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D. Chagnollaud de Sabouret

[ 6 octobre 2022 ] Imprimer

Portrait : Georges Vedel (1910-2002)

Parce qu’il faut fêter les professeurs, les maîtres qui marquent nos esprits pour la vie, Dalloz actu étudiant a décidé de vous parler de celles et ceux qui ont marqué le droit. Nous commençons cette série de portraits avec Georges Vedel que nous raconte l’éminent constitutionnaliste et politologue, Dominique Chagnollaud de Sabouret, auteur notamment du cours de Droit constitutionnel (Dalloz, 2021).

Quelle fut la carrière de George Vedel ?

Difficile de la résumer en quelques lignes. Disons qu’il fût d’abord le grand Doyen de la faculté de droit de Paris de 1962 à 1969, d’où son surnom pour les familiers « Le Doyen ». Ce grand universitaire était dans les années 1960-1970 considéré en France comme l’un des meilleurs publicistes français. Spécialiste unanimement reconnu du droit public au point aussi d’en devenir le « seigneur et maître », il était consulté dans toutes les « grandes affaires » en France ou à l’étranger. Il est probablement le seul universitaire nommé en tant que tel au Conseil constitutionnel. Valéry Giscard d’Estaing recherchait « le meilleur » en 1980. Puis, il a présidé la Commission chargée de proposer des réformes constitutionnelles en 1992, nommé par François Mitterrand. Il s’était vu confier au long de sa carrière toute une série de réflexions par les gouvernements successifs comme sur la Loi Falloux en 1993, sous la cohabitation, au point qu’un ami lui avait conseillé d’indiquer sur sa carte de visite « Doyen Georges Vedel, Président des Comités Vedel ».

Qu’a-t-il apporté au droit public et à nos institutions ?

Une réflexion essentielle sur les bases constitutionnelles du droit administratif, sur la légitimité du contrôle de constitutionnalité mais aussi sur les illusions de la supra-constitutionnalité, une grande influence sur certaines décisions du Conseil constitutionnel comme celle sur les nationalisations du 16 janvier 1982 et celle sur la Loi relative à l'enseignement supérieur du 20 janvier 1984. On lui doit aussi la création de la Cour de Justice de la République en 1993 et à la fin de sa vie, de façon plus contestable, son combat pour l’instauration du quinquennat.

Moins connu sont ses notes d’arrêt sous les décisions du Tribunal Suprême de Monaco dont j’ai été membre et qui faisaient autorité absolue. Il avait aussi contribué à la révision de la Constitution de la Principauté en 1962. Grand officier du Ouissam Alaouite, il était membre de l’Académie Royale du Maroc et avait participé avec Maurice Duverger, à plusieurs réformes de la Constitution marocaine. Hassan II l’appréciait tant que lors de son élection à l’Académie française, il lui avait fait remettre son épée — une ancienne épée de membre de l’Institut d’Égypte fondé par Bonaparte.

Quels souvenirs gardez-vous de lui ?

Une grande ouverture d’esprit doublée d’une immense gentillesse. Son verre de whisky et son cigare un peu avant le déjeuner étaient réconfortants. Nous étions en amitié à la fin de sa vie et avions même convenu d’un livre d’entretiens qui n’a pu voir le jour. C’était le temps béni ou les frontières entre le droit public, la science politique et même l’histoire n’étaient pas infranchissables comme ne le sont toujours pas aujourd’hui celles en droit privé et histoire du droit. Les grands universitaires comme lui, je pense par exemple à Eisenmann, Duverger, Burdeau, Prélot ou Capitant, les passaient aisément. Vedel était très hostile au mouvement de « juridicisation » du droit constitutionnel et plus largement d’asséchement du droit.

Comment prolonger ses enseignements ?

Comme disait un éminent publiciste anglais du milieu du xxe siècle, Sir Ivor Jennings, sorte de Vedel britannique, « pour être un bon juriste, il faut être un bon politiste », professer une conception ouverte du droit constitutionnel et entreprendre une participation rigoureuse et raisonnée au débat public.

Le questionnaire de Désiré Dalloz

Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ?

Lorsque j’étais l’étudiant en « DEA » d’études politiques (actuel M2) dirigé par Maurice Duverger — injustement oublié — dont je suis devenu le dernier assistant peu de temps après. C’était avec le doyen Vedel, un seigneur.

Quel est votre héros de fiction préféré ?

Edmond Dantès [A. Dumas, Le comte de Monte-Cristo]

Quel est votre droit de l’homme préféré ?

La liberté de conscience.

 

Auteur :Marina Brillié-Champaux


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