance des États-Unis de 1776 évoque le « droit à la recherche du bonheur »…

 

Auteur :Marina Brillé-Champaux


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