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Soins sans consentement et droits fondamentaux
Depuis son institution en 2007, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté s’est toujours montré préoccupé par la question de l’enfermement en psychiatrie. Son rapport thématique « Soins sans consentement et droits fondamentaux » propose des pistes d’améliorations pour une prise en charge de patients, sujets de droits, sur l’ensemble du territoire. Adeline Hazan, dont le mandat s’est terminé en juillet 2020 avec la remise de ce rapport, a bien voulu nous éclairer sur ses constats et ses recommandations.
Quelle méthode a-t-elle permis la production de ce rapport exhaustif sur l’état de l’enfermement en psychiatrie ?
Le contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGPL) s’est en effet toujours montré très préoccupé par la question de l’enfermement en psychiatrie et j’en ai fait, à ma nomination en 2014, ma priorité.
À l’achèvement de mon mandat en juillet dernier, l’institution avait visité l’ensemble des établissements spécialisés en santé mentale et une majorité des services psychiatriques des hôpitaux généraux accueillant des patients admis en soins sans consentement. Ainsi, près de 200 contrôles d’établissements ont été réalisés par le CGLPL en douze ans.
Ces visites ont conduit au constat que l’hospitalisation à temps plein s’accompagne d’atteintes plus ou moins graves à la dignité et aux droits des patients et singulièrement à leur liberté d’aller et venir. Le nombre important de ces visites a permis de mesurer l’ampleur des atteintes et leur banalisation, mais aussi d’observer de bonnes pratiques et des initiatives pour échapper à ce mouvement. Au fil des années, le CGLPL a aussi mesuré avec satisfaction l’évolution de ses interlocuteurs dans ses visites. Réticents il y a douze ans, ils marquent désormais leur intérêt pour le prisme d’observation du CGLPL, reconnaissant les apports d’un « regard extérieur ».
Quels sont les constats qu’il établit sur l’hospitalisation des patients en soins sans consentement ?
La loi, depuis près de deux siècles, permet d’hospitaliser des personnes atteintes de troubles mentaux sans leur consentement. Même si les textes affirment que les soins libres doivent être privilégiés lorsque l’état de santé de la personne le permet, dans la pratique, la part des soins sous contrainte dans les admissions croît de façon préoccupante, atteignant le quart des admissions et représentant 40 % d’entre elles dans certains établissements.
De cette contrainte aux soins, les professionnels ont parfois tiré l’autorisation implicite d’une contrainte au corps se traduisant en une contrainte aux comportements : horaires, tabac, visites, etc., dans un souci de normalisation afin d’organiser la vie collective. La limitation, voire l’absence de relations avec l’extérieur, l’agitation de certains patients et la nécessité de maîtriser quelques faits et gestes erratiques ont permis, historiquement, le développement de pratiques empiriques, hors de tout contrôle réel par des instances institutionnelles.
Même si les établissements hospitaliers psychiatriques sont par définition des lieux de soins, la procédure d’hospitalisation sans le consentement de la personne représente, pour le patient, une restriction importante de ses droits, notamment et avant tout celui de circuler librement, mais bien d’autres encore : celui de communiquer avec l’extérieur, celui de bénéficier d’activités, le droit à la défense, le droit à l’information, le droit à l’intimité ; actuellement ces droits, du fait de l’organisation des soins, du manque d’effectifs et parfois d’une absence de réflexion suffisante sur les pratiques, sont souvent bafoués.
Quel est l’esprit général de ce rapport ?
Le CGLPL a peu à peu affiné sa doctrine par la publication de 3 rapports thématiques consacrés à la psychiatrie : sur le recours à l’isolement et à la contention (en 2016), sur les droits fondamentaux des mineurs hospitalisés (en 2017).
La publication de 4 recommandations en urgence (CPA de Bourg-en-Bresse, CHU de Saint-Étienne, CH du Rouvray à Sotteville-lès-Rouen et CH de Moisselles) a par ailleurs mis en lumière de graves dysfonctionnements et atteintes aux droits des personnes qui y étaient hospitalisées.
C’est pourquoi j’ai voulu qu’à la fin de mon mandat des constats et propositions complètes sur l’enfermement en psychiatrie soient publiées ; c’est le sens du rapport de juillet 2020 dont on peut résumer l’esprit par le souhait d’une psychiatrie qui soigne mieux tout en enfermant moins.
S’il y avait seulement 5 recommandations essentielles, lesquels seraient-elles ?
- L’architecture des chambres doit garantir des conditions de séjour correctes en termes de superficie, luminosité, accès à l’eau et aux sanitaires, etc. L’aménagement de ces chambres doit être favorable à l’apaisement.
- Le port du pyjama et le retrait des effets personnels ne doivent pas être systématiques mais être justifiés cliniquement.
- Tout doit être mis en œuvre pour apaiser la personne en situation de crise avec des approches alternatives à une mesure de contrainte physique. Si en dernier recours, la décision d’un placement en chambre d’isolement ou sous contention doit être prise, les modalités de sa mise en œuvre doivent garantir au mieux le respect des droits des patients.
- Les activités thérapeutiques et occupationnelles doivent être développées au sein des services de psychiatrie afin de réduire l’ennui et les tensions.
- Le droit de contester devant la justice la décision d’isolement et contention, alors qu’actuellement ce droit existe seulement pour la décision d’hospitalisation sans consentement ; heureusement le Conseil constitutionnel a rendu une décision importante le 19 juin 2020 qui va dans ce sens en déclarant les dispositions de la loi du 26 janvier 2016 sur l’isolement et la contention inconstitutionnelles en ce qu’elles ne prévoient pas de recours au juge ; la loi doit être modifiée dans les prochains mois.
Je regrouperai ces cinq recommandations en une seule, plus générale mais fondamentale : faire en sorte que le regard porté sur le patient change, et que ce dernier ne soit plus considéré seulement comme un objet de soins mais aussi comme une personne qui a des droits et dont il faut respecter les libertés sans autre restriction que celles imposées par son état de santé, y compris lorsqu’elle est hospitalisée sans son consentement
Le questionnaire de Désiré Dalloz
Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ?
Le jour où j’ai été reçue à l’École nationale de la magistrature, car je souhaitais depuis longtemps être magistrat.
Quels sont votre héros et votre héroïne de fiction préférés ?
Il est toujours difficile de choisir parmi tous ces personnages magnifiques qui peuplent la littérature, mais j’ai choisi Antigone de Sophocle pour son esprit de liberté, et Émile Lantier, personnage principal de Germinal de Zola, qui symbolise la prise de conscience de la classe ouvrière.
Quel est votre droit de l’homme préféré ?
On ne peut pas établir une hiérarchie entre les différents droits de l’homme, par nature ils sont tous fondamentaux ; en revanche la notion de dignité de la personne humaine, introduite dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, doit être considérée comme supérieure et englobant l’ensemble des droits fondamentaux des personnes privées de liberté ; en effet les droits fondamentaux sont des droits qui, lorsqu’ils sont méconnus, portent atteinte à la dignité de la personne humaine.
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