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[ 8 février 2011 ] Imprimer

L’introduction des jurys dans les tribunaux correctionnels

Le président de la République a dit lors de ses vœux aux Français le 31 décembre 2010 que la réforme visant à introduire des jurys dans les tribunaux correctionnels et les tribunaux d’application des peines pour les délits plus graves constituait une priorité de son gouvernement pour 2011. Outre le fait que cette proposition prend le contre-pied d’une mesure annoncée par le ministère de la Justice 9 mois plus tôt — la suppression des jurés dans les cours d’assises pour des raisons budgétaires — elle pose d’importantes questions concernant son application (périmètre, coût, modalités).

Le ministre de la Justice a déclaré le 6 janvier qu’une loi devrait être votée au Parlement fin 2011, mais que « les contours de la réforme » n’étaient pas définis. Selon l’Union syndicale des magistrats (majoritaire), la Chancellerie souhaiterait une « procédure intermédiaire entre correctionnelle et assises, dans laquelle les citoyens interviendraient aux côtés des magistrats ».

Dalloz Actu Étudiant a rencontré Dominique Coujard, magistrat depuis 1974, président de chambre près la cour d'appel de Rouen, et qui a présidé la cour d’assises de Paris de 2000 à 2009, pour apporter un éclairage pertinent sur cette réforme.

Quelle serait selon vous la composition idéale de la juridiction correctionnelle, alliant présence du jury et jugement rapide et efficace des délits concernés ? Semble-il opportun de calquer le nouveau système sur celui en vigueur devant les cours d'assises (art. 296 C. pr. pén.) ?

Pour ce faire, il faudra respecter le principe en vigueur aux assises, selon lequel aucun accusé ne peut être déclaré coupable sans une majorité conforme des jurés populaires. Comme le délibéré est secret, avec deux jurés et un juge, il faudra donc une décision unanime sur la culpabilité. Avec trois jurés et un juge aussi. Avec quatre jurés et un juge, il faudrait aussi quatre voix etc. Ce serait évidemment très lourd de dépasser les deux jurés populaires et on devra probablement se contenter d’une composition à trois au total. Si la culpabilité n’était retenue qu’à la majorité simple de la formation, on violerait le principe exposé plus haut. Cela dit, l’exigence d’une décision unanime pourrait fragiliser la juridiction, jamais à l’abri d’une mésentente interne. Bien entendu, il ne saurait s’agir d’un échevinage, lequel conduit nécessairement à la professionnalisation de juges qui violerait la promesse faite du jury populaire.

L'objectif de la réforme étant de contourner le laxisme réel ou supposé des magistrats dans l’application de la peine, peut-on envisager un système inspiré du modèle anglo-saxon, fractionnant la décision sur la peine de celle sur la culpabilité, dans lequel les juges décideront de la culpabilité, selon les conditions strictement prévues par la loi pénale, tandis que le jury se limiterait à la fixation de la peine, dans des limites prévues par la loi ?

Vous êtes certain que tel est l’objectif ? C’est très désobligeant, surtout venant d’une personnalité constitutionnellement garante de l’indépendance de la magistrature. Je ne parviens pas à le croire ! Le système que vous évoquez est l’exact contraire du système anglo-saxon dans lequel c’est le jury qui statue sur la culpabilité et le juge sur la peine. Le système l’anglo-saxon a d’ailleurs historiquement existé en France et on s’est empressé de l’abandonner pour y incorporer des juges professionnels parce que, précisément, il y avait beaucoup trop d’acquittements !

Dans le prolongement du débat sur l’indépendance structurelle du Parquet, pouvons nous envisager qu’un jury se prononce sur l’opportunité d’engager des poursuites, comme c'est le cas aux États-Unis par le biais du "Grand jury' ?

Je connais mal le Grand Jury américain, mais il me semble s’apparenter plutôt à la chambre de l’instruction. Pour le moment, il n’est pas question d’y introduire de jurés. Mais attendons le prochain caprice. Vous évoquez le débat sur l’indépendance structurelle des parquets. Tout le monde sait qu’il s’agit là d’une fausse piste car personne n’en veut (sauf les parquets, bien sûr). Ils ont déjà assez tendance à se prendre pour des juges, ce qui est d’ailleurs très dangereux pour les droits de la défense et les libertés publiques.

La réforme constitutionnelle de 2008 ayant modifié l’article 65 de la Constitution afin de permettre au justiciable de saisir directement le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) pour se plaindre d’un juge ou de dysfonctionnements procéduraux, doit-on prévoir un régime de responsabilité pour faute lourde des membres du jury ? Dans le même ordre d’idées, peut-on introduire de « simples citoyens » dans la formation disciplinaire du CSM, qui n’est déjà plus composé en majorité de magistrats depuis la réforme de 2008 ?

Si l’on considère l’affaire d’Outreau, ce risque est nul. La première cour d’assises qui a statué a été épargnée, précisément grâce à la présence du jury populaire qu’aucun homme politique ne se risquera jamais à inquiéter. Mais si l’entreprise consiste, comme vous le souligniez, à organiser le combat du peuple contre les juges, on risque d'assister au spectacle de l'arroseur arrosé car le système du jury facilite, tout au contraire, la meilleure compréhension entre eux. Dix années d’assises m’ont convaincu que les juges n’ont rien à redouter des jurys populaires. Ils constituent donc la meilleure protection contre les attaques politiciennes. Et en ce moment, cela n’est pas du luxe ! Concernant l’autre aspect de votre question, soyons sérieux une minute : juger est un métier qui s’apprend. Juger au… feeling, c’est le règne de l’arbitraire. Et pour l’instant encore, le CSM statuant en matière disciplinaire est composé à parité de magistrats et de personnalités extérieures.

Questionnaire de Désiré Dalloz

Quel est votre meilleur souvenir d'étudiant ? Ai-je droit à un Joker ?

Quel est votre héros de fiction préféré ? Gaston La Gaffe. Pourquoi ? Tiens oui, pourquoi ?

Quel est votre droit de l'homme préféré ? La liberté d’opinion et d’expression. Pourquoi ? Peut-être parce que je suis un juge français. Mais aussi parce que ce droit est la condition d’exercice de tous les autres.

Références

Cour d’assises

« Juridiction répressive compétente, en premier ressort ou en appel, pour juger les crimes. À raison d’une cour d’assises par département, elle est composée de deux catégories de membres délibérant ensemble : d’une part, trois magistrats professionnels qui forment la cour, d’autre part, des jurés de jugement non professionnels qui forment le jury, au nombre de neuf lorsque la cour d’assises statue en premier ressort et de douze lorsqu’elle statue en appel, tous étant désignés par tirages au sort à partir des listes électorales.

Il existe une formation spéciale de la cour d’assises dans le ressort de chaque cour d’appel, chargée de juger les crimes militaires, les crimes de droit commun commis dans l’exécution de leur service par les militaires lorsqu’il y a un risque de divulgation d’un secret de la défense nationale, certains crimes contre les intérêts fondamentaux de la nation, les actes de terrorisme, et, depuis la réforme du Code pénal, les crimes en matière de trafics de stupéfiants. Elle est composée d’un président, et de six ou huit assesseurs, selon qu’elle statue en premier ressort ou en appel, tous magistrats professionnels, ce qui en fait une cour d’assises sans jurés. »

Jury

« Élément propre à certaines juridictions, formé de jurés, simples citoyens, appelés, à titre exceptionnel et temporaire, à rendre la justice pénale. »

Échevinage

« Mode de composition de certaines juridictions associant un ou plusieurs magistrats de carrière et des personnes issues de certaines catégories socioprofessionnelles (tribunal paritaire des baux ruraux, par ex.) ou représentant l’ensemble des citoyens (cour d’assises, par ex.). »

Sources : Lexique des termes juridiques 2011, 18e éd., Dalloz, 2010.

Article 296 du Code de procédure pénale

« Le jury de jugement est composé de neuf jurés lorsque la cour d'assises statue en premier ressort et de douze jurés lorsqu'elle statue en appel. »

Article 111-4 du Code pénal

« La loi pénale est d'interprétation stricte. »

Article 65 de la Constitution de 1958

« Le Conseil supérieur de la magistrature est présidé par le Président de la République. Le ministre de la justice en est le vice-président de droit. Il peut suppléer le Président de la République.

Le Conseil supérieur de la magistrature comprend deux formations, l'une compétente à l'égard des magistrats du siège, l'autre à l'égard des magistrats du parquet.

La formation compétente à l'égard des magistrats du siège comprend, outre le Président de la République et le garde des Sceaux, cinq magistrats du siège et un magistrat du parquet, un conseiller d'État, désigné par le Conseil d'État, et trois personnalités n'appartenant ni au Parlement ni à l'ordre judiciaire, désignées respectivement par le Président de la République, le président de l'Assemblée nationale et le président du Sénat.

La formation compétente à l'égard des magistrats du parquet comprend, outre le Président de la République et le garde des sceaux, cinq magistrats du parquet et un magistrat du siège, le conseiller d'État et les trois personnalités mentionnées à l'alinéa précédent.

La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l'égard des magistrats du siège fait des propositions pour les nominations des magistrats du siège à la Cour de cassation et pour celles de premier président de cour d'appel et pour celles de président de tribunal de grande instance. Les autres magistrats du siège sont nommés sur son avis conforme.

Elle statue comme conseil de discipline des magistrats du siège. Elle est alors présidée par le premier président de la Cour de cassation.

La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l'égard des magistrats du parquet donne son avis pour les nominations concernant les magistrats du parquet, à l'exception des emplois auxquels il est pourvu en conseil des ministres.

Elle donne son avis sur les sanctions disciplinaires concernant les magistrats du parquet. Elle est alors présidée par le procureur général près la Cour de cassation.

Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article. »

 


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