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Pouvoir présidentiel et Covid
Il y a quatre ans… Des frissons nous viennent au souvenir du premier confinement de 2020 lié au Covid-19. Continuité indispensable des services hospitaliers, des services de l’État, des services des collectivités territoriales, régulation des produits de première nécessité, aléas des situations personnelles et professionnelles… Souvenirs hors de l’ordinaire. Et si la crise sanitaire révélait également le régime politique de la Ve République ? Thibault Desmoulins, docteur en droit de l’Université Paris-Panthéon-Assas, propose un essai critique du présidentialisme sous la Ve République tel qu’il ressort de l’étude constitutionnelle de la crise sanitaire
Comment le pouvoir exécutif de la Ve République a-t-il fonctionné pendant la crise sanitaire ?
L’Exécutif a d’abord été contraint d’« hyperfonctionner ». Pour rester efficace durant la pandémie, on admet que les décisions doivent être prises plus rapidement qu’en temps normal, d’une part et, d’autre part, qu’elles doivent prendre en compte des circonstances spéciales — des données épidémiques et des avis médicaux. La solution pour garantir cette efficacité fut en réalité assez ordinaire au regard de la pratique constitutionnelle depuis 1958 : les institutions tendent à permettre l’intervention du chef de l'Etat, et la crise sanitaire offre ainsi la preuve par l’image d’un présidentialisme qui s’exprime de manière plus visible qu’en temps normal. Dans cette perspective, on peut très bien n’être ni surpris ni ému par le « présidentialisme de crise » que d’autres évènements ont déjà permis, a priori, d’illustrer (en 1968 ou en 2015 par exemple). Mais ce n’est pas tout.
On peut aussi considérer que l’Exécutif a « dysfonctionné » pour deux principales raisons, qui singularisent la crise sanitaire dans l’histoire du présidentialisme. En premier lieu, les décisions gouvernementales n’ont pas seulement été « captées » (A. Le Dillevec) au plan politique, en lui permettant de trancher et d’avoir le dernier mot — ce qui traduit sans doute, habituellement, son rôle d’arbitre (Const., art. 5). Elles ont surtout été concentrées, c’est-à-dire adoptées en court-circuitant les organes existants, qu’ils soient sanitaires ou gouvernementaux. En d’autres termes, les décisions présidentielles se sont moins superposées qu’imposées ou substituées à des procédures ordinaires. En second lieu, on a assisté à une réorganisation de l’Exécutif et à des innovations juridiques très visibles : un état d’urgence sanitaire, un conseil de défense sanitaire, un conseil scientifique, etc. Tout s’est donc passé comme si une pratique politique devait être juridiquement consacrée et traduite par de nouveaux dispositifs.
Comment le pouvoir législatif est intervenu durant l’état d’urgence sanitaire ?
De manière ponctuelle, son rôle fut normatif (Const., art. 34) puisqu’il lui revenait, tout d’abord, d’adopter la loi relative à l’état d’urgence sanitaire et d’autoriser, ensuite, la prolongation de l’état d’urgence ainsi que la prorogation des dispositions provisoirement codifiées. Une mission difficile compte tenu du poids de l’urgence sur les délibérations et les débats et de l'incertitude entourant les informations et les avis médicaux. Le Parlement français est cependant parvenu à rester efficace dans cette mission puisque les prolongations de l’état d’urgence furent bien autorisées – quoique le législateur soit encore intervenu après l’état d’urgence afin de pérenniser certaines dispositions.
En revanche, et surtout, le Parlement était censé intervenir de manière continuelle pour contrôler l’action du gouvernement, lequel demeure responsable devant lui en toutes circonstances (Const., art. 24), grâce aux missions de suivi et d’évaluation, aux commissions d’enquêtes et aux questions adressées au Gouvernement. Ce sont pourtant ces interventions qui ont manqué d'efficacité. D’une part, la modification des processus décisionnels a entraîné une différenciation des organes décideurs (surtout présidentiels) et de ceux responsables (ministériels). D’autre part, l’exercice du contrôle parlementaire en missions et en commissions fut restreint par l’absence d’informations ou le manque de transparence voire de publicité des décisions. De dernière part, l’Exécutif a entrepris d’organiser lui-même une « mission indépendante » d’évaluation et une communication autonome ne pouvant que concurrencer le contrôle parlementaire. Il en résulte que le Parlement, sans être absent, n’a pas exercé la plénitude de sa mission de contrôle.
Quel constat sur l’équilibre des institutions en faites-vous ?
Une consolidation juridique du déséquilibre, initialement politique, que constitue le présidentialisme sous la Ve République, ce qui s’avère problématique à deux égards.
D’un côté, si la pratique présidentielle peut être considérée comme compatible avec la Constitution et s’avérer utile afin de surmonter les circonstances d’une crise, elle n’en demeure pas moins un « déplacement » du centre de gravité parlementaire prévu tant par les bases (L. 3 juin 1958) que par le texte constitutionnel (Const. 4 oct. 1958). Plus encore, ce déséquilibre résulte d’un « glissement », car les dispositions qui fondent et étendent l’exercice du pouvoir présidentiel sont les plus nombreuses en dehors et en dessous de la constitution (lois de programmation, lois ordinaires, décrets surtout). Il s’agit d’un phénomène anormal si l’on considère qu’il revient aux normes constitutionnelles de fixer la séparation et l’équilibre des pouvoirs (DDHC, art. 16) et si l’on se souvient que, sous la IIIe République déjà, le « parlementarisme absolu » résultait, outre les lois constitutionnelles de 1875, des lois ordinaires et des règlements parlementaires eux-mêmes. À l’exact inverse aujourd’hui, ce sont les fonctions parlementaires qui s’avèrent amoindries.
D’un autre côté, l’institutionnalisation du présidentialisme se trouve renforcée par les crises sans pour autant disparaître avec elles. Au xxe siècle déjà, les crises laissaient derrière elles des « sédiments » de « pollution juridique » (R. Drago), c’est-à-dire des dispositions en vigueur au-delà de l’urgence. Désormais, les organes et les services présidentiels se multiplient, se maintiennent et contribuent à une réorganisation régulière de l’Exécutif au profit du chef de l’État. Entre autres exemples, on assiste notamment à la création de nouveaux conseils élyséens, à la ratification régulière de décisions présidentielles par la loi, ainsi qu’à l’utilisation de lois de programmation et d’orientation soutenues par le pouvoir réglementaire. Or, les déséquilibres provoqués par les crises ne devraient pas être l’occasion de réformes durables, que ce soit au sein de l’Exécutif ou à l’intérieur du domaine des lois.
Quelle leçon théorique en tirer pour l’étude du droit constitutionnel ?
La crise sanitaire a confirmé que le texte constitutionnel ne suffit pas à diriger l’action de l’État, ni à permettre de la contrôler ou de la comprendre à lui seul. L’étude du droit constitutionnel nécessite donc une approche institutionnelle, intégrant la pratique et les données du politique, ainsi que les dispositions infra-constitutionnelles qui ont pour objet ou pour effet de modifier l’exercice des fonctions étatiques. Il en résulte, plus encore, que le droit constitutionnel ne peut se réduire à un travail exégétique ou à une application juridictionnelle. La croissance du pouvoir présidentiel s’avère favorisée, précisément, par ces deux conceptions. Au contraire, s’il est un droit politique, le droit constitutionnel nécessite de redresser le regard vers les fonctions parlementaires et d’en revaloriser la place au sein des institutions.
Le questionnaire de Désiré Dalloz
Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ?
Sans doute celui qui peut aussi sembler être le dernier en tant qu’étudiant : il s’agit de ma soutenance de thèse de doctorat, le 12 juin 2018, à l’Université Paris-Panthéon-Assas. Elle marquait l’aboutissement d’un travail important, mais aussi et surtout le début d’un engagement dans la recherche et l’enseignement. Néanmoins, même après la thèse, la recherche scientifique fait encore de nous des « étudiants » !
Quels sont votre héros ou votre héroïne de fiction préféré ?
Un héros : le Prince de Salina, qui apparaît dans « Le Guépard » de Visconti, non seulement en raison du film tout entier, mais aussi parce que ce personnage sait qu’il est dépassé par l’Histoire et par des changements qu’il s’efforce de méditer et de saisir au moment même où ils se déroulent.
Quel est votre droit de l’homme préféré ?
La liberté d’opinion (DDHC, art. 10), qui me semble être la condition à la fois philosophique, historique et juridique de réalisation de tous les autres droits et libertés fondamentaux. Elle est d’autant plus précieuse qu’elle conditionne la résolution démocratique de toute question politique, sociale, économique, à condition bien sûr d’accepter la responsabilité de forger et de polir sans cesse sa propre opinion.
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