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Proposition de Code du travail
« Le droit du travail en est à un stade tel que nul ne peut le connaître, alors que chacun est tenu de le respecter. » Partant de ce constat terrible, le groupe de recherche pour un autre code du travail (GR – PACT), composé d’universitaires répartis sur tout le territoire, fait paraître, chez Dalloz une Proposition de code du travail. Emmanuel Dockès, professeur à l’Université Paris Ouest Nanterre, directeur de l’ouvrage, a bien voulu répondre à nos questions.
Quelles sont les spécificités formelle et spirituelle de votre proposition ?
Notre proposition divise par quatre, en volume, le texte qu’elle remplace. Elle compte 1390 articles et environ 370 000 caractères, soit guère plus de volume que la seule loi « travail » du 8 août 2016.
Elle n’est pas à droit constant. On ne simplifie pas un gigantesque millefeuille de règles plus ou moins régressives en conservant ces règles. Notre projet propose de profondes réformes, dans tous les domaines du droit du travail.
Les membres du GR-PACT sont d’opinions diverses, mais tous partagent une certaine idée de la loi, en droit du travail. L’idée a été de simplifier, mais aussi de consolider un droit du travail bien abîmé par trente de réformes chaotiques et complexes. Face aux défis du temps, nous avons tenté de faire preuve d’imagination et de proposer quelques solutions innovantes.
Avez-vous quelques exemples des mesures que vous proposez ?
Nous proposons ainsi de rétablir largement le principe de faveur. L’adaptation de la loi par convention collective n’est admise qu’à titre exceptionnel, sous conditions de contreparties claires et prédéfinies par la loi. Une convention d’entreprise ne peut plus déroger à une convention collective de branche, sauf si celle-ci le prévoit expressément. Et les avantages négociés dans les contrats individuels de travail ne peuvent plus être réduits sans l’accord du salarié, même par convention collective.
Nous proposons aussi, notamment :
- d’étendre le champ d’application du code du travail aux travailleurs dépendants mais non subordonnés, afin d’intégrer les nouvelles formes d’emploi, autonome quoiqu’en situation de faiblesse, dans le droit du travail ;
- d’annuler les licenciements injustifiés afin d’éviter que les grandes entreprises ne puissent s’acheter, pour un prix raisonnable, le droit de licencier sans aucune justification, pour des raisons boursières ou pour remplacer les plus vieux par des plus jeunes ;
- de protéger le temps libre, afin que les salariés ne puissent plus, comme aujourd’hui, être avertis de leur emploi du temps quelques jours seulement à l’avance, parfois du jour au lendemain. Faute de pouvoir anticiper quoique ce soit, ils doivent se tenir constamment à la disposition de leur employeur. Il nous a semblé qu’au contraire, chacun doit pouvoir anticiper sur le temps, ne serait-ce que pour pouvoir organiser sa vie familiale, sociale, amicale, associative, militantes… Ces vies-là aussi sont cruciales pour la société et elles méritent protection. Nous créons ainsi une sorte de « droit à l’agenda », pour tous.
Quelle est la relation entre le code du travail et l’emploi ?
Gérard Lyon-Caen citait l’adage « on ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif », pour dire qu’il est vain de faire des cadeaux aux entrepreneurs qui embauchent en abaissant les protections du droit du travail. Si le besoin de travail n’existe pas, ils n’embauchent pas. L’idée est simple et démontrée : l’OCDE n’a jamais constaté aucune corrélation entre les niveaux de protections du droit du travail et le niveau emploi.
En revanche, la destruction des protections a bien un effet, direct, celui de l’abaissement des plus faibles. On peut constater cet effet chez certains de nos voisins. Il suffit de regarder de l’autre côté de la Manche pour découvrir des personnes qui travaillent pour des salaires inférieurs à notre RSA. Cette paupérisation rend peut-être solvable quelques emplois, mais elle est aussi la cause d’une diminution du pouvoir d’achat, de la demande, et donc des emplois…
La précarisation des travailleurs ne crée pas plus d’emploi. Qu’une certaine protection de l’emploi puisse faire peur à certains employeurs lorsqu’ils envisagent une embauche est possible… Mais cette crainte d’embaucher ne fait pas disparaître le besoin de travail. Et il suffit d’un entrepreneur plus entreprenant, plus courageux que les autres, pour que les besoins soient comblés et que l’embauche soit faite. Les frileux existent… mais ils ne freinent pas l’emploi. Ils laissent le soin de le créer à ceux qui, moins craintifs ou mieux renseignés sur le caractère très relatif des protections actuelles de l’emploi, choisissent le développement.
Le questionnaire de Désiré Dalloz
Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ? Ou le pire ?
Le meilleur et le pire : avec l’association Incidences, la lutte (hélas assez vaine) que nous livrions contre les groupuscules d’extrême droite qui menaient le haut du pavé, à l’époque, à l’Université Lyon 3.
Quel est votre héros de fiction préféré ?
Kemlo Ceasar, le chien des Top 10 d’Alan Moore.
Quel est votre droit de l’homme préféré ?
L’affirmation du « libres et égaux » de l’article premier de la Déclaration de 1789, parce qu’elle est la racine … ou bien encore : le droit à la résistance à l’oppression de l’article 2 de la Déclaration de 1789, parce qu’il incite à lutter pour défendre et renforcer cette liberté et cette égalité qui s’effritent, dans notre époque encline à l’autoritarisme et à la xénophobie.
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