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L’incrimination de viol
C’est une sordide affaire que le procès Mazan : celle des viols d’une femme organisés par son époux qui l’a droguée à cet effet pendant des années et a proposé à d’autres hommes de la violer. Audrey Darsonville, professeur à l’Université Paris-Nanterre, auteur d’un manuel de Droit pénal général (2024, Sirey), veut bien répondre à nos questions sur l’incrimination de viol et la possible intégration de la notion de consentement dans sa définition légale.
Quels sont les éléments intentionnel et matériel constituant l’infraction de viol ?
Le crime de viol est réprimé à l’article 222-23 du Code pénal. Il suppose un élément matériel, la pénétration sexuelle, définie comme l’acte de pénétration « de quelque nature qu'il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d'autrui ou sur la personne de l'auteur ». La pénétration sexuelle doit être commise à l’encontre d’une personne dénuée de consentement. Le défaut de consentement de la victime, et c’est la particularité de cette incrimination, est décrit non en référence à la notion même de consentement, mais en recherchant la preuve que l’auteur a agi en usant de « violence, contrainte, menace ou surprise ». Enfin, comme tout crime, le viol est intentionnel, l’auteur doit avoir agi volontairement en ayant conscience de l’absence de consentement de la victime.
Quelle en est la sanction pénale ?
Le viol fait encourir une peine de quinze ans de réclusion criminelle. Ce crime est assorti de nombreuses circonstances aggravantes. Ainsi, la peine encourue est de vingt ans de réclusion criminelle lorsque le viol est commis sur un mineur de quinze ans. Pour faire un lien avec le procès dit « de Mazan », le viol est également aggravé et fait encourir la peine de vingt ans de réclusion criminelle lorsqu’il est perpétré par le conjoint ou le concubin de la victime ou le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité, ou encore lorsqu'une substance a été administrée à la victime, à son insu, afin d'altérer son discernement ou le contrôle de ses actes. L’article 222-25 du Code pénal prévoit que le viol qui a entraîné la mort de la victime est puni de trente ans de réclusion criminelle et l’article 222-26 sanctionne de la réclusion criminelle à perpétuité le viol précédé, accompagné ou suivi de tortures ou d'actes de barbarie.
Quelle modification de cette définition légale est actuellement envisagée ?
L’incrimination de viol a été modifiée à plusieurs reprises ces dernières années par le législateur. Ainsi, la loi du 3 août 2018 a modifié la définition de l’acte de pénétration sexuelle et la loi du 21 avril 2021 a créé un nouvel article 222-23-1 au sein du Code pénal qui expose que tout acte de pénétration sexuelle commis par un majeur sur un mineur de 15 ans est un viol, lorsque la différence d'âge entre le majeur et le mineur est d'au moins cinq ans. Cette loi a également défini le viol incestueux à l’article 222-22-3 du Code pénal et lui a assorti un régime pénal distinct du viol non incestueux.
Le viol a donc été l’objet de réformes importantes mais celles-ci n’ont pas permis de clarifier la définition relative au défaut de consentement, élément central de la qualification. Or, la modification de l’incrimination de viol pour intégrer dans sa définition la notion de consentement, avait été envisagée dans la proposition de directive européenne sur la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique. Ce texte préconisait une définition commune du viol contenant une référence explicite à l’exigence du consentement positif, assortie d’une description de l’acte non consenti. En raison de l’opposition de plusieurs États, dont la France, la Directive finalement adoptée le 14 mai 2024 ne contient plus de définition commune du viol. Le débat a néanmoins été relancé en France car le président de la République, mais aussi le garde des Sceaux, se sont prononcés en faveur d’une réforme de la définition du viol qui intégrerait une mention relative au consentement.
Selon vous, quel serait l’intérêt de cette réécriture de la loi pénale ?
Les poursuites pénales du chef de viol se heurtent régulièrement, et le procès des viols dit « de Mazan » le révèle encore, à la difficulté de démontrer l’absence de consentement de la victime. Le défaut de consentement est caractérisé, en l’état du droit positif, par la preuve de l’usage par l’auteur d’un des quatre adminicules que sont la violence, la contrainte, la menace, ou la surprise. Or, dans de nombreuses hypothèses, il est très difficile de rapporter une telle preuve notamment parce que la victime a pu rester en état de sidération lors de l’agression et n’a pas été en mesure de s’opposer à l’auteur. Intégrer l’exigence du consentement libre et éclairé imposerait, lors de l’enquête, de s’interroger sur le fait de savoir si la personne mise en cause a vérifié que le partenaire était consentant. Dès lors, l’absence d’opposition verbale ou physique de la victime ne pourrait suffire à caractériser un consentement. C’est d’ailleurs en ce sens que la chambre criminelle a tranché dans une décision en date du 11 septembre 2024 (Crim. 11 sept. 2024, n° 23-86.657). Dans cette espèce, la Cour a retenu que l’état de sidération de la victime, qui était demeurée prostrée durant l’agression, permettait d’en déduire son absence de consentement, mettant ainsi à mal l’idée répandue selon laquelle « qui ne dit mot consent ».
Une telle réforme, sous réserve qu’elle soit l’objet d’une réflexion globale et ne se résume pas un simple ajout du mot « consentement » dans la loi, mais aboutisse à une réécriture réfléchie de l’incrimination de viol, s’avérerait positive. Elle permettrait de placer la France en conformité avec ses obligations conventionnelles puisque la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, dite « Convention d’Istanbul », signée en 2011 et ratifiée par la France en 2014, prévoit à l’article 36 qu’en matière de viol, « Le consentement doit être donné volontairement comme résultat de la volonté libre de la personne considérée dans le contexte des circonstances environnantes ». En outre, une telle modification a été opérée dans de nombreux pays, notamment en Europe, avec des résultats jugés positifs. L’étude de ces législations pourrait amener la France à réfléchir à l’évolution de sa législation.
Alors que le procès « de Mazan » nous montre à chaque audience que le consentement est un enjeu majeur en matière de viol, il apparaît indispensable que la France se penche sur ce sujet, par une réforme législative mais aussi par des actions fortes de prévention afin de sensibiliser et de former à ce sujet la société dans son entièreté.
Le questionnaire de Désiré Dalloz
Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ?
Sans aucune hésitation, mon année de DEA (ancien master 2) de droit pénal. Une année extraordinaire avec la découverte d’une nouvelle façon de réfléchir, la naissance de mon envie de faire une thèse et la rencontre avec d’autres étudiants dont certains sont restés mes plus proches dans la vie.
Quels sont votre héros et votre héroïne de fiction préférés ?
Atticus Finch, l’avocat et père de la narratrice dans le roman de Harper Lee, Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur. L’exemple d’un professionnel de justice intègre et courageux. Tous les étudiants, futurs magistrats et avocats, devraient lire ou relire ce roman magnifique.
Quel est votre droit de l’homme préféré ?
Je citerai non pas un droit mais plutôt un principe fondamental reconnu par les lois de la République (PFRLR), parce qu’il est très malmené aujourd’hui alors qu’il est le cœur de notre métier, l’indépendance des enseignants-chercheurs qui sous-tend le principe de l’indépendance de la recherche.
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