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Olivier Beaud
Beaucoup de questions à poser à Olivier Beaud, professeur de droit public à l’Université Panthéon-Assas (Paris II) ! Avec deux de ses pairs Guillaume Drago et François Gaudu, ils sont les fondateurs du « Collectif pour la défense de l’Université » dont Cécile Chainais, professeur de droit privé et directrice de l’Institut d’études judiciaires de l’Université de Picardie Jules Verne, assure la coordination. En effet, depuis la loi relative aux libertés et aux responsabilités des universités dite « LRU » du 10 août 2007, l’Université est en proie à un des bouleversements les plus importants de son histoire (qui commence pourtant au xiie siècle !). Le vent de la concurrence souffle fort sur l’enseignement supérieur avec les PRES de 2006 (pôles de recherche et d’enseignement supérieur), le plan campus de 2008, le grand emprunt pour la recherche de 2009 et les quotas d’élèves boursiers dans les grandes écoles du début d’année 2010 — sans oublier le classement de Shanghai (sur le sujet, v. Ch. Fortier (dir.), Université, universités, Dalloz, coll. « Thème & commentaires », à paraître en mai prochain).
Quels sont les objectifs et les moyens d’action du « Collectif pour la défense de l’Université » ?
Les objectifs sont modestes, mais utiles : être une association qui permette aux universitaires de discuter des problèmes universitaires, d’informer la communauté sur lesdits problèmes et, enfin, défendre les universitaires si le besoin s’en fait sentir — l’expérience prouvant que le besoin est malheureusement croissant. Nous allons bientôt disposer d’un site sur Internet sur lequel nous allons pouvoir collecter beaucoup d’informations et apporter un réel service.
Nos moyens d’action ? Ils sont dérisoires. Ces moyens d’action sont d’un côté, les universitaires membres du Bureau du Collectif (Cécile Chainais, Jean Matringe, Anne Sophie Bruno et Laurent Bouvet, et moi-même) et, d’un autre côté, tous les universitaires qui ont accepté ou accepteront de travailler dans les « commissions » ou groupes que nous sommes en train de mettre en place. Toutes les bonnes volontés sont les bienvenus, et nous ne refusons pas les dons…
Pourquoi y a-t-il si peu d’universités françaises dans le classement de Shanghai ? Existe-t-il un autre classement ?
Ce classement de Shangai est insane et ne reflète absolument pas la réalité du monde universitaire français. Il a été « bricolé » par des universitaires chinois pour envoyer leurs étudiants boursiers à l’étranger. Ses critères sont totalement inapplicables au cas français La France souffre de la double division universités/grandes écoles et universités/organismes de recherche qui pénalise les Universités qui apparaissent comme « minuscules » au regard de certaines autres. Le plus intelligent serait d’oublier les critères de Shanghai, mais cela supposerait de faire de la bonne politique et non plus de la communication politique.
Qu’est-ce qui fait l’Université ? L’enseignement de masse ? La créativité intellectuelle des enseignants ?
Ni l’un, ni l’autre. « La tâche de l’Université est de permettre la recherche de la vérité à la communauté des chercheurs et des étudiants », voici la définition donnée par Karl Jaspers. En France, on n’a jamais bien compris ce qu’était une Université. Les gouvernants ont eu tendance à la transformer en toute autre chose que ce qu’elle doit être : elle sert à « aménager le territoire » et à bien d’autres choses encore, notamment la régulation du chômage des jeunes.
Comment les Universités préparent-elles leurs candidatures pour bénéficier du grand emprunt ?
Il faudrait poser cette question à mon président d’Université, le professeur Louis Vogel, car c’est lui qui s’occupe de cette question.
Que faut-il craindre dans la réforme du statut des enseignants-chercheurs ?
Beaucoup de choses malheureusement. La principale, c’est le pouvoir « clientélaire », de « patronage » si l’on veut — que peut exercer le président d’Université sur les universitaires. Dans des grandes Universités, qui ont encore quelques « traditions universitaires », le risque est mineur, quoique non négligeable. Dans d’autres Universités gangrenées par le clientélisme ou dans celles où les juristes sont du menu fretin par rapport aux scientifiques, le risque d’arbitraire est énorme. Certains jeunes collègues, pourtant très brillants, commencent à le comprendre amèrement quand ils ont appris qu’ils n’auraient pas la prime d’excellence scientifique.
L’autre chose que l’on peut craindre, c’est une atmosphère de plus en plus délétère dans les Universités où l’individualisation de la carrière (avec primes et évaluation permanente) va aboutir à dresser les uns contre les autres des gens censés travailler ensemble. Loin de contribuer à l’émulation, cela risque de provoquer beaucoup de découragement et de frustration. En outre, qui va évaluer les évaluateurs ? …
Pensez-vous que les techniques managériales sont applicables aux universitaires ?
Elles sont déjà assez détestables dans le secteur privé, et elles le restent évidemment une fois transposées dans le monde universitaire. Mais surtout, elles sont inadéquates. Il ne faut rien connaître du métier d’universitaire pour avoir l’idée, comique, d’y introduire les techniques du management privé. L’universitaire ne recherche pas l’argent, ni l’efficacité, et il n’a pas besoin d’être mobilisé par je ne sais quel DRH inspiré. L’universitaire normalement constitué délivre un enseignement qui est marqué par la recherche tâtonnante de la vérité. Allez expliquer cela à un DRH d’une grande entreprise privée !
Qu’est-ce que c’est que la « diversité pédagogique » ?
J’aimerais bien le savoir, mais je crains le pire lorsque vous m’aurez appris le sens de cette nouvelle expression qui fleure bon la novlangue pédagogique.
L’Université forme-t-elle des innovateurs ou des décideurs ?
Le mieux serait d’éviter des expressions aussi biaisées. Mais je réponds ainsi à votre question : comme Sciences Po Paris prétend former avec son École de droit des juristes « décideurs », vous pensez bien que je penche en faveur des « innovateurs ». Plus sérieusement, j’aimerais bien que l’Université continue à former aussi des « honnêtes hommes » et de bons citoyens.
Quelle sélection pour l’entrée à l’Université ? Des quotas ? Des concours ? Des examens ? Sur dossier ?
Si l’on veut sauver l’Université, il faut faire admettre qu’il n’y a aucune raison qu’elle soit le seul segment de l’enseignement supérieur qui ne soit pas en mesure de choisir ses étudiants en fonction des études qu’ils ont envie de faire. Il faut certes un droit d’entrée à l’enseignement supérieur pour tous ceux qui ont le baccalauréat, mais toutes les formations de l’enseignement supérieur devraient concrétiser ce droit. Autrement dit, l’Université ne doit pas être la voiture-balai de l’enseignement supérieur, ce qu’elle est aujourd’hui parce qu’une bonne partie des étudiants y va par « défaut », faute de ne pas avoir été pris ailleurs, là où on sélectionne. Cette volonté de ne pas remettre en cause cette question, cette non-réforme condamne à mort l’Université, ni plus ni moins. Le diagnostic a été posé dans la Revue du MAUSS, n° 33 (n° spécial sur l’Université, La Découverte, 2009), auquel je renvoie le lecteur.
Pour les modalités de sélection, il faut privilégier l’examen sur dossier.
Quelles aides pour l’étudiant ? Des aides financières ou d’accès à la documentation ? Des quotas de boursiers ? Du tutorat relationnel ou technique ?
Je suis résolument favorable à ce qu’on aide les étudiants, mais tout aussi favorable à ce que ceux-ci se sentent responsables de l’aide qu’on leur apporte. Il faut donc aider sérieusement les étudiants les plus méritants et les plus socialement défavorisés, quitte à augmenter les droits d’inscription (dans des proportions raisonnables, pas comme à Sciences Po) pour les étudiants issus des milieux aisés. C’est une évidence. Mais cela suppose d’avoir une Université où la valeur du diplôme est reconnue (on tourne en rond à cause de la non-sélection).
Il faut aussi massivement investir dans l’accès à la documentation et réfléchir aux moyens d’accroître ici l’égalité des chances. Mais je rappellerai quand même aux étudiants que la meilleure garantie de l’égalité des chances réside dans le travail personnel accompli par chacun. Rien ne remplacera jamais cet élément.
Faut-il craindre la disparition des sciences à portée plus « culturelle » qu’économique, comme l’ethnographie, la philosophie, la sociologie ou le droit ?
On peut le craindre en effet avec la vogue de la « professionnalisation du droit » habilement mise en scène par les « professionnels du droit ». On assiste sous nos yeux à un nouvel épisode du conflit ancestral entre l’École du droit — censée former des juristes praticiens — et la Faculté de droit conçue comme une Université. On est dans une période où l’École du droit domine, mais je crois au mouvement pendulaire et qu’il y aura mécaniquement un retour de balancier lorsqu’on aura compris les ravages de toute formation trop « étroite ». D’ailleurs, tout le monde sait que la pratique professionnelle s’apprend… par la pratique elle-même. Mais nos professionnels du droit n’ont plus le temps d’apprendre à leurs jeunes collaborateurs ; ils veulent transférer cette charge à l’Université. C’est à nous, universitaires, de leur rappeler cette humble vérité, et de tenter de convaincre les dirigeants politiques de l’inanité de cette revendication.
Le questionnaire de Désiré Dalloz
Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ? Ou le pire ?
Le meilleur souvenir d’étudiant est la période d’après les examens écrits où j’allais au cinéma. Le pire, c’est justement la répétition annuelle des examens, écrits et oraux.
Quel est votre héros de fiction préféré ? Pourquoi ?
Votre question me prend au dépourvu. Je n’ai pas un héros de fiction préféré. Mon imaginaire a dû transiter par d’autres voies que la fiction.
Quel est votre droit de l’homme préféré ? Pourquoi ?
La liberté d’expression. Parce que je crois à la force des idées et que j’ai toujours été effrayé par la lecture des témoignages de personnes vivant dans des régimes refusant cette liberté.
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