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[ 9 octobre 2025 ] Imprimer

L’oralité dans le concours d’agrégation

Les professeurs exposent, expliquent, dissertent, interrogent, parlent et finalement éveillent nos esprits dans les amphis bondés de la rentrée. Charlotte Dubois et Thomas Genicon, professeurs à l’Université Paris – Panthéon-Assas, codirecteurs de la Conférence d’agrégation de cette Université pour la préparation au concours national d'agrégation de droit privé et de sciences criminelles 2025, ont bien voulu répondre à nos questions sur l’importance de l’oralité dans le parcours extrêmement exigeant du Professeur de droit.

Comment passer de l’écriture solitaire d’une thèse vers le concours national de l’agrégation ?

Il est vrai que toutes les épreuves du Concours d’agrégation sont exclusivement orales, ce qui marque une rupture par rapport au travail de thèse. Cela appelle donc un effort d’adaptation de la part du candidat qui, dans ce dernier travail, a pris l’habitude d’une réflexion silencieuse et d’un approfondissement au long cours, sans réelle contrainte de temps ni d’échéance à court terme. Avec l’agrégation, tout change : d’une part, les temps de préparation et d’épreuve sont brefs et scrupuleusement chronométrés ; d’autre part, il s’agit à présent de défendre immédiatement sa pensée à haute voix (à commencer par sa thèse et ses articles) de façon synthétique et frappante à l’oreille. « Instruire, plaire, émouvoir » : sortant de la chrysalide (plus ou moins) confortable du thésard, le candidat à l’agrégation doit à présent déférer à la fameuse injonction de la rhétorique et, pour ainsi dire, déployer tous les talents d’un professeur captivant pour son auditoire. Au demeurant, il n’y a rien de fortuit dans ce passage de la thèse au concours ; c’est là l’exact reflet de la vie du professeur d’Université : des temps alternés d’étude solitaire, d’approfondissement « en chambre » de la pensée, d’écriture, d’abord, et, ensuite, de discours « publics » et d’exposés oraux serrés dont le cours d’amphithéâtre et la communication en colloque sont les manifestations les plus évidentes. C’est dans cette dialectique entre analyse intellectuelle en son for intérieur et synthèse orale en public que l’universitaire doit s’accomplir ; la thèse puis le concours l’y préparent.

Cela étant dit, à l’approche du concours, le candidat n’est pas pris au dépourvu ; d’une part, durant ses années de thèse, il a généralement eu l’occasion de s’exercer à la « leçon » au moyen des travaux dirigés et, d’autre part, les concours de recrutement à la maîtrise de conférences (le fameux « Tour de France ») et, a fortiori, pour les plus chanceux, l’occupation d’un tel poste, lui ont déjà donné l’occasion de se familiariser avec les exigences orales — et même oratoires — de l’agrégation. Exigences qui ne sont rien d’autres, il faut rappeler, que celles attendues communément d’un bon professeur : le bon professeur est celui qui, avec talent… professe ! Car, serait-on entouré des meilleurs manuels du monde, demeurera toujours le mystère de cette alchimie qui veut que le savoir se transmette d’abord et avant tout par le verbe. Le concours d’agrégation est pensé et entièrement bâti pour répondre à cette vérité indépassable.

Quelles sont les épreuves orales du concours ?

Le concours comporte quatre épreuves, toutes orales donc, même s’il faut préciser que la première épreuve consiste en une « appréciation par le jury des titres et travaux des candidats », de sorte qu’elle a une double nature. Certes le candidat présente et défend ses travaux lors d’une discussion orale avec le jury — dont, notamment (quoique non obligatoirement), sa thèse de doctorat — mais, comme le nom de l’épreuve l’indique, la conviction du jury se forge d’abord, si ce n’est surtout, par la lecture en amont des écrits présentés. Même si l’opposition n’est évidemment pas si marquée que cela car le concours est un tout, on dit souvent que, par cette épreuve, le jury évalue surtout les qualités du chercheur avant d’évaluer, dans les épreuves suivantes, celles de l’enseignant.

Les trois épreuves suivantes, en effet, sont toutes des « leçons », ce qui est lourd de sens : cela signifie que l’exposé attendu du candidat se rapproche à chaque fois d’un cours, tel qu’il serait dispensé à des étudiants et en respectant le temps qui est toujours strictement imparti à un cours (d’où l’exigence pointilleuse du respect du chronomètre…). Le jury évalue donc les qualités pédagogiques du candidat, son aptitude à faire un exposé clair — « De la clarté avant toute chose » pourrait être le credo de l’agrégatif ! — complet, intéressant et de nature à susciter la réflexion critique, voire l’émotion, de celui qui l’écoute. « Instruire, plaire, émouvoir », encore… Il faut toujours en revenir à cette évidence : le « concours d'agrégation pour le recrutement des professeurs des universités des disciplines juridiques » vise à recruter… des professeurs ! Les meilleurs professeurs. Et telle sera la boussole du jury au moment de choisir entre des candidats qui sont tous d’un excellent niveau académique.

Même si elles sont gouvernées par ces principes communs, chacune des trois leçons a ensuite sa spécificité. La première leçon, que l’on dit parfois « de tronc commun » est préparée durant 8 heures « en loge » (c’est-à-dire dans une bibliothèque dédiée qui est la même pour tous les candidats) et consiste, durant 30 minutes très exactement, en un commentaire de texte ou de documents portant sur les sources du droit privé, la théorie générale des preuves et le droit des obligations. On retrouve un exercice très pédagogique : le candidat doit montrer qu’il sait expliquer un arrêt, un article de loi ou un écrit doctrinal, en cerner l’apport et porter une appréciation critique sur lui, comme s’il devait le faire comprendre et analyser par un étudiant.

La deuxième leçon est la fameuse « leçon de 24h », qui contribue tant au prestige du concours et exerce une grande fascination. Elle doit son nom au fait que le candidat tire un sujet à une certaine heure de la matinée pour dire une leçon, de 45 minutes, à la même heure le lendemain. Il s’agit cette fois d’une leçon « en préparation libre », ce qui signifie en pratique que, dans les 24 heures qui lui sont imparties, le candidat peut travailler où il le souhaite, avec la documentation qu’il souhaite et surtout en s’appuyant sur une équipe. Cette leçon, qui porte sur des sujets larges de théorie générale embrassant tout le droit privé et les sciences criminelles, met à l’épreuve l’aptitude du candidat à la synthèse et à la direction d’une recherche collective.

Enfin la troisième et dernière leçon, qui est de nouveau une épreuve préparée en loge durant 8 heures, est une épreuve dite « de spécialité » car le candidat est interrogé dans la matière de son choix (droit civil, droit pénal, droit des affaires, droit international privé, etc.). Elle se distingue de la première leçon, non seulement par son champ disciplinaire plus spécial, donc, mais aussi par la nature de l’exercice qui ne consiste pas cette fois en un commentaire de texte mais en un sujet de dissertation — étant rappelé qu’il s’agit donc de « disserter » à l’oral. L’épreuve, qui prend ainsi une tournure un peu plus théorique que la leçon de tronc commun, est une épreuve subtile car il s’agit pour le candidat de montrer qu’il est certes un fin spécialiste de la discipline choisie mais, dans le même temps, qu’il sait se faire comprendre des membres non-spécialistes du jury, non-spécialistes qui, en quelque manière, se trouvent dans la posture de jugement d’un étudiant qui ne maîtrise pas encore toutes les arcanes de la matière. Une nouvelle fois, le savoir et l’intelligence sont appréciés de conserve avec le talent didactique…

Quels conseils essentiels donnez-vous pour s’y préparer ?

Pour ce qui est des leçons et de l’habileté oratoire qui va avec, il n’y a pas de secret : comme pour toute épreuve de très haute exigence (les grandes compétitions sportives sont à cet égard un bon point de référence…), il faut s’entraîner beaucoup, s’entraîner énormément. C’est la répétition et les erreurs commises qui aident à comprendre, à s’améliorer, à progresser toujours plus et finalement à réussir. L’agrégatif doit tomber et se relever encore et encore. In fine, il aura tellement pratiqué les exercices, en aura tant cerné les pièges et éprouvé les exigences qu’ils deviendront comme une pratique naturelle pour lui. Tel est l’objectif de la préparation à l’agrégation : le jour de l’épreuve, le candidat doit faire la leçon presque instinctivement, comme un geste qu’il a déjà répété mille fois.

Bien sûr, l’entraînement suppose un entraîneur qui conseille, instruit, corrige et sans lequel on ne peut pas progresser. Or à cet égard, la communauté scientifique est d’une grande disponibilité pour les candidats : cela fait partie de la tradition du corps qui veut que, par un chaînage des générations qui rappelle le compagnonnage, les « anciens » aident les plus jeunes. En pratique, la plupart des professeurs sont donc à la disposition des agrégatifs pour leur faire passer des « leçons blanches », qui sont la clef de la réussite.

À cela s’ajoute, bien sûr, que la Conférence d’agrégation, auprès de laquelle l’inscription est libre et gratuite, est là pour donner un cadre général pendant l’année qui précède le concours. Les exigences et les subtilités des épreuves sont expliquées à tous ceux qui veulent les connaître et des entraînements publics à chaque leçon (depuis cette année retransmis en ligne) ont lieu. Là encore ce sont des collègues qui acceptent généreusement de venir dispenser leurs conseils, de donner avis et recommandations qui profitent à tous et permettent à chacun de nourrir son apprentissage.

À quoi préparent-elles le futur Professeur ?

On serait presque tenté de dire que l’agrégation vaut plus pour l’apprentissage qu’elle procure que pour le résultat auquel elle conduit. On ne le dit pas assez : la préparation aux épreuves puis l’année entière du concours sont en elles-mêmes une formation. Une formation universitaire d’élite qu’on a peu l’occasion d’acquérir ailleurs, dans un temps et d’une manière aussi serrés. Pendant un an et demi, deux ans, le candidat, en premier lieu, acquiert des connaissances, parcourt un vaste champ de disciplines, se bâtit une culture juridique, maîtrise l’actualité juridique tous azimuts, comme il n’aura probablement plus l’occasion de le faire dans la suite de sa carrière. En second lieu, compte tenu de la nature des épreuves que l’on a évoquée, il se rode à l’art oratoire, à celui de la pédagogie, à celui de la construction méthodique de la pensée et à la clarté de l’exposition ; il développe une aptitude à la synthèse, une capacité à travailler à haute intensité dans un temps restreint, un instinct pour cerner l’essentiel et le restituer de façon instructive et convaincante. Nombreux sont les exemples de candidats qui se sont littéralement transformés durant l’année du concours ou après plusieurs concours : c’est la préparation de l’agrégation qui en a fait d’excellents universitaires. Et à cet égard, il faut oser dire que même pour ceux qui n’ont pas la chance de l’avoir du premier coup ou pas du tout, le concours imprime sur leur carrière, parfois inconsciemment, une qualité décisive et des compétences qui sont acquises pour toute leur vie universitaire. C’est la raison pour laquelle l’agrégation est si précieuse : en répandant ses exigences, elle donne le « la » à l’art et la manière d’enseigner le droit, de façon générale. Et à juger par les générations de juristes talentueux — juges, avocats, notaires, directeurs juridiques, etc. — formés par les facultés de droit, on peut dire que ces exigences, comme par ruissellement, ont amplement fait leurs preuves.

 

Auteur :MBC


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