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L’Open Data des décisions judiciaires
Les données en Open Data, ou données ouvertes, sont des données auquel l’accès est public et libre de droit ; elles sont réutilisables, disponibles, distribuables et participatives universellement, tout en touchant de nombreux domaines comme la culture ou l’économie. Le décret « Open Data » des décisions de justice du 29 juin 2020 promet une mise à disposition des décisions des juridictions judiciaires. Estelle Jond-Nécand, conseillère référendaire à la Cour de cassation et directrice du projet Open Data, nous répond sur la place de l’Open Data dans notre société et sur l’avancement de la mise en œuvre de l’Open Data des décisions judiciaires.
Comment l’Open Data des décisions de justice réinvente-t-il notre manière d’utiliser Internet au quotidien ?
Actuellement, sur internet, vous ne pouvez trouver que les décisions rendues par la Cour de cassation (environ 13.000 par an) et quelques décisions signalées par les cours d’appel et les tribunaux judiciaires pour leur intérêt particulier (environ 3.000 par an). Avec l’Open Data des décisions de justice, il sera possible d’accéder à l’ensemble des décisions rendues publiquement par les juridictions judiciaires, soit environ trois millions de décisions par an. C’est un vrai changement d’échelle !
Si cela est une bonne chose car cela permet de rendre effectif le principe de publicité des décisions de justice et permet, en outre, à tous les citoyens de connaître le fonctionnement de la justice, cette masse des décisions disponibles va forcément nécessiter une modification en profondeur des pratiques d’utilisation d’internet car il conviendra d’identifier dans l’ensemble des décisions, la décision pertinente, faisant « jurisprudence », c’est-à-dire ayant une certaine valeur normative, en somme une autorité.
Que prévoit le décret « Open Data » des décisions de justice ?
Le décret n° 2020-797 du 29 juin 2020 relatif à la mise à disposition du public des décisions des juridictions judiciaires et administratives est le décret d’application de l’article L. 111-13 du Code de l’organisation judiciaire, modifié par la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice. Les principales dispositions sont les suivantes :
- la Cour de cassation et le Conseil d’État se sont vu confier la responsabilité de la mise en œuvre de la mise à disposition du public des décisions, chacun pour leur ordre respectif ;
- les noms et prénoms des personnes physiques citées dans la décision de justice, lorsqu’elles sont parties ou tiers, doivent être occultées préalablement à la mise à disposition du public. C’est ce que nous appelons l’occultation socle ;
- une occultation complémentaire est prévue, lorsque la divulgation d’un élément est de nature à porter atteinte à la sécurité ou au respect de la vie privée de ces personnes ou de leur entourage. Le dispositif prévoit que cette occultation renforcée soit faite sur décision du président de la formation de jugement ou du magistrat ayant rendu la décision ;
- en revanche, s’agissant des magistrats et des greffiers, lorsque la divulgation d’un élément sera de nature à porter atteinte à la sécurité ou au respect de la vie privée de ces personnes ou de leur entourage, l’occultation des éléments permettant de les identifier est prise par le chef de juridiction respectif ;
- toute personne peut introduire une demande d’occultation complémentaire ou une demande de désoccultation devant un magistrat de la Cour de cassation désigné par le premier président. Un recours peut ensuite être introduit devant le premier président de la Cour de cassation.
Qu’en est-il aujourd’hui de l’avancement de la mise à disposition des décisions des juridictions judiciaires ?
Un arrêté du 28 avril 2021 a fixé le calendrier de mise à disposition des décisions de justice de l’ordre administratif et de l’ordre judiciaire, en application de l’article 9 du décret du 29 juin 2020 précité.
Le choix a été fait d’une mise à disposition progressive des décisions de justice par degré de juridiction et par contentieux en fonction des évolutions techniques des logiciels d’occultation, du déploiement de nouveaux systèmes d’information (Portalis et procédure pénale numérique) ou encore de modifications sur les outils existants.
L’arrêté prévoit une mise en Open Data des décisions de la Cour de cassation le 30 septembre 2021 au plus tard ; des décisions civiles, sociales et commerciales des cours d’appel le 30 avril 2022 au plus tard ; des décisions des conseils de prud’homme le 30 juin 2023 au plus tard ; des décisions des tribunaux de commerce et des décisions rendues par les juridictions de premier degré en matière délictuelle et contraventionnelle le 31 décembre 2024 au plus tard. Les autres décisions rendues en premier ressort et des décisions rendues en matière criminelle seront mises en Open Data en 2025 (sept. et déc.).
Conformément à ce calendrier, l’Open Data des décisions de la Cour de cassation a eu lieu le 1er octobre 2021 et nous sommes actuellement en train de préparer activement l’Open Data des décisions civiles, sociales et commerciales des cours d’appel.
Faut-il craindre l’Open Data en ce qui concerne les données personnelles ?
Le dispositif légal et réglementaire de l’Open Data des décisions de justice protège les données personnelles en prévoyant un système d’occultation des éléments ré-identifiants à deux niveaux : une occultation systématique des nom et prénoms des personnes physiques citées dans les décisions de justice, mais aussi des occultations d’entités permettant une ré-identification des personnes physiques qui porterait, notamment, atteinte à leur vie privée, décidées par les magistrats rendant les décisions. Outre ce dispositif légal et réglementaire, la Cour de cassation, suivant en cela la délibération de la CNIL du 6 février 2020 sur le projet de décret « open data », a mis en place des groupes de travail de magistrats de la Cour de cassation et des cours d’appel qui ont préconisé des recommandations pour la mise en œuvre de ces occultations complémentaires par les magistrats pour garantir une certaine harmonisation des pratiques et favoriser l’émergence d’une culture de la protection des données personnelles chez les magistrats.
Quels sont les enjeux de cette mise à disposition pour le fonctionnement de la justice en général ?
L’ouverture des données des décisions de justice n’est pas sans enjeux. En effet, les décisions de justice libérées en Open Data vont nécessairement alimenter les bases de données de jurisprudence constituées par les éditeurs et legal techs.
Ces bases de données peuvent servir à l’élaboration de différents outils d’analyse de jurisprudence, soit des outils dit de « jurimétrie », soit des outils plus qualitatifs qui peuvent avoir pour objectif une analyse des arguments des parties et de la motivation des décisions.
Ces nouvelles modalités d’utilisation des données des décisions de justice sont alors porteuses de nouveaux enjeux pour la Cour de cassation et l’institution judiciaire dans son ensemble, et ceci sur deux plans, au moins : d’une part, l’enjeu de la réutilisation éthique des informations contenues dans les décisions de justice, qui a fait l’objet d’un groupe de travail co-piloté par le ministère de la justice, le Conseil d’État et la Cour de cassation, et d’autre part, l’impact que l’Open Data pourrait avoir sur la notion de jurisprudence et sur l’office et le rôle du juge, avec l’interrogation suivante : la connaissance de la masse de décisions diffusée en Open Data, peut-elle conduire à conférer une valeur normative et de régulation aux décisions des juridictions du fond ?
Le questionnaire de Désiré Dalloz
Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ?
Lors de ma dernière année à l’École nationale de la magistrature, en 2006, j’ai eu la chance de participer à l’émission animée par Anne Sinclair « Libre Cours », une émission où les étudiants rencontrent des professionnels. Un étudiant issu de chaque formation juridique professionnalisante (magistrats, avocats, notaires, métiers de la pénitentiaire, métiers de la police…) avait été choisi pour participer à cette émission et l’invité n’était autre que… Robert Badinter. Un moment inoubliable d’échanges et un grand honneur !
Quels sont votre héros et votre héroïne de fiction préférés ?
Mon héros de fiction préféré est Hercule Poirot pour son intelligence, son esprit méthodique et de déduction, tout ceci dans le cadre désuet de l’Angleterre des années 1920-30.
Mon héroïne préférée est Jo March dans « Les quatre filles du docteur March », de Louisa May Alcott : une femme forte et indépendante qui refuse tous les codes sociaux de l’époque et défend la condition des femmes.
Quel est votre droit de l’homme préféré ?
La liberté. Pour moi, c’est le socle de tous les autres droits de l’homme. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard que ce droit soit posé avec force à l’article 1er de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ».
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