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Point de vue d’un avocat
Depuis plusieurs mois, les avocats semblent particulièrement en colère. Pourquoi ? Aurélie Soria, avocat, élue du syndicat des avocats de France au Conseil de l’ordre, répond à nos questions sur l’actualité de leur profession.
Êtes-vous favorable au développement de la convention participative ?
Il est peut-être utile de rappeler que cette convention est directement inspirée du droit collaboratif anglo-saxon. Cette procédure, instaurée par l’article 37 de la loi n° 2010-1609 du 22 décembre 2010 (V. notamment C. civ., art. 2062 s.), constitue une nouvelle forme de règlement amiable des litiges et consiste à la recherche d’une solution constructive dans une démarche de discussion entre les parties à un litige et leurs avocats.
Je suis convaincue que le recours aux modes alternatifs de règlement des litiges (conciliation, médiation, procédure collaborative) peut être un outil précieux au service des intérêts des justiciables, en particulier dans les litiges du quotidien dont les antagonistes sont amenés à rester en relation.
Il s’agit notamment des litiges familiaux concernant les gardes d’enfants, litiges prud’homaux concernant des salariés en poste, contentieux locatifs, ...
Cependant, ce recours aux modes alternatifs de règlement des litiges doit demeurer une alternative pour les justiciables et ne doit sous aucun prétexte être envisagé comme un moyen pour l’État de se désengager de ses obligations régaliennes, afin de réaliser des économies budgétaires conséquentes.
C’est la raison pour laquelle le Syndicat des avocats de France, considère que le développement de ces modes alternatifs ne saurait porter atteinte aux principes essentiels devant régir le service public de la justice : indépendance, égalité́ des parties et gratuité des procédures.
Je suis d’ailleurs opposée à ce qu’un préalable de conciliation soit imposé au justiciable lorsque les parties, dûment informées par leurs avocats, manifestent leur refus.
J’ai été amenée à assister, il y a peu de temps, à une audience devant la cour d’appel de Paris, en matière sociale. La Présidente nous a très vivement, et d’ailleurs magnifiquement, conseillé de prendre attache avec le médiateur ; elle a rendu un vibrant éloge à la conciliation en nous précisant que selon elle, jamais une décision rendue par un juge, nécessairement extérieur au litige initial, ne parviendrait à réparer les parties du « traumatisme » judiciaire.
Sa conviction et son humilité m’ont fait m’interroger.
Quelles sont les obligations déontologiques des avocats blogueurs ?
Il convient au préalable d’indiquer que la liberté d’expression de l’avocat est largement étendue pendant le procès ; nous bénéficions en effet de l’immunité de robe, dans la mesure où cette liberté d’expression s’exerce dans l’intérêt de notre client.
En revanche en dehors des prétoires, les propos tenus par un avocat sont évidemment soumis au droit commun, et l’avocat devra répondre de propos diffamatoire, injurieux…, comme citoyen.
Mais, l’avocat est également tenu de respecter, en toutes circonstances, les principes essentiels qui guident sa profession définis par l’article 1er du Règlement intérieur national, dont les principes de dignité, d’honneur, de délicatesse, de modération et de courtoisie, ainsi que le secret professionnel rappelé en son article 2.
Ainsi, l’avocat blogueur doit faire preuve d’une particulière vigilance, quant à ses dires et écrits.
En quoi consiste la réforme gouvernementale de l’aide juridictionnelle ?
Je ne sais pas si nous pouvons aujourd’hui parler de réforme de l’aide juridictionnelle.
La profession dans son entier s’accorde à dire que le Gouvernement n’a pas entrepris de réforme pérenne de l’aide juridictionnelle.
J’attendais d’un Gouvernement socialiste une remise à plat de ce système et la prise en compte des besoins des justiciables, de leurs accès au droit et des revendications des avocats qui travaillent dans des conditions extrêmement difficiles et précaires.
Je suis amenée en matière pénale à assister des prévenus ou des parties civiles dans le cadre de l’aide juridictionnelle (permanence de garde à vue, comparutions immédiates, …). Je le fais et je l’ai toujours fait, par militantisme mais aussi pour travailler. J’espère que je pourrais toujours consacrer du temps à la défense des plus démunis.
La majorité des confrères que je rencontre dans ce cadre là, ne calculent pas leurs heures de travail pour assurer la meilleure des défenses possible.
Défendre suppose, plus qu’une rétribution symbolique, une rémunération qui ne soit pas inférieure au coût de traitement du dossier, pour tous les dossiers. Il n’est donc pas acceptable que se retrouvent en difficulté économique les avocats qui acceptent volontairement et sans réserve de défendre les plus précaires. Cette prise en charge suppose au contraire de développer l’accès au droit, ce qui ne peut se faire sans une augmentation substantielle du budget de l’aide juridictionnelle.
La considération de notre travail passe aussi par une juste rémunération de nos heures passées. J’ai extrêmement mal vécu le fait que l’on tente de faire passer ces avocats pour des nantis, qui profitent du système. Il arrive que nous soyons payés moins de 10 euros par heure. Avec nos charges, cette situation n’est pas acceptable.
La défense des faibles, des pauvres, des subordonné-e-s, des soumis, ou des étranger-ère-s, n’est pas un acte de charité. Dans une démocratie, c’est un acte qui lui est essentiel : l’égalité des armes devant la justice.
La réforme du Gouvernement prévoyait également que les avocats participent au financement de l’aide juridictionnelle. C’est comme si on demandait aux médecins de régler une partie du déficit de la sécurité sociale. L’accès au droit de tous les justiciables doit être pris en charge par l’État, par la collectivité. Il est impératif aujourd’hui que nous trouvions tous ensemble, avec la Chancellerie, un financement pérenne de l’aide juridictionnelle. Les avocats, par l’intermédiaire de leurs représentants ordinaux ou syndicaux ont suggéré beaucoup de pistes et notamment l’instauration d’une taxe sur les mutations et actes soumis à droits d’enregistrement, ou encore la taxation des bénéfices des contrats de protection juridique, dont les bénéfices avoisinent près d’un milliard d’euros par an.
Selon vous, quels seraient les progrès à faire pour votre profession ?
Je reste très attachée aux problèmes soulevés par l’accès aux droits et par la défense des plus démunis, mais également par la mise en place de véritables outils de réinsertion.
Il ne faut pas oublier les conditions de détention qui sont inacceptables, pour notre pays.
Tant que la France ne se dotera pas d’un budget de la justice à la hauteur de ses besoins, nous ne pourrons plus nous revendiquer le pays des droits de l’homme.
Le questionnaire de Désiré Dalloz
Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ? Ou le pire ?
Ce n’est pas très difficile ; en 1993, lorsque j’ai été sectorisée à Assas, je ne pouvais pas imaginer qu’une université française accepte que des membres d’un groupement d’extrême-droite sévissent dans son enceinte. J’ai vu l’inimaginable, des saluts hitlériens, des personnes ramenés manu militari devant la faculté, des violences quotidiennes infligées à tous ceux qui refusaient leurs présences pestilentielles. Avec nos petits bras, nous avons obtenu la dissolution de ce groupement et le syndicat Unef-id a été majoritaire à Assas. Je vous assure, une petite révolution. Mon meilleur et mon pire souvenir.
Quel est votre héros de fiction préféré ?
Robin des Bois.
Quel est votre droit de l’homme préféré ?
C’est bien entendu l’article 1er de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789. « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune. »
Mais je reste persuadée que « l’utopie est la vérité demain ».
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