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[ 12 novembre 2015 ] Imprimer

Refaire la démocratie

Le rapport du groupe de travail sur l’avenir des institutions, présidé par Claude Bartolone et Michel Winock, a été adopté par l’Assemblée nationale le 2 octobre 2015. Il formule dix-sept propositions pour améliorer la Ve République. Un des membres de la commission, Denis Baranger, professeur de droit public à l’Université Panthéon-Assas (Paris 2), codirecteur de l’Institut Michel Villey, a bien voulu nous en présenter l’essentiel.

Fallait-il un rapport de plus sur la Constitution ?

La méthode était originale : le groupe de travail a été créé à l’initiative de l’Assemblée nationale, sans « feuille de route » donnée par l’exécutif (comme en 1993 ou en 2008). Nos débats ont été publics. Chacun a pu faire valoir son point de vue librement : le rapport contient ainsi les contributions individuelles de ceux qui l’ont souhaité. Enfin, les préconisations contenues ont été votées par la commission sur la base d’un vote préférentiel. Une proposition a été considérée comme adoptée lorsqu’une majorité relative de membres du groupe s’est prononcée en sa faveur, qu’ils soient « tout à fait » ou « plutôt » d’accord. Au total, le rapport de 2015 se présente comme un bilan sur le régime résultant du travail d’une « conférence de consensus ». Tout le monde n’est pas d’accord sur tout, mais un certain nombre de convergences émergent, par exemple pour tirer un bilan défavorable du quinquennat.

Quels sont les symptômes de la crise politique française qui initient ces nouvelles propositions de rénovation des institutions ?

L’une des originalités du travail de la commission, notamment lors des auditions et des débats publics, a été de prendre en compte la crise économique et sociale que connaît le pays. Cette crise affecte nos institutions : elle met l’accent sur le double phénomène de l’impuissance du pouvoir politique et de son irresponsabilité. Cela nourrit la défiance des citoyens vis-à-vis de la politique et le rejet des institutions. Cette crise à multiples facettes n’est pas seulement sociale, économique ou environnementale : elle questionne notre pratique de la démocratie. Résumant le rapport, l’historien M. Winock, qui co-présidait notre commission, a pu dire que « la France n’est pas gouvernée démocratiquement ».

Quelles sont les principales propositions concernant la représentation citoyenne ?

Les propositions gravitent autour de trois grands axes :

● renouveler les élus et diversifier leur profil en mettant en œuvre des mécanismes tels que le non-cumul des mandats dans le temps. Le groupe de travail s’est majoritairement prononcé pour une limitation à trois mandats successifs, et la mise en place d’un vrai statut de l’élu, l’assimilant aux salariés protégés lorsqu’il vient du secteur privé ;

● modifier le mode de scrutin aux élections législatives, en introduisant un scrutin proportionnel pour au moins la moitié des députés (je suis pour ma part favorable à une proportion plus faible : 10 à 20 %) ;

 

● développer la pratique du référendum en élargissant son champ et surtout en instaurant une initiative populaire plus facile d’accès que le dispositif de 2008 (qui requiert une initiative venant de 10 % des électeurs, c'est-à-dire beaucoup trop…) et encadrée par un contrôle juridictionnel et assortie d’un quorum. J’avoue que je suis plus sceptique sur ce type de proposition, car je pense que les référendums ne sont pas une solution à la crise de légitimité du régime. Mais j’étais minoritaire sur ce sujet…

Quelles sont les propositions essentielles relatives à l’exécutif ?

Les médias ont surtout retenu la proposition consistant à supprimer le quinquennat et à passer à un septennat non-renouvelable. Mais le rapport préconise aussi de redéfinir le rôle du Président de la République en faisant de lui le garant des valeurs de la Nation et des enjeux du long-terme. Et en ce qui concerne le calendrier électoral, la commission pense que les élections législatives n’ont pas de raison d’être toujours tenues après l’élection du Président : autrement dit, il faudrait revenir sur l’inversion des calendriers. Enfin, la commission propose de renforcer la responsabilité de l’exécutif et mieux le contrôler sur les questions européennes, notamment en organisant des débats avant les conseils européens.

Enfin, pour le justiciable, quels progrès pourraient être réalisés ?

Nous avons été marqués par l’audition de Pierre Joxe, dans laquelle il rappelait combien notre autosatisfaction en matière « d’état de droit » devait être confrontée à des réalités moins gratifiantes : une justice sociale qui est la mal aimée du système ; une juridiction constitutionnelle qui motive peu ou pas ses décisions et qui, par sa composition notamment, est encore loin d’être une cour constitutionnelle ; un système de régulation de la magistrature et de protection de son indépendance qui, malgré les progrès effectués quant au statut du CSM depuis vingt ans, reste certainement à parfaire. La commission a donc proposé des réformes. En ce qui concerne la juridiction judiciaire, elle propose de réécrire l’article 64 de la Constitution en la consacrant comme un véritable pouvoir, en la détachant du président de la République, qui ne devrait plus être le « garant » de son indépendance, et en confiant ce rôle de garant au CSM, dont les pouvoirs, notamment en matière de nomination des magistrats, seraient renforcés. Elle propose aussi d’ériger la justice sociale en un ordre séparé de juridictions. Quant au Conseil constitutionnel, elle propose de l’ériger en une véritable cour constitutionnelle, de faire désigner ses membres après un vote parlementaire (3/5 de votes favorables par la commission compétente) et de ne plus permettre aux anciens présidents d’y siéger. Il faut aussi revoir ses méthodes de travail, notamment en instaurant les opinions dissidentes. 

Le questionnaire de Désiré Dalloz

Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ?

Quand j’ai cessé de l’être...Je trouve la condition étudiante précaire et anxiogène, et je plains mes étudiant(e)s, engagé(e)s dans le difficile parcours d’obstacle qui est le leur. Cela étant dit, les années d’études supérieures sont aussi des grands moments de liberté et d’accès au savoir. Et la contrepartie de l’incertitude sur son avenir, c’est le pouvoir de le forger.

Quel est votre héros de fiction préféré ?

En littérature : Lucien Leuwen. Sur un registre moins littéraire, mes étudiants connaissent aussi mes nombreuses références à Jack Bauer…

Quel est votre droit de l’homme préféré ?

La liberté individuelle. 

 

Auteur :M. B.


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