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[ 3 juin 2021 ] Imprimer

Mineurs et sexualité

Maître Catherine Glon, avocate au Barreau de Rennes, spécialiste en droit des personnes et en droit pénal, membre du collectif Raison Garder a bien voulu répondre à nos questions. Ce collectif est l’auteur d’un livre Mineurs et sexualité. Des lois en débat, paru en novembre 2020 chez Dalloz dans la collection « Les sens du droit ». L’ouvrage expose et commente les règles de droit et leurs évolutions dans le temps. Pour un débat critique et conscient sur le sujet.

Qu’est-ce qui motive le collectif Raison Garder ?

Le désir de rencontre et de mise en commun s’est imposé comme une nécessité au sein de notre groupe de juristes, qui éprouvons quotidiennement la loi et son application de lieux différents, mais y attachons éperdument la même préoccupation de Raison garder.

Nous sommes universitaires, magistrats, avocats, de générations différentes, aux parcours très divers, ayant par nos expériences pu aborder la situation des victimes et auteurs d’infractions sexuelles sur mineurs.

À nouveau début 2020, à la faveur de plusieurs affaires médiatisées et du livre de Vanessa Springora revient la question de la pédophilie et de son traitement par la loi pénale, cela pourtant moins de deux ans après le dernier texte en ce domaine et alors que l’on ne compte pas moins de 18 réformes traitant des infractions sexuelles sur ces 20 dernières années.

Il est certes habituel que le politique s’empare par à-coups successifs de la loi à chaque sursaut de l’opinion publique, d’autant plus en fonction de l’écho que lui donnent les médias à un temps donné, par véritable souci d’information et d’analyse ou simple opportunisme.

Mais c’est dans la rigueur et la complexité que le Droit inscrit la règle et éclaire les relations humaines pour être légitime à les régir.

Amalgames, jugements de valeur expéditifs, certitudes appuyées sur des préjugés ou des ignorances instrumentalisées, les violences sexuelles à l’égard des mineurs se prêtent à tous les errements et contresens.

Aussi, nous a-t-il paru impossible de laisser dire et lire que faute d’un seuil d’âge présumant du non-consentement irréfragable, des mineurs victimes devraient prouver leur absence de consentement, faute de quoi aucune poursuite ne serait possible.

Le droit a toujours puni ce que l’on appelle désormais la pédophilie.

Depuis 1832, la loi punit toute relation sexuelle d’un adulte avec un mineur au-dessous d’un certain seuil d’âge.

Depuis 1832, tout acte sexuel commis sans violence contrainte menace ou surprise sur un mineur de 11 ans est punissable, seuil devenu 13 ans en 1863 et 15 ans depuis 1945. Le délit d’atteinte sexuelle est aujourd’hui puni de sept années d’emprisonnement.

Si l’on parle de faits accompagnés des circonstances de violence, menace, contrainte ou surprise, les faits sont qualifiés viol ou agression sexuelle.

Autrement dit, depuis 1945 l’invocation du consentement est inopérante s’agissant de relations avec un mineur de 15 ans.

Cela ne signifie pas pour autant que la loi fut appliquée, tant le silence est pesant qu’il s’agisse de l’inceste ou des agressions sexuelles sur les enfants commises par des adultes exerçant ascendance ou autorité, ni qu’elle ne fut pas évolutive par mouvements de balancier en fonction du regard que la société portât sur son rapport à son propre corps et celui de l’autre, ou sur sa sexualité tantôt libre ou asservie.

Aussi bien sûr, sur l’enfant lui -même, sa parole ou son silence.

Mais prétendre repenser la loi en partant de représentations biaisées du Droit augure simplement d’un échec à l’améliorer, si tant est qu’il faille une autre réforme.

Nous avons d’abord proposé une recherche de sens à travers l’histoire et l’évolution des textes sur ces 40 dernières années.

Nous avons voulu ensuite énoncer et creuser les différentes incriminations pour ensemble mieux approcher la réalité juridique contemporaine en ce domaine.

Enfin très modestement, esquisser une réflexion prospective car il fallait s’attendre à une nouvelle loi, aujourd’hui sur le point d’être votée et nourrie peut-être d’autres ou semblables contradictions.

L’ouvrage ne prend pas partie sur ce qu’il faut faire ou penser mais rappelle un certain nombre de principes propres à nourrir le débat démocratique nécessaire à toute inflexion de la loi pénale.

Car si l’on fait volontairement ou non l’économie d’une analyse sur les évolutions juridiques durant les dernières décennies, si l’on traite l’histoire à contresens, si l’on ne comprend pas la logique de l’architecture légale, et si l’on néglige les exigences auxquelles le droit pénal doit se plier, une loi claire, le principe de légalité, la réponse pénale proportionnée, le respect des règles de preuve, la place centrale des droits de la Défense, alors on se méprend sur les réformes possibles.

On prend aussi le risque de s’engager dans des voies sans issue.

Quel a été le sens de la législation concernant les mineurs et la sexualité dans les années 1970 ?

Il faut se rappeler d’abord que jusqu’en 1980, le viol n’est pas défini dans le Code pénal.

C’est donc la Cour de cassation qui avait forgé une définition construite sur un modèle exclusivement patriarcal et la présomption de consentement de la femme. Il était évidemment inconcevable qu’un homme puisse subir un viol ou tout au moins le révéler…

D’autre part, la loi promulguée sous Vichy et maintenue à la libération pénalise tout rapport homosexuel avec un mineur de 21 ans sanctionné de trois années d’emprisonnement.

Paradoxes douloureux en 1970, à une époque où naissent toutes les aspirations à la liberté dont la liberté sexuelle.

L’ouvrage retrace ces évidences oubliées et s’efforce d’objectiver les débats et travaux entamés à l’époque sur la qualification de l’attentat à la pudeur commis sans violence sur mineur.

Ces débats ne sont pas le fait de quelques intellectuels désireux de promouvoir l’apologie de la pédophilie.

Il agissait non pas de dépénaliser mais de décriminaliser, ce à quoi souscrit sans réserve le Gouvernement de Raymond Barre et Alain Peyreffite qui en 1980, font de l’infraction d’attentat à la pudeur sur mineur de 15 ans un délit puni de cinq ans d’emprisonnement.

Cependant, il faudra attendre 1982 pour que le délit spécifique aux homosexuels soit abrogé sur l’initiative de Robert Badinter.

Puis ce fut à partir des années 1990 un basculement vers un corpus social et juridique sur la protection des mineurs que nous nous sommes attaché à analyser. Avec ses justes aspirations, et une mobilisation réelle des juristes en même temps qu’une très forte instabilité législative laquelle perdure.

Quel est le sens aujourd’hui de la législation en 2021 ?

La législation actuelle est le fruit d’un véritable changement de paradigme, dans la façon de penser et réprimer toutes les formes de violence, de contraintes et de domination, issues pour partie des combats menés par les mouvements féministes. 

L’emprise en tant que tel fait son entrée dans le Code pénal, emprise du conjoint violent sur son partenaire, emprise de l’adulte sur le mineur.

Magistrats et avocats se confrontent aujourd’hui à l’approche juridique de ce phénomène psychologique reconnu alors que, dans le même temps, aucune mesure d’information de formation et de prévention n’existe véritablement.

Sommés en quelque sorte à poursuivre avec des périodes de prévention parfois très longues dans le temps les parquets peuvent se retrouver en grande difficulté d’efficience véritable.

Notre ouvrage aborde les thèmes du consentement et de l’emprise et de leurs rapports complexes au temps.

Une fois encore, la loi est substituée à l’impuissance sociale, sans préoccupation des fondements du procès pénal et des dégâts considérables qu’engendrent les relaxes légitimement prononcées par des juridictions heureusement guidées par l’interprétation restrictive de la loi ou l’appréciation souveraine des preuves.

Nous avons aussi voulu dans cet ouvrage collectif aborder la question du traitement judiciaire des infractions explicitement critiquées par un certain nombre d’associations dans le traitement des infractions sexuelles.

On ne saurait ignorer que l’accumulation de lois répressives et d’incriminations complexes engendre souvent des résultats contre-productifs et douloureux.

Il demeure que nombre de nouvelles qualifications correspondent à des attentes sociales précises et étayées :

De nouveaux crimes et délits sexuels ont fait leur entrée dans le Code pénal, dont beaucoup concernent les enfants, harcèlement sexuel, bizutage, traite des êtres humains, mise en péril des mineurs, incitation aux mutilations sexuelles sur mineurs, répression accrue de la pédopornographie, renforcement de la pénalisation des relations incestueuses, etc.

Mais l’empilement juridique des textes de circonstance est devenu quasiment entropique, tout particulièrement en matière de prescription de l’action publique.

Cette instabilité contemporaine fait naitre l’insécurité juridique évoquée par nombre d’acteurs dont nous rappelons les travaux.

La législation de 2021 n’est pas promulguée qu’elle s’annonce déjà insécure…

Quelles évolutions législatives peut-on souhaiter en ce domaine pour l’avenir ?

Ces évolutions souhaitables ou non, sont en cours puisque dans quelques jours une loi nouvelle, sera votée dans une grande confusion confrontée à une triple revendication : une présomption irréfragable de non-consentement pour les mineurs de 15 ans, l’imprescriptibilité des crimes sexuels commis sur mineur, l’augmentation de toutes les peines encourues avec un traitement spécifique de l’inceste.

Il s’agit du toujours plus en matière de réarmement pénal auquel les législateurs successifs ne résistent pas semble-t-il.

Mais juristes que nous sommes, nous soulignons que les questions vont être nombreuses à la fois sur la constitutionnalité et sur les applications pratiques de la loi à l’épreuve de la réalité juridique et judiciaire.

Profond aussi est notre regret collectif à voir à nouveau légiférer en ce domaine avant même que des évaluations n’aient pu être menées sur les réformes précédentes et notamment celle de 2018.

La future loi est déjà violemment attaquée par ceux-là mêmes qui réclamaient une réforme.

Il est donc à craindre que l’instabilité législative ne se poursuive.

Enfin, d’autres questions ont été éludées et que dès lors nous avons voulu évoquer.

Depuis 1994, les mineurs ne sont mis en cause pour des actes sexuels commis sur des mineurs au seul cas où la violence sous la contrainte est établie. Qu’en sera-t-il de ce choix lorsque de plus en plus de mineurs sont mis en cause ?

Rien n’a été dit ni pensé sur la protection des personnes handicapées, question pourtant cruciale et dont nul n’ignore l’acuité et l’urgence.

Mais aussi, une fois encore il est la grande occasion manquée de la prévention et du traitement pour les auteurs de violences sexuelles.

À nos yeux, la loi ne devrait se construire ni dans la contingence ni dans une unique finalité répressive.

Le questionnaire de Désiré Dalloz :

Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ?

Sans une hésitation, ma rencontre à la faculté de droit et de sciences politiques de Nantes où j’ai accompli mes études avec Alain Supiot spécialiste du droit du travail mais aussi de philosophie du droit.

Mon cursus était alors en cours d’achèvement puisque j’avais intégré ce que l’on appelait à l’époque un DESS dont ma mémoire n’a pas conservé le titre mais préservé le souvenir très aigu d’un sentiment d’être à ma place, peut-être pour la première fois avec un tel sentiment de plénitude.

La formation réunissait les savoirs croisés d’étudiants en droit, en sociologie, et en philosophie. Alain Supiot en était l’architecte.

J’ai appris là ce dont je suis toujours convaincue, que le droit est l’instrument vivant de la démocratie et le révélateur de choix sociaux dont nous sommes tous responsables. Mais aussi que le droit ne peut s’apprendre sans curiosité et connaissance des autres sciences sociales et littéraires.

Le lien avec les enseignants en faculté est essentiel et j’éprouve toujours une très profonde reconnaissance certes à l’égard d’Alain Supiot mais aussi Michèle Bordeaux, Louis Lorvellec, Raymond Le Guidec qui m’ont appris le respect du savoir et de l’analyse critique.

Quels sont votre héros et votre héroïne de fiction préférés ?

Le héros, assurément Jules Maigret.

Il incarne en réalité tout ce que je voudrais être, en exerçant la profession d’avocat paradoxalement, l’observation aiguë mais presque affectueuse de ses congénères, le sens de l’écoute de l’autre sans aucun jugement de valeur, lui qui répète au fur et à mesure de ses enquêtes qu’il « ne pense rien » pour dire que ni les apparences ni les opinions ne font une vérité, l’humanité en somme.

Les figures héroïques des femmes dans les fictions sont plus difficiles à approcher, tout au moins pour moi et pour des raisons que nous pouvons tous et toutes identifier, du moins me semble-t-il. Peut-être d’ailleurs qu’en tant que femme je suis inspirée et conduite d’abord par des modèles qui nous ont permis à travers les siècles d’exister, et de permettre aux générations futures d’être au monde, en toute égalité.

J’éprouve une admiration sans borne pour les résistantes dans tous les domaines, et je songe à l’instant à quelques noms alors qu’il y en a tant, Hannah Arendt, George Sand, Clara Zetkin, Frida Kahlo, Geneviève De Gaulle, Simone Veil et même Claire Bretécher sans oublier évidemment, et pas seulement en clin d’œil Virginia E. Johnson.

Quel est votre Droit de l’Homme préféré ?

Et bien celui de l’humain tout simplement. Et je ne parviens pas à faire la distinction. Je pense néanmoins en ces temps tourmentés à la défense de la liberté de toutes les expressions en particulier dans les pays qui ne connaissent à nouveau rien d’autre que le totalitarisme. 

 

Auteur :Marina Brillé-Champaux


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