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Crédit photo : Lenaïck Lagre
Quand le droit rencontre les mésanges
Un nid de mésanges bleues. Dans un chêne menacé d’abattage. La liste des oiseaux protégés sur l'ensemble du territoire et les modalités de leur protection. Dans un arrêté de 2009. Maxime Zucca, écologue et ornithologue, a bien voulu répondre à nos questions sur le dispositif juridique provisoire concernant le bois de la Crémade à Saïx, dans le Tarn.
Quelle est la période de nidification des mésanges ?
Les Mésanges bleues débutent leur nidification au mois de mars, au sens où elles construisent leur nid à cette période et peuvent déjà pondre à la fin du mois. Mais elles sont déjà dans leur phase de reproduction depuis le mois de février : c’est à cette période qu’elles se mettent à chanter, défendent leur territoire, reforment leur couple qui a souvent été séparé pendant l’hiver, ou recherchent un nouveau partenaire si elles sont nées l’année passée ou si le partenaire est mort. Les premiers jeunes s’envolent généralement fin avril / début mai (la phase d’incubation des œufs et d’élevage des poussins dure environ un mois). Ensuite, la Mésange bleue va chercher une nouvelle cavité où faire son nid et enchaîner sur une deuxième nichée, avec de nouveau 4 à 6 jeunes à l’envol en moyenne. Certaines (rares) en font même trois.
Que dit l’arrêté du 29 octobre 2009 ?
Le premier arrêté de protection des oiseaux remonte en réalité en 1981, il a été mis à jour (et par conséquent abrogé) en 2009. Il est important de comprendre l’esprit de cet arrêté, qui vise à appliquer la loi de protection de la nature de 1976, visant à mettre fin à la destruction systématique des oiseaux par la chasse, notamment les rapaces et les hérons, menés parfois au bord de l’extinction. Ainsi, cette loi a conduit à la protection de tous les oiseaux à l’exception des espèces dites « gibier » (64, tout de même), y compris les espèces occasionnelles, même celles qui n’ont été observées qu’une seule fois sur le territoire. La Mésange bleue, bien qu’elle soit très commune, est donc protégée, comme l’Hirondelle rustique ou même le Moineau domestique (mais pas le Merle noir, qui est une espèce chassable).
Cela étant précisé, l’arrêté protège non seulement les spécimens, mais également leurs œufs et leurs nids, d’une destruction ou d’une perturbation intentionnelle. Cela signifie que lorsqu’une espèce d’oiseau protégée entre en collision avec une voiture, le conducteur ne saurait être rendu coupable, du fait de la non-intentionnalité. Signalons que la notion de « spécimens » inclut les parties du spécimen, c’est-à-dire, les plumes — ce qui est assez incongru car une plume trouvée au sol ne saurait porter le moindre préjudice à l’oiseau (qui renouvelle chaque plume une à deux par an).
Point important, l’arrêté protège également l’altération, la destruction ou la dégradation des sites de nidification et des aires de repos, si elles sont de nature à remettre en cause le bon déroulement du cycle biologique de l’espèce.
Enfin, l’arrêté interdit le transport, la naturalisation et toute forme de commerce de ces espèces.
Comment les effets conjugués du nid et de l’arrêté ont été activés pour éviter la destruction du bois ?
Le projet d’Autoroute A69 a fait l’objet d’une demande de dérogation au titre de la protection stricte des espèces par ATOSCA [société de concession spécialement dédiée à cette autoroute], entre autres procédures environnementales nécessaires. Une telle dérogation est encadrée par l’article L. 411-2 du Code de l’environnement et doit remplir trois conditions d’octroi. Par ailleurs, une telle demande de dérogation s’inscrit dans le cadre du principe d’action préventive et de correction, par priorité à la source, des atteintes à l’environnement (C. envir., art. L. 110-1). Celui-ci implique qu’il faut d'éviter les atteintes à la biodiversité et aux services qu'elle fournit ; à défaut, d’en réduire la portée ; enfin, en dernier lieu, de compenser les atteintes qui n'ont pu être évitées ni réduites, en tenant compte des espèces, des habitats naturels et des fonctions écologiques affectées.
Un dossier de demande de dérogation, comme une étude d’impact environnemental, doit donc présenter la manière dont le principe d’action préventive est respecté à travers la mise en œuvre de la séquence dite « ERC », pour « éviter, réduire, compenser ». La bonne mise en œuvre de cette séquence est vérifiée par les services instructeurs de l’État et les organes consultatifs tels que l’autorité environnementale et le Conseil national de protection de la nature. En dernier lieu, si les trois conditions d’octroi sont réunies et que la séquence ERC permet d’atteindre l’objectif d’absence de perte nette de biodiversité prévu par l’article L. 110-1, alors le projet peut être autorisé, avec le sésame de la dérogation en poche.
Parmi les mesures de réduction qui étaient prévues dans le cadre du chantier de l’A69, figuraient des mesures visant à ne pas effectuer les travaux en période sensible pour la faune – décliné selon différentes typologies d’enjeu. Pour les parcelles à enjeu fort, les travaux de défrichement ne peuvent être mis en œuvre qu’entre le 1er septembre et le 15 novembre : une période à laquelle les risques de couper des arbres abritant des chauves-souris en hibernation sont nuls (le risque est en hiver), et à laquelle la reproduction des oiseaux n’a pas lieu (elle a lieu de mars à août). Pour des zones sans enjeu à chauves-souris, les mesures de réduction permettent également un défrichement hivernal. Ce dernier a été poussé jusqu’au 30 mars dans les mesures de réduction, ce qui est une date beaucoup trop tardive, car la nidification des oiseaux a déjà commencé. Mais pour éviter cet écueil, l’arrêté préfectoral précise, à travers la mise en place de cette mesure de réduction le point suivant : « si identification de nids d’oiseaux, alors abattage des arbres repoussé ».
Or il s’est passé plusieurs choses sur la parcelle de la Crémade, qui était occupée par des opposants depuis le 12 novembre. En février, ATOSCA a demandé au Préfet de déclasser la parcelle en « enjeu moyen », alors qu’elle était en « enjeu fort » lors de la cartographie établie pour l’étude d’impact environnemental, pour ne pas avoir à attendre le mois de septembre pour la défricher. Pour cette raison, elle a mandaté en urgence un bureau d’étude, Ecosphère, qui a accepté de se rendre sur le site. Les résultats de cette investigation n’ont pas été communiqués. Tout cela dans un contexte très tendu, avec des opposants installés dans les arbres, des gaz lacrymos en permanence, la police qui bloque les ravitaillements et les empêche de dormir pour les épuiser.
Ayant découvert dans les annexes de l’arrêté préfectoral cette interdiction d’abattage des arbres en cas de nids d’oiseaux, les Naturalistes des terres ont suggéré aux occupants (les « écureuils ») de documenter s’ils le pouvaient d’éventuelles nidifications en cours. Et très rapidement, l’une des écureuils a pu photographier, filmer et authentifier une Mésange bleue en train de construire son nid. Cela a conduit à un dépôt de plainte de la part d’associations d’opposants au projet d’autoroute, à un passage de l’Office français de la biodiversité sur le site qui a constaté lui-même la présence d’autres oiseaux avec des comportements suggérant une nidification (dont la Sittelle torchepot, autre espèce des cavités d’arbres) et l’abattage des arbres a été interdit avant le mois de septembre. Malgré cela, ATOSCA a utilisé des engins de chantiers sur le site les jours suivant pour faire des trous dans le sol, semblant par là détruire les systèmes racinaires — même si leur intention exacte n’est pas connue à ce jour.
La victoire des Mésanges bleues est donc temporaire, car d’ici le mois de septembre, il faudrait que la justice ou les pouvoirs publics annulent le projet. Des contentieux sont toujours en cours.
Et après … Comment les mésanges se servent de leur odorat pour leurs migrations futures ?
Dans le sud de la France, les Mésanges bleues sont sédentaires, elles ne migrent pas. Mais elles utilisent effectivement leur odorat lors de leur choix de cavité pour nicher. Si elles y sentent l’odeur du passage récent d’un mammifère tel qu’une fouine, elles ne s’y aventureront pas.
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