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[ 24 octobre 2024 ] Imprimer

Perdre sa nationalité

Perdre sa nationalité, c’est pour votre fidèle chef de rubrique d’interview de Dalloz actu étudiants le rappel d’une sombre et terrible période historique quand la déchéance de la nationalité était une simple étape organisée vers un destin tragique. Alors que la nationalité est un lieu de débats politiques et parfois de polémiques, Sabine Corneloup, conseillère à la Cour de cassation en service extraordinaire, professeure des universités (Paris-Panthéon-Assas) et Etienne Pataut, professeur à l’Université Paris 1 IRJS nous proposent d’explorer les voies juridiques de sa perte dans l’ouvrage collectif Perdre sa nationalité (Dalloz, nov. 2024).

Quels sont les enjeux actuels autour de la perte de la nationalité ?

L’expérience des totalitarismes du 20e siècle, avec leur lot de dénaturalisations et de déchéances de nationalités, avait relégué la perte de nationalité en général, et la déchéance en particulier, dans la marginalité. Les terribles attentats de Paris en 2015 et, plus largement, le terrorisme islamique, ont sur ce point complètement renversé l’analyse comme le droit positif. La tendance européenne, désormais, est au renforcement des arsenaux législatifs pour permettre de priver quelqu’un, qui s’est rendu coupable de crimes d’une particulière gravité, de sa nationalité. 

Mais, plus généralement, le droit de la nationalité lui-même a beaucoup évolué. D’un côté, mobilité des personnes et égalité des sexes ont conduit à une meilleure tolérance à la double nationalité, de même que la considération des droits fondamentaux des individus a pu conduire à une relative diminution de la part de souveraineté et d’arbitraire d’État dans le lien de nationalité. De l’autre côté, toutefois, la jonction entre nationalité et immigration a conduit à une instrumentalisation fréquente des questions de nationalité au nom d’un contrôle des frontières ou des exigences toujours plus élevées de l’intégration, dont ont encore témoigné les débats qui ont précédé l’adoption de la récente loi française sur l’immigration de janvier 2024. 

Tout cela incitait à reprendre le débat dans son ensemble et à réfléchir collectivement aux différents cas de perte de nationalité, qui est un poste d’observation privilégié de ces évolutions. C’est l’objet même de l’ouvrage. 

Quels sont les différents cas de pertes de nationalité ?

Ils sont nombreux et peuvent être regroupés en quelques grandes familles. La première grande opposition distingue les cas où la perte est volontaire et ceux où elle est involontaire. Les premiers sont évidemment beaucoup moins problématiques sous l’angle de la protection des droits fondamentaux de l’individu, puisque c’est lui qui décide de s’éloigner d’un État qui lui a conféré sa nationalité. Le droit français est pour sa part assez réticent à accorder un rôle trop important à la volonté en matière de nationalité, ce qui fait que ces cas de perte sont à la fois peu nombreux et peu utilisés. D’autres États, au contraire, comme les États-Unis, admettent beaucoup plus largement qu’une personne puisse renoncer à sa nationalité.

Les cas de perte involontaire sont les plus discutés et sans conteste les plus difficiles. Là encore, deux grandes familles : les cas de perte fondés sur l’idée d’une certaine désuétude de la nationalité, en raison d’un éloignement de l’individu et de l’État, et ceux fondés sur l’idée de sanction. C’est dans cette seconde catégorie que tombe la déchéance de nationalité, qui a donné lieu à tant de débats ces dernières années. 

Quelles sont les conséquences de la perte de nationalité ?

Les conséquences sont extrêmement graves pour les individus concernés. Ils perdent tout rattachement avec l’État de nationalité, dans lequel ils ne bénéficient plus d’un droit inconditionnel au séjour et où ils peuvent avoir perdu tous leurs droits politiques. Si la personne concernée ne possédait qu’une seule nationalité, elle va devenir apatride, statut extrêmement précaire la conduisant à être partout une étrangère. Dans le cadre l’Union européenne, la perte de la nationalité entraîne, en outre, la perte de la citoyenneté européenne, si la personne ne possède pas la nationalité d’un autre Etat membre.

C’est pour cette raison que la perte de nationalité est encadrée de façon rigoureuse en droit français, comme dans d’autres droits. Les procédures sont relativement strictes et, en France en tout cas, aucune perte ne peut donner naissance à une situation d’apatridie. Surtout, dans la mesure où la perte de nationalité touche aux droits fondamentaux des individus, il n’est guère étonnant que, par petites touches, la Cour européenne des droits de l’homme et la Cour de justice de l’Union européenne viennent poser quelques exigences qui bornent, même avec prudence, le pouvoir des États. 

Quelles conclusions apporter à cette problématique selon vous ?

Il est difficile d’adopter une conclusion unique, tant les cas de pertes sont variés et correspondent à des fondements comme à des objectifs fort différents. Mais s’il est une chose qui semble rassembler tous les cas de perte, c’est la nécessité d’encadrer strictement ceux-ci, notamment par des procédures rigoureuses et protectrices des droits fondamentaux des individus. Le contre-exemple britannique, qui admet des déchéances extraterritoriales et prononcées au terme de procédures secrètes sert ici de repoussoir. Comme le proclament avec justesse tant la Convention européenne de 1997 — qui n’est, hélas, toujours pas en vigueur en France — que les Cours européennes : il ne saurait y avoir de perte, quelle qu’elle soit, sans procédure permettant aux individus de s’en défendre.

Le questionnaire de Désiré Dalloz

Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ?

S. C. : La prise de conscience, au cours des deux premières années de licence, que tout ce qui était enseigné à la faculté de droit me passionnait, et que j’avais trouvé ma voie, après quelques incertitudes initiales sur mon orientation après le lycée.

E. P. : Ma toute première semaine de L1, à l’Université de Nanterre. L’impression, après des années de lycée, que j’avais trouvé un lieu d’épanouissement personnel et de liberté nouveau et exaltant. Cette impression ne s’est d’ailleurs jamais vraiment estompée, ce qui explique peut-être que je n’aie jamais quitté les bancs de l’Université.

Quels sont votre héros et votre héroïne de fiction préférés ?

S. C. : Je n’ai pas vraiment un héros ou une héroïne préférée. Il y en a tant ! Parmi mes lectures des dernières années, je dirais Janina Doucheyko, personnage principal dans le roman Sur les ossements des morts d’Olga Tokarczuk. Une dame extraordinaire, libre, engagée, pleine de malice et de sensibilité. 

E. P. : Le Comte Mosca. Personnage central de La Chartreuse de Parme, habile politique, non dénué d’un certain cynisme, mais fondamentalement épris de justice et d’équilibre. Un personnage magnifique, plein de contradictions et follement romanesque.

Quel est votre droit de l’homme préféré ?

S. C. : C’est la protection de l’ensemble des droits, qui me paraît l’essentiel. Je n’arrive pas à privilégier l’un au détriment des autres. Dans le cadre de la Convention européenne des droits de l’homme, comment ne pas évoquer l’article 3, droit absolu et indispensable, par exemple, pour la protection des demandeurs d’asile ? L’article 8, qui accompagne tant d’évolutions fondamentales de la société ? L’article 6, bien sûr, pour les raisons avancées par Etienne Pataut ! L’article 14, dans ce pays qui est si viscéralement attaché à l’égalité et l’absence de discriminations ?…

E. P. : Le droit à un procès équitable. Il est à mon sens le tout premier, celui dont tout découle et qui garantit l'existence d'un État de droit dont l'actualité se charge de nous rappeler combien il est fragile.

 

 

Auteur :MBC


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