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Le magistrat à la Cour de cassation
S'orienter, étudier, passer des concours, suivre des stages, découvrir un métier, décrocher un contrat… Autant d'étapes importantes qui soulèvent, pour chaque étudiant, un foisonnement de questions. Afin de démêler les réalités des idées reçues, Dalloz Actu Étudiant a décidé de décrypter tous les mois les spécificités d'un métier du droit à partir du témoignage d'un professionnel.
Ce mois-ci, la rédaction de Dalloz Actu Étudiant s'est intéressée à la profession de juge à travers une pratique particulière, celle de la Cour de cassation, juridiction suprême et bicentenaire créée par Napoléon. La magistrate Sandrine Vérité, conseiller référendaire à la troisième chambre civile de la Cour, nous a reçus lors d'une audience de la Commission nationale de réparation de la détention provisoire.
Quelle expérience aviez-vous de la magistrature avant d'arriver à la Cour de cassation ?
Après un stage au tribunal de grande instance de Nanterre, j'ai exercé les fonctions de juge à Avesnes sur Helpe, à Bobigny, puis à Paris, pour une durée de trois ans à chaque fois. Les difficultés étaient différentes d'un poste à l'autre et j'ai aimé chacune de ces expériences. J'ai fait du droit civil (du droit de la construction notamment), et du droit pénal (comparutions immédiates, assises, chambre économique et financière du TGI de Bobigny). Les tensions sont fortes aux audiences pénales mais il a fallu s'y confronter. Prononcer un mandat de dépôt, même s’il est nécessaire, est souvent pénible. Je suis plus à l’aise dans des fonctions de civiliste, à étudier des dossiers dans la sérénité du copiste.
Qu'appréciez-vous dans le métier de juge, et en particulier celui de conseiller référendaire ?
La rédaction, et l’interprétation des textes sont ce que je préfère. J’aime résoudre des questions pointues, tenter de comprendre les équilibres que les cours d'appel ont cherché à préserver. J'aime mettre toute la procédure à plat et essayer de faire correspondre au mieux la vérité judiciaire et la vérité factuelle. Aujourd'hui, je ne fais plus le même métier qu'au tribunal. Ce travail nécessite ponctuellement beaucoup plus de recherches de doctrine et de jurisprudence. Il faut travailler dans la continuité de ce qui a été décidé antérieurement, dans des situations comparables au dossier traité. La pression est moins forte à la Cour de cassation, nous travaillons dans de meilleures conditions matérielles que celles que j’ai pu connaître au TGI de Paris en particulier, ce qui nous permet d'être plus sereins. Cela facilite le détachement.
Quelles sont les contraintes du juge ?
Le juge doit se préserver de ses sentiments, se méfier de ses impressions d'audience. La robe l'aide beaucoup à être un technicien humain. D'une certaine manière juger est frustrant car nous sommes confrontés à des situations délicates auxquelles nous n’apportons que des solutions limitées, une réponse la moins inadaptée possible.
À la Cour de cassation, nous sommes parfois un peu détachés des réalités. Les enjeux humains existent mais ils n'apparaissent pas autant qu'au fond, les parties étant très rarement présentes, et le débat étant exposé en termes techniques. S’agissant de la Commission, il est difficile de se faire une idée des réelles conditions de vie des détenus, même si comme d’autres magistrats, j’ai eu la chance d’effectuer un stage de surveillant dans une maison d’arrêt. Il n’est pas aisé pour un requérant d’établir la preuve de la souffrance morale qu’il a pu ressentir en détention, et pour la commission, il est souvent délicat d’apprécier ce préjudice et de le chiffrer.
Quelle place tient la Commission de réparation de la détention provisoire dans vos missions à la Cour de cassation ?
Il s'agit d'une activité dite « annexe ». La commission juge en fait et en droit, en essayant d’harmoniser les appréciations faites par les cours d'appel. Ce n'est plus très naturel pour un conseiller à la Cour de cassation, dont la technique de travail est différente, de redevenir juge du fait. Le conseiller à la Cour de cassation perd l’habitude de manipuler les pièces de fond. Cette mission revient aux juges de première instance et aux juges d’appel, qui l’exercent souverainement, c’est-à-dire sans contrôle ou presque de la Cour de cassation. La Commission permet de renouer avec l’examen des pièces, l’appréciation de la preuve, les plaidoiries, la fluidité du délibéré à trois, et surtout avec « le justiciable », les requérants étant très souvent présents à cette audience. C’est la part la plus vivante et la plus humaine de mes activités.
Comment se fait-il que des personnes placées en détention provisoire parfois deux, trois ans, voire plus, soient acquittées, relaxées ou obtiennent un non-lieu ?
Lorsque les éléments du dossier n’ont pas établi la culpabilité il ne peut pas y avoir de condamnation, même si pour des motifs propres à chaque affaire, il y a eu placement en détention. La Commission ne porte aucune appréciation sur le bien-fondé de cette décision, ni bien sûr, sur le non-lieu rendu, la relaxe ou l’acquittement qui ont été prononcés. Nous faisons abstraction de toute la procédure pénale, pour n’apprécier que l’existence et l’importance des préjudices qui résultent de la détention. La qualification des faits peut changer au cours de la procédure, un crime peut être disqualifié en délit ou en contravention. Or toutes les infractions ne permettent pas le placement en détention. La Commission a élaboré une jurisprudence pour répondre à ces situations particulières.
Questionnaire de Désiré Dalloz
Quel est votre meilleur souvenir d'étudiant ? Ou le pire ?
Je n'ai pas de pire souvenir car dans le pire, il y a toujours du bon. Néanmoins, j'ai énormément travaillé pendant mes années d’études de droit et à Sciences-Po — peut-être trop — mais cela m’a permis de beaucoup apprendre et d'acquérir des outils juridiques et techniques. La période de formation à l'École nationale de la magistrature, à Bordeaux, a été l’une des plus belles de mes années d’études supérieures : l’après concours, l’année du commencement de l’apprentissage d’une profession. Le nombre réduit d’auditeurs permet une formation plus individualisée et est propice à l’esprit de promotion. S’il fallait en choisir un, je dirai que le meilleur souvenir de ma scolarité a été d'incarner, au gala de fin d'année de l'ENM, le personnage de Lapin dans la pièce Lapin Lapin de Coline Serreau. Lapin est un être surnaturel envoyé en mission dans une famille nombreuse, la famille Lapin, sous les traits du dernier enfant. Le gala et sa préparation ont révélé la créativité et les talents de mes camarades de promotion, et des chargés de conférences.
Quel est votre héros de fiction préféré ? Pourquoi ?
Ruy Blas (héros éponyme de la pièce de théâtre Ruy Blas de Victor Hugo) car il incarne un idéaliste puriste, droit, honnête, intègre, un révolté impuissant face à la corruption. Une belle âme, pur dans son amour pour la reine et sa dévotion à la chose publique. Cet idéalisme le conduira au sacrifice de sa vie. La sincérité de ce personnage me fascine, il est une sorte d’ondin.
Quel est votre droit de l'homme préféré ? Pourquoi ?
La liberté de la pensée et de son expression, juste après l'incontournable liberté d'aller et venir. La liberté de l’esprit me paraît la plus importante car sans cette liberté intellectuelle, la liberté de circuler est sans portée. Ces libertés ne vont pas l’une sans l’autre. Ainsi, le droit de l’homme auquel je suis le plus sensible serait peut-être celui de ne pas être arbitrairement détenu pour ses idées.
Références
Carte d'identité du magistrat à la Cour de Cassation
Les conseillers de la Cour de cassation peuvent se vanter de travailler au sein de l'une des plus belles institutions de la République, dont l'origine remonte à 1790. Leur mission se différencie des fonctions traditionnelles de magistrat. Les audiences sont plus rares, l'étude du dossier plus solitaire mais la décision finale plus collégiale. Ici le droit se libère des faits et de leur charge émotionnelle au profit d'une analyse plus technique.
■ Les chiffres
- 120 conseillers à la Cour de cassation dont 41 référendaires.
- 19617 dossiers de contentieux civils enregistrés en 2009.
- 75 recours présentés devant la Commission de réparation de la détention provisoire, soit 1/9 des 661 dossiers traités par les cours d'appel en 2009.
- 1 522 950 € d'indemnités versés aux requérants de cette Commission en 2009.
■ La formation et les conditions d'accès
La plupart des conseillers référendaires sont issus de la magistrature. Ils ont donc suivi une formation initiale à l'ENM (École nationale de la magistrature) accessible sur concours, avant 31 ans révolus, après un Bac +4, un diplôme d'IEP ou en tant qu'ancien élève d'une école normale supérieure.
Les conseillers référendaires sont nommés par décret du président de la République, après avis du Conseil supérieur de la magistrature. Le processus de sélection demeure très serré, les candidats doivent avoir fait leurs preuves en tant que magistrats de juridictions du fond.
Les conseillers référendaires sont nommés pour une durée maximum de dix ans, en début ou milieu de carrière. Par la suite, ils deviennent prioritaires pour réintégrer ces fonctions en tant que conseillers « lourds », durant leurs dernières années d'exercice.
■ Les domaines d'intervention
La Cour de cassation est organisée en six chambres traitant de spécialités différentes : trois civiles, une commerciale, économique et financière, une sociale et une dernière, criminelle.
■ Le salaire
4 500 euros par mois pour un jeune conseiller référendaire et autour de 8 000 euros mensuels pour un « conseiller lourd », c'est-à-dire en fin de carrière.
■ Les qualités requises
Rigueur, probité, loyauté, autonomie, technicité, actualisation permanente des connaissances, capacité de recherche, précision, écoute, patience.
■ Les règles professionnelles
Impartialité, objectivité, secret professionnel, confidentialité, indépendance, obligation de respecter les principes du contradictoire et de la tenue d'un procès équitable, éthique professionnelle et respect de la loi.
■ Site internet de la Cour de cassation : www.courdecassation.fr.
■ Site internet de l’ENM : http://www.enm.justice.fr/.
« Ordre donné au chef d’un établissement pénitentiaire, par un juge des libertés et de la détention ou par une juridiction pénale de jugement des crimes ou des délits, de recevoir et détenir, selon le cas, soit une personne mise en examen et qui fait l’objet d’une ordonnance de placement en détention provisoire, soit un prévenu ou un accusé. »
« Magistrat siégeant dans les cours d’appel, à la Cour de cassation, dans les juridictions administratives et dans les juridictions financières; à la Cour des comptes, il existe des conseillers référendaires, et des conseillers maîtres parmi lesquels les présidents des chambres sont exclusivement choisis.
Certains magistrats détachés à la Cour de cassation portent le titre de conseillers référendaires. »
Sources : Lexique des termes juridiques 2011, 18e éd., Dalloz, 2010.
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