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Pour une Constitution de la terre
Et pourquoi ne pas parler en cette Semaine européenne du développement durable du livre paru en janvier dernier, Pour une Constitution pour la terre. L’humanité à la croisée des chemins ? Cet essai de Luigi Ferrajoli, éminent juriste italien, traduit par Philippe Audegean, professeur de philosophie à Sorbonne Université et Véronique Champeil-Desplats, professeure de droit public, vice-présidente aux affaires juridiques et institutionnelles (Université Paris-Nanterre), directrice de la Revue des droits de l'Homme, est très engagé.
Quel bilan de la situation de la vie sur la terre est établi par Luigi Ferrajoli ?
En s’appuyant sur la lecture de nombreux rapports scientifiques, d’organisations internationales et d’ONG, Luigi Ferrajoli reprend à son compte le bilan préoccupant, pour ne pas dire alarmant, de la situation des biens vitaux sur la terre. Comme invite éloquemment à le penser le sous-titre de l’ouvrage, Ferrajoli estime que la terre, et ceux et celles qui y vivent, sont à la croisée des chemins. Cette expression peut être comprise en différents sens. Le principal d’entre eux est que nous arrivons à un moment crucial et pivot de l’histoire de l’humanité où le niveau d’exploitation des biens vitaux, et des activités polluantes qui l’accompagnent, rendent crédible l’idée d’irréversibilité des dérèglements en tout genre produits et, donc d’impossibilité de remédier à leurs conséquences. La vie sur terre est donc confrontée à l’hypothèse sérieuse de sa propre finitude.
Dans quelle lignée philosophique s’inscrit ce juriste italien ?
Luigi Ferrajoli est un auteur très intéressant car lui aussi se situe à la croisée de plusieurs chemins, tout en présentant un profil type de juristes italiens du xxe siècle, à la fois théoriciens et praticiens — notre auteur a longtemps été magistrat —, férus d’analyse logique des discours juridiques et intellectuels engagés. C’est ce dernier profil qui prend le pas dans cet ouvrage traduit avec Philippe Audegean. Très solides bases juridiques et philosophiques à l’appui, Luigi Ferrajoli y développe une philosophie politique de type kantienne. Il ne s’agit pas seulement de nous dire que la vie sur terre va mal et que, si rien ne change, elle est promise à disparaître, mais de proposer un plan de sauvetage qui, entre autres, passe par le droit et, en l’occurrence, par la rédaction d’une constitution mondiale. Le droit s’impose donc dans cette perspective comme un instrument crédible d’encadrement et de contrôle des comportements individuels et collectifs ; il permet de régler pacifiquement les situations de conflit ou de circonscrire strictement les cas où l’usage de la force peut être légitime. Ce faisant, Luigi Ferrajoli s’inscrit aussi dans un vaste courant de pacifisme juridique où se retrouvent des juristes d’obédiences théoriques les plus diverses. Jusnaturalistes comme positivistes sont en effet depuis longtemps nombreux à être convaincus que la paix se fait au moyen du droit, pour reprendre le titre d’un article de Kelsen (“Peace through Law”, Journal of Legal an Political Sociology, vol. II, pp. 52-67, 1944).
Quelles garanties internationales pourraient empêcher les ravages causés par les inégalités sociales ?
Il n’existe pas de solution miracle. L’intérêt de Luigi Ferrajoli est qu’il invite à penser systémiquement les moyens de garantie des droits, en particulier la garantie des droits sociaux qui sont ceux plus spécifiquement dédiés à la lutte contre les inégalités sociales. L’auteur est en effet le principal artisan d’une théorie dite garantiste des droits, d’abord éprouvée dans le champ du droit pénal italien pour ensuite être étendue à de nombreux domaines juridiques. L’idée principale est d’envisager la garantie des droits à plusieurs niveaux complémentaires. Ferrajoli part d’une distinction fondamentale entre des garanties primaires consistant, pour aller à l’essentiel, à reconnaître les droits et libertés dans les ordres juridiques, et des garanties secondaires qui établissent des dispositifs permettant de lutter contre leurs violations mais surtout, concernant des droits sociaux, d’en assurer l’effectivité. Ces deux niveaux de garantie valent tant à l’échelle nationale que régionale ou internationale. Pour les articuler, dans la tradition du courant fédéraliste européen qui a été influent en Italie, Ferrajoli accorde une importance significative au principe de subsidiarité. Ce dernier conduit à définir l’agencement territorial des dispositifs de garantie le mieux adapté à chaque besoin social identifié et droit corrélatif l’exprimant. Au niveau international, Luigi Ferrajoli mise sur plusieurs dispositifs complémentaires, par exemple, des organisations internationales régulatrices des activités économiques et financières, des agences mondiales spécialisées dans la redistribution des biens et des richesses, des politiques fiscales taxant les activités les plus lucratives.
Comment pourrait-on protéger effectivement les biens vitaux comme l’eau potable, les vaccins et les médicaments et empêcher leur marchandisation ?
On retrouve ici quelques moyens qui viennent d’être évoqués. À un premier niveau, il est possible d’énoncer des interdictions de marchandisation des biens considérés comme vitaux, de leur conférer le statut de biens indisponibles sur le marché ou de décréter leur gratuité, etc. Toutefois, il n’est pas besoin d’être un grand ou une grande sceptique pour considérer que les déclarations de volonté, même dans des textes juridiques les plus solennels, sont rarement suffisantes pour assurer à elle seule l’effectivité des comportements souhaités. À un second niveau, il apparaît donc nécessaire de définir des mécanismes adéquats de sanction des violations des règles de protection des biens vitaux, d’incitation à ne pas violer ces règles ou de dissuasion de les violer. Nécessité apparaît aussi de se donner les moyens de produire hors marché les biens vitaux identifiés. Cela exige pour les vaccins et les médicaments, un financement satisfaisant de la recherche, des services publics de production et de distribution des biens en question. Dans le cas de l’eau potable, le défi présente une dimension supplémentaire puisqu’il ne s’agit pas seulement d’assurer la distribution d’un bien qui serait indéfiniment disponible mais aussi de faire en sorte que l’eau ne soit pas irréversiblement polluée pour pouvoir être traitée et consommable. Dans son ouvrage, Luigi Ferrajoli s’engage vers la piste d’agences mondiales spécialisées dans chacun des biens vitaux mentionnés, agences disposant de pouvoirs de sanction tout comme de définition des politiques mondiales relatives à leur production, protection et distribution.
Le questionnaire de Désiré Dalloz
Quel est votre meilleur souvenir d’étudiante ?
Le jour où j’ai su que j’en resterai toujours une.
Quels sont votre héros et votre héroïne de fiction préférés ?
Cela dépend des jours : James Bond, Colombo ou Emma Peel.
Quel est votre droit de l’Homme préféré ?
Permettez-moi d’en citer trois, étroitement liés : a) « la Nation garantit l'égal accès de l'enfant et de l'adulte à l'instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L'organisation de l'enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l'État », principes sans lesquels je n’aurais jamais été en situation de répondre à ce questionnaire ; b) La Loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. Tous les Citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents », parce que la chute est à la fois poétique et subversive ; c) « Le droit au repos et au loisir », pour toutes celles et tous ceux qui se sont battus pour nous l’offrir sans pouvoir en profiter.
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