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Portrait : Fernand Derrida (1920-2009)
Parce qu’il faut fêter les professeurs, les maîtres, qui transforment nos esprits pour la vie, Dalloz actu étudiant a décidé de vous parler de celles et ceux qui ont marqué le droit. Nous poursuivons cette série de portraits par Fernand Derrida que nous raconte Alain Lienhard, rédacteur en chef du Recueil Dalloz.
Quelle a été la carrière du professeur Fernand Derrida ?
C’est un peu paradoxalement, pour celui qui, à mes yeux, restera le « pape des faillites », que l’événement le plus marquant de la vie de Fernand Derrida relève plus des soubresauts du tragique xxe siècle que des vicissitudes habituelles de la carrière d’un universitaire. C’est lui qui le répétait à l’envi : rien n’eût été pareil, s’il n’avait dû, comme tous les « pieds-noirs », quitter à la hâte et dans l’affliction son Algérie natale, et, plus particulièrement, la Faculté de droit de l’Université d’Alger, où, agrégé depuis 1956, il enseignait alors, en, compagnie d’autres futurs grands noms du droit, comme André Breton, d’abord son professeur.
Mais, en réalité, sa Faculté chérie, il ne la quitta jamais. Toujours présente dans son cœur, il ne s’en cachait pas, lui qui, un demi-siècle presque plus tard, signait encore ses commentaires d’un cinglant : « Agrégé des Facultés de droit, Professeur honoraire à la Faculté de droit de l'Université d'Alger ».
Il fit alors toute sa brillante carrière, de l’autre côté de la Méditerranée, à la Faculté de droit de Nice, au sein du CRAJEFE, jusqu’au début du xxie siècle, enseignant, bien sûr, le droit des procédures collectives, mais aussi le droit civil et d’autres disciplines, toujours à l’affût de l’argument « venu d’ailleurs » pour emporter les joutes doctrinales dont il était friand. Son empreinte y demeure toujours forte, la vigueur de son raisonnement se perpétuant à travers ses disciples formés à « l’école de Nice ».
Quelle est son œuvre ?
Toute l’œuvre de Fernand Derrida est consacrée aux procédures collectives, dont il a maîtrisé, dans les moindres nuances, les arcanes de tous les régimes successifs de l’après-guerre, du décret de 1955 aux lois de 1985, en passant par la loi de 1967, et jusqu’à la réforme de 2005, que, diminué déjà notamment sa vue déclinante, il a suivi dans les dernières années de sa vie.
Ses incisifs commentaires législatifs et jurisprudentiels (quasiment tous au Recueil Dalloz !) se comptent par centaines (317 de 1990 à 2004, et sans doute autant avant l’ère numérique, les premiers remontant au début des années 1960). Durant plusieurs décennies, Fernand Derrida a annoté, décrypté, souvent critiqué, vertement parfois, influencé régulièrement, quasiment tous les arrêts de la Cour de cassation en matière de « faillite ». Il est à l’origine des observations « brèves et réactives », formalisées à l’époque dans les « Sommaires commentés », en compagnie souvent de ses collègues niçois Jean-Pierre Sortais et Adrienne Honorat.
Son commentaire de la loi de 1985, « Redressement et liquidation judiciaires des entreprises » (signé des précités et de Pierre Godé), dont la dernière édition remonte à 1991, demeure aujourd’hui une source d’inspiration pour résoudre des questions nées de dispositions ultérieures.
Quels enseignements retenir de ce maître ?
Au-delà du potentiel que recèlent toujours ses écrits sur les grands concepts des procédures collectives, dont il montra tôt la portée (l’intérêt collectif, la saisie collective du patrimoine, l’égalité des créanciers, etc.), deux enseignements généraux peuvent être retenus de la méthode de Fernand Derrida.
D’abord, connaître parfaitement la matière technique et volatile du droit des entreprises en difficulté est nécessaire, mais pas suffisant. Encore faut-il, dans une vision horizontale des conflits de normes antagonistes, connaître les autres droits auxquels se confronte constamment ce dernier, aussi bien les droits communs (civil, commercial, pénal) que les autres droits spéciaux (immobilier, rural, etc.).
Ensuite, dans une vision verticale des conflits de primauté des normes, plus novatrice à l’époque, Fernand Derrida fut sans doute le premier, dans sa discipline, à comprendre comment la supériorité des principes issus de la Convention européenne des droits de l’homme pouvait « dynamiter » certaines solutions prétendument acquises du droit national.
Le questionnaire de Désiré Dalloz
Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ?
Octobre 1978, premier jour de ma première année à la Faculté de droit de Strasbourg, premiers mots du Doyen Alex Weill, pénétrant, à 7h56, par une porte latérale de l’amphi Carré de Malberg, revêtu de sa toge noire et rouge : « Nonobstant la pendule, le cours d’Introduction au droit commence ». Premier souvenir de mes études.
Quels sont votre héros et votre héroïne de fiction préférés ?
Le narrateur de la Recherche [Marcel Proust] / Aomamé, l’énigmatique héroïne de 1Q84 [Haruki Murakami].
Quel est votre droit de l’homme préféré ?
La liberté d’opinion.
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