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Profession : Magistrat du parquet et représentant syndical
S'orienter, étudier, passer des concours, suivre des stages, découvrir un métier, décrocher un contrat... Autant d'étapes importantes qui soulèvent, pour chaque étudiant, un foisonnement de questions. Afin de démêler les réalités des idées reçues, Dalloz Actu Étudiant a décidé de décrypter régulièrement les spécificités d'un métier du droit à partir du témoignage d'un professionnel.
La magistrature offre une large perspective de métiers, y compris en administration centrale et au sein de syndicats. Alors parquetier à la juridiction interrégionale spécialisée (JIRS) de Lille, Vincent Charmoillaux a décidé de consacrer davantage de temps à son activité militante auprès du syndicat de la magistrature (SM). De début 2018 au 1er janvier 2020, il a exercé en tant que secrétaire général du syndicat, avec quelques heures par mois dans sa juridiction
Quelles études avez-vous suivies ?
J'ai obtenu un Bac S en 1997 à Montbéliard, petite ville industrielle en crise, avec très vite l'idée que mon avenir ne serait pas scientifique. Je suis arrivé à l'IEP de Lyon sans savoir ce que je voulais faire plus tard. Ce sont des études intéressantes qui ouvrent beaucoup de portes dans des domaines assez larges. A la fin de ma scolarité – de trois ans à l'époque -, des magistrats nous ont expliqué qu'il était possible d'accéder à cette profession après un IEP. Vers vingt ans, je suis ainsi arrivé à la conviction que c'était ce que je voulais faire. J'ai fait une préparation à l'IEP pour intégrer l'ENM. J'ai raté le concours et je l'ai obtenu la seconde fois. C'étaient les dernières années avec des grosses promotions de 250 élèves. Je suis entré à l'ENM en 2003 avec l'ambition de devenir civiliste. Je me voyais juge d'instance, le pénal ne m'intéressait pas sur le papier. C'est en stage en juridiction que j'ai découvert le pénal de manière concrète. La logique de l'enquête, la personnalisation des peines, les débats autour de la réinsertion, de l'humain, m'ont porté vers cette matière sur le tard.
Et ensuite, quel a été votre parcours professionnel ?
Mon premier poste a été juge d'instruction à Reims en 2005, pendant trois ans. Du point de vue de l'ENM ça semblait vraiment très procédurier, en réalité c'est beaucoup plus que cela. A 26 ans, j'étais jeune juge d'instruction en pleine affaire Outreau. C'était l'époque de la commission d'enquête parlementaire. L'institution a dû réfléchir sur elle-même ce qui a probablement été une bonne chose. En septembre 2008, j'ai pris les mêmes fonctions à Dijon. Ce n'était pas mon obsession, j'envisageais volontiers un changement de fonction. J'y suis néanmoins resté jusqu'en 2013. Là j'ai eu besoin de voir et faire autre chose. Je suis devenu vice-procureur à Lille : nouvelle fonction donc mais aussi nouveau contentieux – l'exécution des peines -, nouvelle taille de juridiction, nouveau territoire. Cela a été une découverte passionnante. Puis je suis devenu chef de la section financière et j'ai ensuite été affecté au parquet de la juridiction interrégionale spécialisée (JIRS) de Lille. J'avais en charge des procédures financières de grande complexité. C'était juste avant de commencer mon mandat syndical de secrétaire général du Syndicat de la magistrature (SM). Avec ce mandat, j’ai exercé en juridiction à 10% soit deux jours par mois, surtout des réquisitoires définitifs en fin d'instruction. J’ai repris mes fonctions en juridiction à plein temps depuis le 1er janvier 2020.
Pourquoi avoir choisi de vous syndiquer ? En quoi consistent vos missions syndicales ?
C'est une exigence sur ce que doit être la justice et sur nous-mêmes. Nous revendiquons une justice égale pour tous, de qualité, ouverte sur la société, qui prend le temps de prendre les bonnes décisions. Mon engagement syndical remonte à mon entrée dans la magistrature, il reflète ma volonté d'agir en ce sens et de contribuer avec d'autres à rendre la justice meilleure. Ce que nous faisons ici au Syndicat de la magistrature est très diversifié. Il y a un aspect très institutionnel. Nous portons notre voix auprès de la Chancellerie, nous participons aux concertations, donnons des avis sur les propositions législatives en cours et sommes aussi entendus par des parlementaires qui souhaitent connaître notre avis en vue de l'élaboration d'un texte. Nous assumons un point de vue militant sur ce que doit être le rôle de la justice. Nous nous attelons aussi à défendre des points techniquement précis à un niveau d'expertise le plus élevé possible. Cela nécessite de se mettre à niveau. Par ailleurs nous avons un rôle de défense des collègues qui rencontrent des difficultés dans leur juridiction. Enfin nous avons des relations avec la presse pour défendre nos propositions et nos valeurs. Nous faisons des communiqués de presse, participons à des colloques, répondons à des interviews.
Pouvez-vous nous décrire votre semaine lorsque vous étiez secrétaire général ?
Par exemple sur une semaine, j'ai réalisé un travail de préparation et de rédaction sur la question des actions de groupe. J'ai été entendu dans le cadre d'une mission d'information parlementaire sur l'immunité parlementaire, j'ai été en lien avec des collègues qui éprouvent des difficultés dans leur juridiction. J'ai participé à une réunion avec des syndicats de greffiers au ministère de la justice pour évoquer la mise en œuvre de la loi de programmation pour la justice du 23 mars 2019. Par ailleurs, nous déménageons nos locaux ce qui implique également beaucoup de choses concrètes à faire. J'ai également participé à des réunions avec les autres membres du syndicat (6 membres en tout). Le travail collectif est important et nous passons beaucoup de temps à débattre et nous relire entre nous. Nous travaillons aussi sur notre rapport d'activités. J'ai préparé mon intervention dans un colloque sur le droit de manifester et j'ai un peu travaillé pour le parquet de Lille. En somme, l'intensité de travail est assez équivalente à ce qu'elle est en juridiction mais plus irrégulière.
Vous êtes par ailleurs parquetier. En quoi cela consiste ?
Le magistrat du parquet exerce les poursuites devant les juridictions pénales et représente l'intérêt de la société. Il est destinataire des affaires et enquêtes traitées par la police. Il a un rôle de gardien des libertés c'est-à-dire qu'il peut ordonner la levée d'une garde à vue, décider de poursuivre ou non une enquête devant les tribunaux ou décider des mesures intermédiaires comme les mesures de poursuite simplifiées ou alternatives. En ce qui concerne les poursuites classiques, il renvoie directement devant le tribunal ou ouvre une information judiciaire s'il estime que l'affaire est plus grave ou plus complexe. Dans la phase de jugement, il va devant le tribunal pour défendre la société. Il n'est pas le représentant de l'accusation même s'il soutient le plus souvent l'accusation. Notamment, il peut estimer que le dossier ne tient pas et demander la relaxe.
Désormais le taux de féminisation dépasse les 60% de la profession. Que pensez-vous de la politique de retour à la mixité lancée par la Chancellerie avec l'ENM ?
Je suis assez réservé. Pendant très longtemps, la profession a été très masculine, sans susciter de débat particulier. Plutôt que de cibler cette féminisation comme étant un problème, il serait intéressant de se demander pourquoi les hommes ne se dirigent plus vers ces filières. Peut-être que le métier renvoie une image de stabilité et de revenus confortables qui vont rassurer les étudiantes, les garçons se dirigeant plus vers des professions comportant plus d'aléas mais davantage de perspectives de progression. Aussi, je ne parlerais pas de sur-féminisation mais de sous-candidature des hommes. La magistrature reste un métier très homogène socialement : issue de la classe moyenne supérieure intellectuelle et je n'ai pas l'impression que cela suscite autant de débats. La question de la mixité sociale se pose davantage selon moi. Et une manière de la renforcer serait d'ouvrir plus de places au deuxième concours qui recrute des candidats avec de l'ancienneté dans la fonction publique car cela permet d'intégrer des profils divers, issus de différents milieux par rapport au premier concours qui intervient après l'obtention d'un Master, pour des personnes qui ont la capacité de consacrer un an de leur vie à se préparer sans garantie de résultat. Ce sont des études longues et tout le monde ne peut pas se le permettre dans la France d'aujourd'hui.
Questionnaire de Désiré Dalloz
Quels sont votre pire et votre meilleur souvenirs d'étudiant ?
Le pire c'est le sentiment d'illégitimité et d'imposture ressenti au début de mes études. J'étais un brave lycéen de Montbéliard, premier de classe, qui débarquait dans la grande ville, à Lyon, en IEP, et j'ai découvert un monde social nouveau, des gens érudits, faces auxquels je me suis senti tout petit, en déficit de capital culturel. J'ai fini par trouver ma place en me rendant compte que je n'étais pas le seul à ressentir cela et à force de travail, de temps. Rétrospectivement je trouve que c'est sain d'interroger sa place plutôt que de penser que tout vous est dû.
Le meilleur souvenir concerne les études en elles-mêmes. L'IEP offrait une ouverture fascinante sur le monde avec des débats sans fins. C'était naturel et ludique de discuter de tout ce qu'on venait d'apprendre. Nous avions une soif de comprendre le monde et il y avait un certain vertige à acquérir les clés économiques, sociales, juridiques pour cet éveil.
Quel est votre héros de fiction préféré ?
Je n'aime pas les héros. Je préfère les personnages secondaires. A mon sens, ce sont eux les héros, ceux qui racontent l'importance d'une œuvre. A ce titre, j'aime particulièrement la série The Wire de David Simon. Elle offre une galerie de personnages secondaires incroyables et très peu de personnages principaux. C'est à mon sens la série la plus riche qui existe sur le monde pénal. Elle démontre à quel point on ne peut pas réduire une personne à une fonction ou à un acte, ni faire rentrer les gens dans des cases. Toute l'ambiguïté non manichéenne de la société telle que nous l'observons en tant que praticiens pénalistes est retranscrite ici.
Quel est votre droit de l'homme préféré ?
Le triptyque liberté d'association, syndicale, et de réunion. Avec l'idée qu'il ne faut pas enfermer les droits de l'homme dans une logique individuelle. Il y a des situations dans lesquelles un individu seul ne peut rien. Il est souvent impuissant dans la conquête et la défense des droits de l'homme. La plupart des droits de l'homme sont des conquêtes collectives. Dans ce sens, ces libertés-là sont les outils d'une définition des autres libertés.
Carte d'identité du secrétaire général de syndicat
En France, il existe deux principaux syndicats de magistrats : le Syndicat de la magistrature (SM), créé en 1968, et l'Union syndicale des magistrats (USM) qui remplace en 1974 l'Union fédérale des magistrats, fondée quant à elle en 1945. Grâce à eux notamment, les magistrats peuvent exercer les droits d'expression, de grève, d'affichage, de réunion. Ils défendent l'indépendance de la magistrature, les intérêts des magistrats, une certaine image de la magistrature et sont les interlocuteurs des pouvoirs publics sur les grandes réformes de l'institution judiciaire.
■ les chiffres (statistiques ministère de la justice)
- 8313 magistrats de l'ordre judiciaire était en poste au 1er avril 2017 selon Infostat d'avril 2018.
- 66% d'entre eux étaient alors des femmes. Parmi les 30-34 ans, les femmes représentent 71% de la profession.
- l'âge médian des femmes magistrates est de 46 ans contre 51,5 ans pour les hommes.
- 7 magistrats sur 10 sont issus du concours externe.
- Près de la moitié des magistrats de moins de 30 ans qui sortent de l'ENM sont affectés à des postes au parquet.
- un quatre des magistrats âgés de moins de 35 ans exercent dans des cours d'appel du Nord et du centre de la France.
- Pour 100000 habitants, il existe en France 7,6 magistrats pour la Cour d'appel de Poitiers, 17,3 pour la Cour d'appel de Bastia, 16,7 pour la Cour d'appel de Paris.
- En moyenne, les magistrats occupent leur poste 2,9 ans.
■ la formation et les conditions d'accès
Il existe plusieurs voies d'accès la profession de magistrats qui passent toutes par l'Ecole nationale de la magistrature (ENM), à Bordeaux, pour une formation initiale de 31 mois. Tout d'abord le premier concours pour les titulaires d'un diplôme de niveau Bac+4, âgés de 31 ans maximum. Le deuxième concours est ouvert aux fonctionnaires d'Etat âgés de 48 ans et 5 mois maximum, avec quatre années de service public. Le troisième concours est ouvert à des candidats âgés de 40 ans maximum et justifiant de huit ans d'exercice dans le secteur privé. Il n'est pas possible de présenter plus de trois fois chacun des concours de l'ENM.
■ les domaines d'intervention
Toutes les matières du droit.
■ le salaire
En début de carrière, un magistrat perçoit 2678 € net/mois. Cette rémunération évolue avec la carrière : elle atteint 3662€ à partir de la 6e année d’activité et 6577 € pour un magistrat cumulant plus de 19 années en poste.
■ les qualités requises
Réactivité, éthique, probité, rigueur, capacité d'écoute, intuition, mémoire, pragmatisme, pluridisciplinarité, engagement, pédagogie.
■ les règles professionnelles
Le magistrat est en particulier tenu à l'indépendance, l'impartialité, l'intégrité, la légalité, l'attention à autrui, la discrétion et la réserve. Ils ne peuvent exercer la plupart des mandats politiques et ne peuvent critiquer la forme républicaine du Gouvernement.
En 2010, le Conseil supérieur de la magistrature a publié un Recueil des obligations déontologiques des magistrats (éd. Dalloz, 2010), version révisée en janvier 2019, à l'attention des citoyens.
■ sites Internet :
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